Abstract. On the question of the archetypal model of the Islamic city, several oriental researchers and orientalists tried to give some answers, each considering on his part on a specific aspect to the originality of these cities. Some even expressed great skepticism toward the concept of "Islamic city" as an urban ideal of the Muslim world. The purpose of this study is to confront various visions having a theoretical interest on this issue in order to trace the characteristics of the case study. As such, the medina of Tlemcen, capital of central Maghreb for nearly three centuries, is a privileged analysis field to study the type organization of Arab-Muslim cities. Thus, the hypothesis put forth is that this Medina had, in medieval and Ottoman period, a spatial configuration fully aligned with the model of "Islamic cities"; corroborating the idea of the existing common features shared by the historic cities of the Islamic world.
Key words: "Islamic city", functional centrality, urban morphology, Islamic housing.
1.Introduction: La "ville islamique", un mythe orientaliste ou une réalité dévoyée ?
Les médinas, noyaux historiques des villes arabes, représentent la majeure partie du patrimoine bâti musulman. Et bien que le terme "médina" vienne de l'arabe el-Madina, c'est-à-dire la ville, la sémantique de ce mot n'est pas sans ambigüité. L'usage hasardeux et sans discernement d'une terminologie, liée à ces villes traditionnelles, a incité certains chercheurs de renom à mettre en cause l'existence d'un "modèle" urbain commun à toutes ces villes (voir Hourani, 1970; Abu-Lughod, 1987; Panerai, 1989). Ils s'appuient essentiellement sur la grande diversité ethnique et culturelle du monde musulman et l'immensité de son étendue géographique pour contester les fondements de l'expression "ville islamique", considérant ainsi que son archétype n'est qu'une conception idéaliste qu'avaient les premiers orientalistes. Face à cela, d'autres penseurs s'accordent à prendre appui sur cette notion pour expliquer le grand nombre de mécanismes communs aux cités arabo-musulmanes médiévales (voir Marçais, 1957; Berque, 1969; Mortada, 2003). Ce désaccord s'explique par l'absence de leadership dans ce domaine, laissant place à une multitude d'interprétations quant à la substantialité de la notion de "ville islamique" (Hakim, 1999 ; Aldous, 2013). Ce travail s'attache donc à confronter divers travaux, en référenciant les plus pertinents, en français et en anglais, que ce soit dans une logique de construction, de déconstruction, ou encore de réhabilitation de cette notion.
D'autre part, la médina de Tlemcen, riche par son passé médiéval, a été capitale du Maghreb central durant près de trois siècles. Ceci fait d'elle l'une des médinas médiévales les plus authentiques du Maghreb. Son état avant les transformations françaises présente un cas effectif pertinent pour étudier l'organisation des villes arabomusulmanes.
Ainsi, c'est en termes des particularités de l'espace urbain musulman que nous soulevons des interrogations sur la conformité de la médina de Tlemcen au modèle de la "ville islamique" des premiers orientalistes. Ainsi, après avoir explicité un cadre théorique de référence combinant des chercheurs de disciplines diverses, l'exploitation de documents graphiques, photographiques et écrits datant d'avant les alignements coloniaux permet de mettre en parallèle ces travaux et les multiples caractéristiques urbaines musulmanes de cette cité.
2.Les fonctions urbaines de la médina : un modèle d'urbanisation
On peut discerner les principes fédérateurs d'une médina à travers ses trois ordres urbains qui sont représentés par : la spiritualité religieuse au centre (la grande mosquée) ; tout autour, l'espace de négoce (le souk) ; adjacent à ces deux derniers, le siège de l'autorité constitue souvent une entité autonome. Sur ces dispositions fonctionnelles, nous pouvons dire que la médina de Tlemcen vérifie parfaitement l'organisation fonctionnelle d'une ville islamique. Ceci est aisément identifiable par la triple centralité qui s'exprime à travers la contiguïté du Ksar el-Bali (palais gouvernemental), Jamaa elKebir (la grande mosquée) et la Kissariya (le souk). Toutefois, le texte descriptif des deux auteurs anglais Lawless et Blake (1976) reste incomplet. Ils réduisent les spécificités musulmanes de la médina de Tlemcen à deux paramètres seulement : le premier est le complexe urbain central, qui comprenait la grande mosquée et le bazar ; le deuxième étant la muraille de la ville. Ceci peut s'expliquer, à notre avis, par l'influence qu'a pu avoir Roger Le Tourneau (1957) sur les deux auteurs et qui estime que la présence du palais du souverain n'est pas toujours constante dans la variante maghrébine. De notre part, nous nous efforcerons de compléter ces lacunes tout le long de ce travail.
