Abstract
The autobiographic Leirisian writing is characterised by a continuous oscillation between the fascination with intimacy and the cultural appeal, between the lure of the concrete and the calling of the imaginary. The author tends to avoid a direct contact with the reality, withdrawing within the space of imaginary susbstitutes which, through their unrelity and symbolic force, manage to offer him the feeling of ontological security. The writing is clearly influenced by the encyclopedic mood of the autobiographer who prefers to examine and portray the reality through the deforming lens provided by the cultural references, by the world of performance, by the dream-like or mythical universe. The connections of the writer with the world and with his own being are indirect, and the truth about his own self is accessible, most often, by the mediation of myth or fiction. Childhood, the sacred history, the history of France, legends and myths all create a universe in which Leiris hopes to find shelter against time's passing and against his own anguish. Because the myth is the history of our own inwardness (Annick de Souzenelle), it is by means of the myth that the autobiographer will analyse his own ontological course. He tries to liberate himself from all complexes, drawing an inventory of the devouring myths which make him a prisoner of an illusive world. The myths of Oedip, Icar, the androgynous, Narcis, Don Juan, or Faust constitute the main stages undergone by the writer while searching for his own identity.
Rezumat
Demersul autobiografic leirisian sta sub semnul unei continue pendulari Între seductia intimitatii si fascinatia culturala, Între atractia concretului si chemarea imaginarului. Autorul are tendinta de a evita contactul direct cu realitatea, retragându-se În spatiul substitutelor imaginare care, prin irealitatea si forta lor simbolica, reusesc sa-i ofere un sentiment de securitate ontologica. Scriitura este vadit influentata de dispozitia enciclopedica a autobiografului, care prefera sa priveasca si sa zugraveasca realul prin lentilele deformante, pe care i le ofera referintele culturale, raportarea la lumea spectacolului, la universul oniric sau la cel mitic. Legaturile scriitorului cu lumea si cu propria-i fiinta sunt indirecte, iar adevarul despre sine este accesibil, de cele mai multe ori, prin medierea mitului sau a fictiunii. Copilaria, istoria sfânta, istoria Frantei, legendele si miturile formeaza o lume În care Leiris spera sa se puna la adapost de trecerea timpului si de propriile angoase. Pentru ca mitul este istoria interioritatii noastre (Annick de Souzenelle), prin el Îsi va analiza autobiograful Întregul traiect ontologic. El Încearca sa se elibereze de complexe, facând un inventar al miturilor devorante, care Îl fac prizonier al unei lumi iluzorii. Mitul lui OEdip, al lui Icar, al androginului, al lui Narcis, Don Juan sau Faust constitue principalele etape parcurse de scriitor În cautarea propriei identitati.
Le parcours existentiel que tout autobiographe se propose de remémorer est inévitablement lié à l'univers où celui-ci a été élevé. L'individu ne peut pas ignorer le monde qui le contient. C'est pourquoi, qu'on le veuille ou non, la voix qui parle dans toute autobiographie reflète aussi un point de vue sur le monde et sur les autres. Vu l'évolution historique, sociale et culturelle, les rapports qui existent entre l'homme moderne et le monde ne sont plus naturels, directs, comportant plusieurs éléments intermédiaires. Ernst Cassirer nous fait observer que l'homme ne vit pas dans un univers exclusivement physique, mais dans un univers symbolique - tissu enchevêtré de l'expérience humaine, dont les fils les plus importants semblent être le langage, le mythe, l'art, la religion, l'histoire et les sciences1. Ce sont tous des domaines artificiels, par lesquels l'être conscient entre en contact avec le monde, en essayant de le rendre moins impénétrable. Au lieu d'affronter le réel face à face, il se cache derrière les formes linguistiques, les symboles mythiques ou les images artistiques, lesquels ne sont, au fond, que ses propres projections sur le monde qui l'entoure. Tout en essayant de s'approprier la réalité, l'homme aboutit, paradoxalement, à s'en détacher, puisque les moyens dont il se sert lui appartiennent intégralement, n'ayant rien en commun avec l'objet convoité. C'est ainsi que l'individu trouve un refuge dans son propre univers, un univers idéal, qu'il appelle culture, et qui représente un degré supérieur de sa liberté - celle de refaire le réel pour mieux s'y installer2.
