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Un Non-Happening de Ad Reinhardt
Le 10 octobre 1958 et le 23 janvier 1959, l'artiste Ad Reinhardt (1913-1967), connu pour ses tableaux noirs auxquels il consacra ses quatorze dernières années d'activité, organisa une soirée de projection de diapositives à G Artists' Club de New York. Dans cet espace fréquenté principalement par un public proche de l'Expressionnisme Abstrait, l'artiste montra deux mille images qu'il avait pris deux ans auparavant lors d'un voyage autour de l'Europe et de l'Inde. Un événement qui, connu comme "An Evening of Slides: The Moslem World and India", fut bientôt rebaptisé "Chronology, a Non-Happening", ce qui nous suggère que, malgré la négation si chère à Reinhardt, il s'agissait d'une opération artistique à part entière.
S'il paraît que 1 ' artiste donnait des conférences accompagnées de diapositives déjà en 1952 au Studio Club, ce n'était pas un cas isolé : dans les années soixante ce mode de présentation de son propre travail était assez répandu. Des soirées analogues à celles de Reinhardt furent organisées par exemple par Dan Graham, dont la plus connue reste Homes for America (1966-67). ? s'agissait d'une série de clichés sur des habitations mono familiales perdues dans les non-lieux de la banlieue américaine, inspirée entre autres par la lecture de La Modification de Michel Butor. Avant d'être partiellement publiée dans Arts Magazine et d'être reconnue comme l'une des oeuvres minimalistes de référence, elle fut projetée chez l'artiste Robert Smithson et sa femme Nancy Holt, et ensuite dans le cadre de l'exposition Projected Art (Finch College Museum of Art, New York, 1966), la première du genre, Smithson lui-même organisa, quelques années après, Hotel Palenque (1972), une lecture à l'Université de Utah pendant laquelle il projeta, devant un public de jeunes architectes, des diapositives d'un hôtel mexicain en décrépitude qu'il avait pris lors d'un voyage en 1969. Deux haut-parleurs diffusaient G enregistrement de ses commentaires caustiques, en créant un raccord voire un récit entre les images et en détournant leur sens1.
Il peut paraître étrange qu'à l'époque de la diffusion de la vidéo comme moyen d'investigation du monde extérieur et comme miroir, des artistes se réapproprient la diapositive, qui commençait alors son lent et inexorable déclin. Son utilisation suit du reste un parcours insolite : diffusée au début dans le...