De façon plus générale, la médina en tant qu'organisation citadine est un ensemble intégré très complexe. Elle est par sa forme et sa structure socio-fonctionnelle la résultante d'un système urbain s'appuyant sur un ordre tri-polaire : religieux, économique et politique. Ce triptyque, tissé structurellement avec les quartiers résidentiels, constitue le centre vivant de la cité.
2.1. La fonction religieuse et sa prépondérance
À partir du moment où la civilisation des dynasties musulmanes était totalement conditionnée par l'Islam dans tous les aspects de la vie, la religion devient une doctrine productrice d'un ordre urbain (Raymond, 1994; Stewarta, 2001; Benet, 1963). La grande mosquée (appelée aussi mosquée du vendredi ou mosquée cathédrale) en tant que haut lieu de culte musulman illustre bien la prégnance de l'Islam sur la ville. Non seulement elle constitue le centre vital de la cité, le coeur et « cerveau de la société urbaine » (Golvin 1960), mais elle est également le centre fondamental de l'organisation de la ville. Pour ainsi dire, elle en génère le tracé : « La mosquée crée la cité musulmane », affirme Georges Marçais (1957). À Tlemcen, le Jamaa el-Kebir était à l'origine de l'éclosion de Tagrart (la médina actuelle), bien qu'il ait connu plusieurs extensions/additions avant d'acquérir sa forme finale.
2.2. La fonction économique et son originalité
Le noyau économique central (le souk) avoisine constamment la grande mosquée. Cette contiguïté évacue une charge morale, dans le sens où sous l'ombre de la mosquée les transactions deviennent plus honnêtes. Par le rôle de cette structure au sein de la ville, Louis Massignon (1963) va au sens contraire de l'idée que la mosquée crée la cité musulmane lorsqu'il explique que la médina est bâtie essentiellement sur l'idée du marché. Les souks étaient à la fois centre de production et de mise en vente, ils comprenaient aussi bien des boutiques qui bordaient les rues que des bâtiments spécialisés qu'on nomme au Maghreb fondouks (caravansérails). Sur la singularité de cette centralité commerciale, Eugen Wirth (1982) estime que : « Le sûq est l'une des grandes performances culturelles du Moyen-Âge islamique ; des centres de commerce semblables n'existent ni dans l'Ancien Orient, ni dans l'Antiquité classique, ni dans le Moyen-Âge européen ».
La spécialisation des marchés d'après les produits vendus ou fabriqués est un autre trait caractéristique des villes musulmanes (Behrens-Abouseif, 2000). En dépit du fait que c'est un fait constant, la spécialisation des quartiers ne se fait pas partout de la même manière, elle est liée à l'importance de la ville et sa fonction : les plus grandes villes sont celles où la spécialisation des quartiers est poussée le plus loin (Le Tourneau, 1957). À Tlemcen, les diverses professions étaient également groupées par corps de métiers. Tel que nous le signale au début du XVIe siècle Léon l'Africain « Tous les marchands et artisans sont séparés en diverses places et rues, comme nous avons dit de la cité de Fez » ; il explique que dans cette dernière, les différents métiers et les diverses espèces d'objets de vente se divisent par classes dans des rues séparées ; en sorte qu'elles ne soient occupées que par des gens d'une même profession ou d'un même commerce. Au lendemain de la colonisation de la ville de Tlemcen, l'abbé Bergès fait remarquer à juste titre que non seulement chaque profession est localisée dans une rue séparée, mais en plus, plusieurs rues portent encore les noms de métiers qui y étaient professés (Bargès, 1853). Nous pouvons citer à cet égard les deux cas les plus emblématiques qui sont Triq elAchabine (devenue Rue de la Sikkak) et Derb el-Hadjamine.