Michel Leiris, auteur d'une autobiographie continue, qu'il écrit depuis l'âge de 34 ans jusqu'à sa mort, ressent intensément la rupture qui existe entre la nature et la culture. Il avoue maintes fois être tiraillé entre les deux côtés qu'il baptise, selon deux expériences symboliques de sa vie, «mon côté de Kumasi» et «mon côté de Pékin»3. Bien que son rêve soit de réconcilier les deux, il ne s'empêche pas de remarquer que la tentative est généralement vouée à l'échec, du seul fait que l'homme est un être essentiellement social:
«Il y a Moi; il y a la Société; il y a la Nature. Je ne pourrais trouver mes rapports réellement naturels que quand la société aura cessé d'être une barrière entre la nature et moi»4.
La seule échappatoire qu'il trouve est sa vie inconsciente, au moyen de laquelle il arrive parfois à communiquer avec la nature. En dehors de cette possibilité, on reste ancré dans son univers artificiel, «séparé de la nature par une série d'écrans superposés: la société, les livres, les connaissances théoriques, les préoccupations morales, etc.»5. Malgré l'attirance pour la nature, Leiris reconnaÎt avoir toujours été «profondément citadin» et un intellectuel incurable. Déçu par le monde et hanté par la fuite du temps, Leiris tente de se soustraire à leur emprise par l'évasion dans un plan différent de celui de l'existence concrète, soit-il celui de l'art, de la littérature, du mythe ou du rêve. C'est par la fuite devant l'histoire que Leiris manifeste son refus de la condition humaine, de ses contraintes et un désir d'élévation spirituelle. L'autobiographe s'assume ainsi un geste qu'une humanité entière a réitéré à des époques différentes de l'histoire - celui de fuir le réel pour assurer sa continuité dans le monde.
Leiris subit un excès d'intellectualité qui le fait «vivre dans un perpétuel balancement entre le monde des choses et celui des images ou des idées»6. Toute tentative de connaÎtre le réel est accompagnée chez lui d'un processus complexe, par lequel l'objet étudié est rapproché ou assimilé à l'univers fictionnel créé par ses acquis culturels. Voir les choses non pas telles quelles, mais entourées d'une aura tragique et comparées à chaque moment à des épisodes livresques, c'est sa manière de se retirer du quotidien - une sorte de bovarysme intellectuel poussé à l'extrême. Ce n'est plus sa statue qu'on voit se dresser dans ses ouvrages autobiographiques, mais un immense édifice culturel où l'homme et son individualité risquent de se perdre ou s'anéantir. Lorsqu'il s'emploie à raconter son histoire, Leiris semble ne plus parler de son passé, mais du passé de l'humanité, de ses mythes, de ses légendes, de l'histoire sainte ou de ses créations artistiques. Chacun de ses gestes, chaque événement de son existence a un correspondant culturel qui lui prête une valeur universelle, archétypale. Cette prééminence de la culture sur la nature est un trait spécifique de l'homme moderne, lequel essaie de plus en plus souvent de dominer sa peur ancestrale devant l'inconnu, en réduisant celui-ci à une forme qui lui soit familière. Il n'est pas dénué d'importance, peut-être, que l'un des meilleurs amis de Leiris, Sartre, subit la même fascination du culturel, qui arrive à se substituer aux expériences concrètes de l'enfant Jean-Paul:
«Je n'ai jamais gratté la terre ni quêté des nids, je n'ai pas herborisé ni lancé des pierres aux oiseaux. Mais les livres ont été mes oiseaux et mes nids, mes bêtes domestiques, mon étable et ma campagne; la bibliothèque, c'était le monde pris dans un miroir»7.
À ce point, il n'y a entre les deux auteurs qu'une seule différence, portant sur le domaine culturel choisi: Leiris ne fut pas «cet enfant de bibliothèques qu'a été Sartre mais un enfant d'opéras, voire un enfant de spectacles»8. Les livres de son enfance et les personnages d'opéra ont irrémédiablement orienté son imagination vers l'artificiel et le ludique: «Une grande partie de mon enfance s'est déroulée sous le signe de spectacles, opéras ou drames lyriques»9.