2.3.La fonction politico-militaire et sa mobilité
La fonction politique se confondait avec la fonction militaire et défensive, spécialement, dans les premières villescamps. On reconnait cette dernière à travers les rues à coudes successifs. Largement utilisées dans les constructions militaires, elles présentaient des avantages défensifs. Il semble toutefois que leurs emplois se soient généralisés dans les quartiers civils. Nous pensons que ce dispositif permettait aux habitants de se retrancher en période d'insurrection ou d'instabilité politique.
Dans divers cas, la fonction politicomilitaire est génératrice d'un quartier, souvent bien individualisé, tel que la garde califale khorassanienne à Baghdad ou le centre gouvernemental du Méchouar à Tlemcen. À ce propos, le palais du souverain ou du gouverneur se trouve dans une position, souvent, attenante ou proche du noyau économicoreligieux (Wirth, 1982). Il convient cependant de noter que les services centraux du pouvoir sont les fonctions urbaines les plus mobiles de l'histoire des villes islamiques. Étroitement dépendants d'une volonté politique, ils changèrent souvent de lieu selon les époques et les dynasties, s'installant tantôt au coeur de la cité près de la grande mosquée, tantôt dans une citadelle jouxtant la ville, afin de se mettre à l'écart des insurrections populaires. L'évolution de la ville de Tlemcen vérifie parfaitement les deux cas (voir supra) en sachant que c'est à la suite d'un soulèvement populaire que le sultan Abou'l-Abbès ordonna qu'on fît entourer le Méchouar d'une haute et forte muraille.
D'autre part, les villes musulmanes médiévales se trouvaient, à l'instar de ces semblables chrétiennes, constamment incluses dans des enceintes. Ces fortifications étaient édifiées dans le double but d'assurer la sécurité, mais aussi l'unité de la collectivité ; ceci parfois à des distances relativement importantes des limites de l'agglomération habitée pour permettre les cultures à l'intérieur des murailles, ainsi que pour garantir des réserves foncières aux nouvelles constructions (Pickvance, 1988). Au IXe et Xe siècle, les deux explorateurs elYâqoûbi et Ibn Hawqal font référence à la muraille de la ville d'Agadir (Berceau de Tlemcen) et même ne parlent que de celle-ci. Georges Marçais explique ceci par le fait que cette muraille était sans doute un des traits les plus notables du paysage urbain (Marçais, 1950). Ceci n'est pas invraisemblable en soi lorsqu'on sait que les habitants d'Agadir appelaient leur cité Medinet-el-Djidâr (la ville de la muraille).
2.4.La fonction résidentielle et sa sacralité
D'autre part, les villes musulmanes médiévales se trouvaient, à l'instar de ces semblables chrétiennes, constamment incluses dans.
L'espace central contraste singulièrement avec celui des quartiers de résidence. On enregistre alors une séparation rigoureuse entre les quartiers résidentiels et non-résidentiels. En se référant aux dires d'André Raymond (1994) c'est « le trait fondamental de la structure de la ville arabe traditionnelle ». La Houma au Maghreb, la Hara au Caire et à Damas, ou encore la Mahalla à Alep, la dénomination change selon les régions. Toutefois, la configuration reste la même : c'est un ensemble d'habitations homogènes à fonction résidentielle. Ces quartiers sont parsemés de "services publics", lieux de sociabilité par excellence, tels que les mosquées de quartier, les hammams, les fours banals, les zaouïas et les médersas (Redman, 1983). Les activités économiques n'apparaissent pas que sous la forme de petits marchés locaux non spécialisés (les souikas).