Michel Beaujour observe que tous les ouvrages qu'il appelle "autoportraits", parmi lesquels il range aussi les textes leirisiens, «ne modélise[nt] pas la condition humaine en général, mais celle de l'intellectuel ou, plus précisément, celle de l'écrivain dans le monde occidental moderne»10. Le théoricien nous attire l'attention sur le fait que l'autoportrait est le produit d'un type particulier de mémoire, la métempsycose, par laquelle les événements de l'existence individuelle sont éclipsés par la remémoration de toute une culture qui détermine un paradoxal oubli de soi. Cherchant une sacralisation de cette vie dont il est profondément déçu, Leiris s'ingénie à faire correspondre aux images livrées par ses souvenirs des archétypes fournis par l'histoire, la littérature, la psychanalyse ou la mythologie. De sa vie réelle, le narrateur ne transcrit que les faits qui peuvent apaiser sa soif de transfigurer le monde et de lui attribuer des vertus symboliques par une «tendance naturelle de [sa] mémoire à retenir dans la somme prodigieuse de choses qui (...) [lui] sont arrivées celles seulement qui revêtent une forme telle qu'elles puissent servir de base à une mythologie»11. Réalisant une fusion de l'individuel et du culturel, Leiris transforme les images et les figures antiques en principes d'une mythologie personnelle, laquelle tente d'anéantir le présent vécu par l'autoportraitiste en se montrant plus vraie et plus authentique que la réalité même. Au lieu de réfléchir l'individualité et la subjectivité, l'autoportrait littéraire s'ouvre vers la généralité et l'objectivité d'un récit qui traite de la «forme entière de l'humaine condition». Tout en essayant de mettre en vedette un trajet personnel, les textes leirisiens font appel aux éléments d'une vraie encyclopédie, à un système transhistorique de connaissances. Leiris raconte son espace intérieur selon deux modes - les mythes et les arts -, en transférant à son entreprise un peu de leur grandeur et de leur universalité.
Parmi les nombreuses références culturelles qui sillonnent le texte leirisien, celles qui se rapportent à la littérature semblent, naturellement, être investies d'une signification particulière, en raison de l'attachement profond de l'auteur au travail de l'écriture. Si l'autobiographe parle souvent de Racine, Nerval, Goethe, Mallarmé, Rimbaud, Proust ou Apollinaire, il le fait presque invariablement de manière à mettre en vedette les liens puissants qui rattachent ses récits et sa façon de concevoir la vie aux oeuvres de ses illustres devanciers. Les lectures de l'enfance ont remplacé, avec les spectacles de théâtre et d'opéra, les expériences concrètes du petit Michel. Au lieu de connaÎtre le monde par des expériences et des attouchements réels, il s'est contenté des substituts livresques. Le réel est ainsi vu par des lunettes obscures ou déformantes, puisque ce n'est pas sa conscience qui le perçoit, mais une autre. De là, l'impuissance de Leiris de voir clair ou de vivre réellement. Il avoue, par exemple, l'influence qu'ont eue sur son idée d'érotisme certaines lectures édifiantes telles «Aphrodite» de Pierre Louÿs, «Thaïs» d'Anatole France ou «Quo Vadis» de Henryk Sienkiewicz.
À l'opposé du primitif, l'homme moderne prend conscience à la fois de son universalité, ainsi que de son individualité12. Bien qu'il désire mettre en valeur son originalité, sa différence, il n'est pas moins vrai qu'il tend, presque inconsciemment, à retrouver l'état adamique, l'état d'indifférence et de non-séparation du Grand Tout. Pour fuir l'histoire qui, outre le progrès, entraÎne le pourrissement et la mort, Michel Leiris tente de sortir hors du flux temporel par la résurrection des temps anciens. Son enfance, l'Histoire sainte, l'histoire de la France, les mythes forment un espace à l'intérieur duquel l'écrivain espère se mettre à l'abri de ses angoisses. Leiris est comme un Sisyphe moderne, un éternel révolté qui n'accepte pas le monde tel qu'il est fait et tente de se soustraire à son emprise par l'évasion. Selon Lucian Boia, l'évasion se trouve parmi les archétypes constants de l'esprit humain - ces archétypes qui forment l'imaginaire, double immatériel du monde concret, dont le but n'est pas d'anéantir le réel pour s'y substituer, mais de jouer plutôt un rôle compensateur13. L'évasion serait une conséquence du refus de la condition humaine et de l'histoire14. L'individu rêve d'échapper au temps qui passe en cherchant refuge dans un temps égal et harmonieux. Ses lieux d'asile s'identifient souvent aux rêves ou aux fictions trouvées dans l'art, le jeu, la littérature, les religions15. Le retour au temps mythique se range, à côté de l'évasion par l'écriture, par le voyage ou par l'art, parmi les moyens de refuge dans l'imaginaire.