Socialement, l'assemblage des résidences n'obéit pas à un mode ségrégatif délibéré : les palais voisinent les maisons modestes procurant, ainsi, une complexité sociologique à ces entités résidentielles. Ainsi, dans ce souci d'égalité sociale, les maisons ne dépassaient presque jamais deux niveaux au risque de tomber dans l'ostentation. En effet, on évita, par scrupule religieux, de donner aux maisons une grande élévation, transgressant par conséquent les bornes de la modération (Benevolo, 1975; Ibn Khaldun, 1958). Face à cela, on peut trouver des séparations communautaires d'ordre ethnique telles que les quartiers juifs des médinas marocaines (Mellahs) ou le faubourg chrétien de Judayda à Alep. À Tlemcen, cette particularité prend une étendue saisissante durant la période ottomane. On assiste à un extrême marquage spatial selon les origines des habitants. La médina était divisée entre : les Turcs/Kouloughlis occupant les quartiers environnant le Méchouar (Militaires) ; les Maures étaient maîtres des secteurs marchands avec les juifs. Nous pouvons remarquer que le quartier juif se plaçait en position tampon entre les deux populations rivales (voir Fig. 1, cidessus). Une rivalité qui a dégénéré en dispute armée à plus d'une occasion. Mais avant l'arrivée des ottomans, il existait aussi un quartier chrétien (Hamma, 2016) destiné aux marchands venant des royaumes italiens et espagnols et même aussi des villes méridionales de France. Cette petite cité marchande, dénommée Al-Kissariya, était entourée d'une muraille crénelée et contenait deux églises pour le libre exercice cultuel des hôtes chrétiens (Bargès, 1859; voir aussi Guidetti, 2013 pour une discussion plus profonde sur la cohabitation des édifices religieux chrétiens et musulmans au Moyen-Âge).
3. La hiérarchie dans la morphologie urbaine
La société musulmane au Moyen-Âge est une réalité « construite dans l'espace et signifiée par l'espace » (Berardi, 1982). Cette spécificité socio-spatiale se traduit par un filtre graduel franchissant différents seuils d'intimité. La frontière public/privé se reconnait par un passage progressif à travers l'espace semi-public puis l'espace semi-privé. Le tout aboutit alors à un système de distribution cohérent : de la rue principale à la rue secondaire, de la rue secondaire à l'impasse, de l'impasse à la maison. Cet ensemble de cheminement nongéométrique, irrigue les quartiers et les relie au reste de la ville.
L'organisation physique du tissu de la médina de Tlemcen est elle aussi hiérarchisée par un filtre protégeant l'intimité de la vie familiale. En outre, on peut reconnaitre les marques les plus originales de l'urbanisme islamique à travers une hiérarchie, qui marque une progressivité du passage du domaine public vers le domaine privé (Germeraad, 1993). Elle se matérialise par la largeur du parcours, par sa forme (rectiligne ou sinueuse) et par sa position relative dans la hiérarchie morphologique.
Par ailleurs, nous partageons le point de vue de Jehel et Racinet (1996) qui selon eux «...l'emprise du privé dans le monde musulman est telle que la rue n'est jamais perçue comme espace public relevant d'un intérêt collectif. Elle n'est qu'un système de communication entre les quartiers privés, se réduisant le plus souvent à des impasses reliant un groupe de maisons et fermées la nuit ». Tout à fait caractéristique de ce point de vue est la notion de fini, la partie de la rue attenante à la maison est considérée comme l'extension de l'espace privé et sur lequel les juristes musulmans reconnaissaient certains droits aux propriétaires (Raymond, 1984; voir aussi Nooraddin, 1998).
Morphologiquement, les quartiers résidentiels des médinas médiévales se distinguent par une organisation arborescente : la voirie primaire sert de tige pour desservir les voiries secondaires et par la suite les impasses (voir Fig. 2, cidessus). Il n'y a qu'une seule façon d'aller d'un lieu à l'autre dans la ville ; on ne peut passer d'un quartier à un autre uniquement si on reprend le cheminement à partir de la rue principale. De cette manière, chaque quartier est indépendant ne participant nullement à l'organisation de la ville. Cette imperméabilité des quartiers résidentiels leur confère un caractère réfractaire aux incursions étrangères bannissant toute circulation de transit. Par sa discontinuité, elle diminue également la superficie consacrée aux rues par conséquent augmente la densité de l'espace construite.
Il est vrai que les impasses n'existent ni dans les villes de l'antiquité classique ni dans les villes du Moyen-Âge européen ; mais dans la ville sumérienne d'Ur, les quartiers résidentiels datant de l'époque de Larsa se distinguaient par des rues étroites et sinueuses, entremêlées d'impasses. C'est probablement à cause de ce cas mésopotamien qu'Eugen Wirth (1982) pense qu'« on ne peut pas qualifier l'impasse d'élément essentiel des villes islamiques ».
Par opposition aux rues tortueuses et aux impasses des quartiers d'habitation, les rues marchandes du souk dessinent des voies continues relativement larges et rectilignes. Ceci est aussi vrai pour les voies reliant le centre aux portes de ville qui parfois constituent en elles-mêmes des avenues marchandes. Tel que l'explique Leonardo Benevolo (1975), les boutiques ne sont jamais regroupées sur une place, mais alignées le long d'une ou plusieurs rues, couvertes ou découvertes, elles forment ce qu'on appelle en persan le bazar.
Dans l'un des premiers plans de la ville (levée établie au lendemain de l'occupation française, voir Fig. 1), nous pouvons constater que le plan général est commandé par le centre et les portes de la muraille, c'est-à-dire par les principales voies de circulation qui relient le centre tripolaire aux principales portes de la ville. À la différence des rues labyrinthiques des quartiers d'habitation, ces artères sont plus ou moins droites et relativement larges pour permettre le passage des marchandises et des montures, à partir de desquelles bifurquent des ruelles et des impasses donnant accès aux divers quartiers de la ville.
Il convient également de noter que sur la largeur des rues, le hadith prophétique, souvent évoqué, de l'Imam Muslim constitue un texte fondateur sur cette question ; nous citons : « Si vous êtes en désaccord à propos de la largeur d'une rue, faites-la de sept coudées.» (Raymond, 1994). Une grande partie des rues principales de la médina de Tlemcen mesurait entre 3 et 4 mètres (i.e. plus au moins sept coudées). Ceci n'est pas le cas des impasses qui dépassaient rarement les 1,5 mètre. Nous citons en l'occurrence l'exemple de la grande artère de la ville décrite par Georges Marçais : la première artère, bien que son l'alignement soit sans rigueur, relie diagonalement la porte d'Abou-Koura à la place centrale ou se trouve la grande mosquée ; la deuxième est le prolongement de la petite rue des Orfèvres reliant aussi la même place à la porte de Fès (Marçais, 1950). Richard Lawless et Gerald Blake (1976) soupçonnent l'existence d'une deuxième voie qui conduisait du centre vers Bab el Djiad et Bab El Qarmadine. Ces itinéraires représentaient les artères les plus importantes de la ville, elles formaient deux diagonales qui vont de porte à porte et qui se croisent dans le centre tri-polaire. Ce qui n'est pas sans rappeler la description d'Abou Abd Allah Al-Tenessy quand il écrivait que Tagrart au temps des almohades avait quatre portes principales. Cela dit, il ne serait pas raisonnable de supposer que ce plan ait eu le même tracé depuis sa fondation jusqu'à la vielle de la colonisation française.
4. Typologie d'un habitat : la maison à patio
Le modèle de l'habitat à cour centrale adopté par les musulmans est assez répandu autour de la Méditerranée. Il fit son apparition en Mésopotamie, ensuite, il se généralise au cours de la période hellénistique, puis avec la domination romaine. À cette époque-là, il correspondait foncièrement à des besoins fonctionnels. Cependant, la cour centrale méditerranéenne s'est modifiée au contact du paysage et des valeurs socioculturelles musulmanes (Hakim, 2008). L'influence de la civilisation musulmane, par la fermeture de la cour sur elle-même, le caractère serré de la trame urbaine, mais plus spécialement par la soustraction de toute visibilité de l'espace intérieur ; cette dernière est une spécificité musulmane dont on ne trouve pas d'équivalent dans le reste des villes méditerranéennes. De surcroît, l'introduction progressive de nouveaux éléments architectoniques, tels que les arcs outrepassés, les mosaïques et autres, a métamorphosé le vocabulaire esthétique antique.