Georges Gusdorf nous offre une explication de la prolifération actuelle des mythes et de leur caractère social. Il pose qu'à l'époque moderne, le développement de la technique débouche sur une destruction de l'équilibre de l'espace humain, qui devient alors un milieu artificiel. Le rôle du mythe serait, en conséquence, de donner un sens au monde, qui semble incohérent et ambigu, de garder intactes les valeurs fondamentales et de garantir la pérennité de la réalité humaine16. Possédant le maximum de significations possibles, le mythe est une quête du passé. Selon Gilbert Durand, le mythe est un «éternel retour d'une cosmogonie, un remède contre le temps et la mort»17. Se fiant aux mythes, l'homme moderne espère, en effet, retrouver l'état paradisiaque, où ces deux pires ennemis ne manifestent pas encore leur force destructrice. Tout comme le primitif, il se révolte contre le temps concret, historique, ayant la «nostalgie d'un retour périodique au temps mythique des origines, au Grand Temps»18. A y regarder de près, nous nous avisons que le rituel de la remémoration pratiqué par Leiris ne fait que répéter une création ancestrale visant l'auto-connaissance par l'intermédiaire des structures répétitives qui prêtent à l'oeuvre une dimension universelle. L'autobiographie leirisienne confirme ainsi la théorie de la synchronie structurale du mythe, de son universalité et de son caractère atemporel.
Selon Caillois, le temps mythique est ambivalent, se présentant à la fois comme Chaos et Âge d'Or - Enfer et Paradis. D'une part, excès, monstruosités, désordre et de l'autre, un âge qui, tout comme notre enfance, n'est pas soumis aux interdits qui limitent l'activité de l'adulte19. Le mythe garde le sens d'une aspiration vers l'intégrité perdue et celui d'une intention de restitution. La conscience mythique permet la création d'une enveloppe protectrice où l'homme trouve sa place dans l'univers20. Il rend la vie possible, en chassant l'angoisse et en apaisant l'esprit. Les mythes justifient notre existence, puisqu'ils éclaircissent une situation où nous avons l'impression de nous retrouver dans un milieu familier. Nous sommes ainsi réintégrés dans la totalité. Le mythe met en évidence l'universalité humaine.
Chez Leiris, cette recherche du Grand Tout édénique se manifeste par l'appel du «méli-mélo» et du «fourbi», qui renvoient au monde innocent de l'enfance. Pour l'autobiographe, l'enfance perdue est la seule époque heureuse de sa vie. La couleur «méli-mélo», représentant la petite enfance dans une suite de compositions intitulée «Les Couleurs de la vie», qu'il vit tout petit, ornant le dos du cartonnage d'un album édité à Epinal, reproduit à merveille le chaos du premier stade de la vie, «cet état irremplaçable où, comme aux temps mythiques, toutes choses sont encore mal différenciées, où, la rupture entre microcosme et macrocosme n'étant pas encore entièrement consommée, on baigne dans une sorte d'univers fluide de même qu'au sein de l'absolu»21. C'est, en effet, par le retour mental à cet âge de l'innocence, antérieur à la division de la conscience, à la séparation du sujet et de l'objet, que Leiris retrouve la pureté et le bonheur. L'avancée en âge, le passage de l'enfance à la jeunesse et ensuite à l'âge mûr sont synonymes pour lui d'une «dégradation de l'absolu», d'une «progressive dégénérescence»22, chaque nouvelle expérience l'éloignant de l'état primordial.
Les similitudes entre le retour à l'enfance et l'essai de ressusciter le passé mythique sont très bien mises en évidence dans «Il était une fois...», le chapitre de «Biffures», dont le titre symbolique est censé nous introduire d'un coup dans l'espace du conte enfantin, de même que dans l'espace et le temps de l'enfance. Le mythe et l'âge de notre innocence ont en commun leur caractère universel. Tous les deux sont des moules où l'humanité entière retrouve ses origines. Tandis que l'enfance, en tant que début de l'existence humaine, est faite, presque invariablement, des mêmes expériences et des mêmes inquiétudes pour chaque individu, le mythe est cette «histoire sacrée qui se déroule dans un temps primordial»23 et qui représente «une vérité commune, éternelle»24. Les deux rejoignent, par leur universalité, le propos leirisien de faire de son autobiographie le miroir où son semblable pourrait à tout moment entrevoir, dans l'entrecroisement de lignes, de formes et de couleurs, sa propre image:
«Du portrait de moi que je peins et des lambeaux de vérités plus lointaines que je m'efforce d'arracher pour en faire comme l'éclairage en même temps que le rayonnement de ce portrait, ne m'est-il pas, d'ailleurs, permis d'espérer qu'il se dégagera un beau jour - et au besoin à mon insu - quelque vérité générale ?»25
C'est pour revenir à la liberté de l'enfance que l'écrivain se propose de rompre le cours du temps, en se donnant l'impression de disposer d'un «temps illimité». En usant de l'imaginaire collectif, Leiris transgresse la règle du discours autobiographique qui exige de dire toute la vérité sur soi-même. Le mythe est une «magnification trompeuse de la réalité», un «mensonge par lequel il s'agit de faire tenir pour vrai ce qui peut être seulement vraisemblable, façon de se déguiser à soi-même la vérité»26.
«L'Âge d'homme», la première autobiographie leirisienne se ressent fortement de la psychanalyse, puisqu'elle accorde une «large créance (...) à la psychologie freudienne (qui met en jeu un matériel séduisant d'images et, par ailleurs, offre à chacun un moyen commode de se hausser jusqu'au plan tragique en se prenant pour un nouvel OEdipe)»27. Freud a relevé au fond de l'âme humaine une mythologie latente, dont les représentations et les principes explicatifs se retrouvent dans les légendes antiques. Puisque le mythe est l'histoire de notre intériorité28, c'est bien lui qui devrait révéler notre parcours ontologique. Dans «L'Âge d'homme», l'écrivain se propose de dresser un inventaire des mythes dont il voudrait se débarrasser, à cause de leur caractère imposé, inflexible, contraignant. Les mythes d'OEdipe, d'Icar, de l'androgyne, de Narcisse, de Don Juan, de Faust, de Robinson, liés à des complexes ou à des obsessions personnelles, le dévorent, le rendent esclave d'un monde de monstres et de phantasmes. À la suite d'une thérapie psychanalytique, Leiris est conseillé par son docteur d'écrire un livre en vue de tout liquider, de se délivrer de l'emprise de certaines choses inhibitrices et de reprendre, plus décidé et moins inquiet, la recherche de soi. Roland Barthes affirme que l'homme est continuellement harcelé par les mythes, lesquels l'empêchent de vivre réellement ou de s'inventer, en l'étouffant tel un énorme parasite interne qui vit à sa place. Les mythes ne sont, de ce point de vue, que l'exigence insidieuse et inflexible qui veut que tous les hommes se reconnaissent dans une même image, éternelle et pourtant vieillie, construite une fois pour eux comme si elle devait durer à tout jamais29. Leiris se libère plus tard de ces mythes dévorants en créant sa propre mythologie. Il n'est plus la victime d'un monde de pierre, mais le créateur d'un monde plein de mystère et de magie, remplaçant ainsi le «mythe inconsciemment subi» par le «mythe sciemment créé»30. Cette mythologie personnelle projette sur sa personnalité des lumières inattendues, l'enrichit et la valorise, lui faisant accéder à une autre dimension. La corrida, les spectacles sportifs, l'opéra, la fraternité, l'écriture deviennent dans les récits de maturité de vrais mythes personnels - les repères invariables de son être.
Leiris trouve abri dans un univers symbolique pour fuir le monde frappé de sécheresse créé par le rationalisme de la société moderne, rejoignant par là le comportement des hommes mythiques. Son attitude est une fuite devant le désert spirituel, ce qui n'est, finalement, qu'un refus de son propre athéisme. Puisque l'écrivain conçoit le merveilleux comme une partie intégrante du quotidien, il est naturel que ses mythes trouvent leur origine dans la réalité de tous les jours. Il convient de remarquer que le désir de l'auteur est de «faire coïncider le là-bas et l'icimême (...), être dans le mythe sans tourner le dos au réel»31. Il est tenté d'étudier, en ethnographe ou en écrivain, la façon dont les deux arrivent à se confondre ou à se substituer réciproquement. Ainsi, il observe fasciné que le mythe quitte souvent le terrain de la fiction pour se mêler à la vie, se transformant en histoire. Etant donné qu'on visite, à Marseille, le cachot de Monte-Cristo et, à Nagasaki, la maison de Madame Butterfly, qu'à Leipzig, il y a la taverne d'Auerbach, que l'on prétend avoir été fréquentée par le docteur Faust, Leiris en vient à dire qu'entre l'art, la légende et la réalité, on ne saurait pas bien établir des frontières exactes.
Il faut observer finalement qu'entre le mythe et l'autobiographie il existe des similitudes plus qu'évidentes. Tout d'abord, l'exemplarité de l'individu qui se dévoile par l'écriture de soi va de pair avec le caractère exemplaire des figures mythiques. À ce sujet, Catherine Maubon notera, à propos du premier texte autobiographique de Leiris:
«Grâce à son renvoi plus ou moins explicite à la littérature de caractère initiatique, «L'Age d'homme» arrachait le texte à la contingence du moi et favorisait le passage du singulier au pluriel vers lequel l'écrivain n'a cessé de tendre»32.
En deuxième lieu, le récit autobiographique met l'accent sur l'origine de la personnalité humaine, sur ses commencements, de la même manière que le mythe renvoie aux temps originaires de l'humanité, en les tenant pour repères explicatifs de l'évolution future de celle-ci. Le retour à l'origine est un moyen de régénérer l'existence de l'homme primitif ainsi que celle de l'écrivain qui fait le récit de sa vie. Enfin, l'autobiographie est censée représenter elle-même un commencement - la naissance littéraire de l'écrivain ou, mieux dit, sa naissance mythique à travers l'écriture.
1Cf. Cassirer, 1994, p. 43.
2Cf. Gusdorf, 1996, p. 29.
3Leiris, 1985, p. 234.
4Leiris, 1992a, p. 174.
5ibidem, p. 156.
6Bréchon, 1973, p. 33.
7Sartre, 1964, p. 37.
8Note de Jean Jamin sur Operratiques deMichel Leiris, p. 5-6.
9Leiris, 1990, p. 44.
10Beaujour, 1977, p. 448.
11Leiris, 1984, p. 21-22.
12Cf. Gusdorf, 1996, p. 102.
13Cf. Boia, 2000, p. 26.
14ibidem, p. 33.
15 ibidem, p. 141.
16Cf. Gusdorf, 1996, p. 255.
17Durand, 1963, p. 563.
18Eliade, 1949, p. 11.
19Cf. Caillois, 1997, p. 115-116.
20Cf. Gusdorf, 1996, p. 12.
21Leiris, 1990, p. 34-35.
22ibidem, p. 29.
23Tadié, 1994, p. 148.
24ibidem, p. 153.
25Leiris, 1984, p. 65.
26Nadeau, 1963, p. 85.
27Leiris, 1990, p. 16.
28Cf. Annick de Souzenelle, 1999, p. 11.
29Cf. Barthes, 1997, p. 288-289.
30Nadeau, 1963, p. 90.
31Leiris, 1985, p. 234.
32Maubon, 2004, p. 48.
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Maricela STRUNGARIU,
chargée de cours, docteur ès lettres,
Université de Bacau, Roumanie
Maricela STRUNGARIU,
Lecturer, Ph.D.,
University of Bacau, Romania
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Copyright Universitatea de Stat "Alecu Russo" din Balti 2009
Abstract
The autobiographic Leirisian writing is characterised by a continuous oscillation between the fascination with intimacy and the cultural appeal, between the lure of the concrete and the calling of the imaginary. The author tends to avoid a direct contact with the reality, withdrawing within the space of imaginary susbstitutes which, through their unrelity and symbolic force, manage to offer him the feeling of ontological security. The writing is clearly influenced by the encyclopedic mood of the autobiographer who prefers to examine and portray the reality through the deforming lens provided by the cultural references, by the world of performance, by the dream-like or mythical universe. The connections of the writer with the world and with his own being are indirect, and the truth about his own self is accessible, most often, by the mediation of myth or fiction. Childhood, the sacred history, the history of France, legends and myths all create a universe in which Leiris hopes to find shelter against time's passing and against his own anguish. Because the myth is the history of our own inwardness (Annick de Souzenelle), it is by means of the myth that the autobiographer will analyse his own ontological course. He tries to liberate himself from all complexes, drawing an inventory of the devouring myths which make him a prisoner of an illusive world. The myths of Oedip, Icar, the androgynous, Narcis, Don Juan, or Faust constitute the main stages undergone by the writer while searching for his own identity. [PUBLICATION ABSTRACT]
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