Ainsi, le mode d'occupation du sol est devenu l'expression d'un enclos domestique. Il préserve le domaine privé par le contrôle des trois ouvertures : la cour centrale, la porte d'entrée, la fenêtre (Hakim, 2008). Cette dernière ne peut ni être au rez-de-chaussée, ni donnant sur la rue, encore moins sur le voisin ; la porte d'entrée s'accommode aux principes hérités du Maghreb comme l'accès disposé en chicane, de cette manière, elle brise la vue vers le coeur de la maison depuis l'espace extérieur.
Les descriptions des maisons tlemceniennes s'accordent parfaitement avec les explications développées plus haut, nous citons parmi les plus représentatives : « la maison arabe de forme carrée ou rectangulaire est extérieurement très simple. Les murs sont blanchis à la chaux. On ne voit pas de fenêtres donnant sur le dehors ; s'il y en a de très rares, ce sont de simples lucarnes percées le plus haut possible, pour éviter que les regards indiscrets des passants vinssent fouiller l'intérieur » (Bel, 1923 ; voir aussi Piesse, 1862). Nous ajoutons à cela qu'à l'arrivée des Français, les maisons de Tlemcen n'avaient généralement qu'un rez-de-chaussée, on y entre par une porte spacieuse ; un vestibule coudé muni de deux bancs précède la cour (Bargès et De Tassy, 1841). Ces bancs qu'on retrouve dans les bab ed-dar (portes d'entrée) sont appelés Dekkana. Ils étaient destinés à tous ceux qui ne sont pas de la maison et qui se devaient d'attendre dans le vestibule.
5. Le paysage urbain de la médina : une perception frontale
Dans les villes musulmanes, il arrive que quelques maisons enjambant la voie s'accolent à celles qui leur font face et créent ainsi de véritables rues couvertes. Communément appelé squifa à Tlemcen, le sabbât, qui est par définition un passage couvert, permet d'augmenter la surface à l'étage d'une maison et de fournir des passages frais et ombragés à travers les rues de la médina. Il avait également une fonction défensive, dans la mesure où il pouvait être barricadé, créant ainsi des obstacles infranchissables. Autre organe constructif enjambant la rue est l'arc d'entretoisement. Ces arcs étaient destinés à maintenir un écartement constant des supports muraux et à consolider leur assemblage.
Ceci nous conduit à souligner que la perception du paysage d'une médina est frontale : tout d'abord, parce que les parois latérales sont pratiquement aveugles et la largeur des rues ne permet pas d'avoir assez de recul pour les contempler ; mais aussi par l'existence d'événements visuels faisant face au visiteur (sabbâts ou arcs d'entretoisement) et diaphragmant la vue.
De plus, à l'inverse des rues des villes modernes où la rigueur des alignements fait que le regard s'échappe droit devant soi avec des perspectives ouvertes vers le lointain, les ruelles tortueuses de la médina de Tlemcen se découvrent à travers des perspectives volontairement brisées pour bloquer les regards et étouffer les échos. Plus encore, les bifurcations en Y produisent des jeux d'angulation perçus frontalement. À Tlemcen, les pans-coupés s'observent très fréquemment dans ces angles, donnant lieu à des motifs d'ornementation sur la partie supérieure. Ceci confère au paysage urbain un effet pittoresque et facilite sa lisibilité par des repères visuels forts (voir Fig. 3 et 4).
6. Conclusion
L'espace de la médina de Tlemcen, à l'instar de la majorité des villes islamiques du Moyen-Âge, est caractérisé par une centralisation des principaux établissements religieux et économiques. Il est également divisé en secteurs spécialisés, de telle manière que les quartiers compacts des zones résidentielles se distinguent nettement d'un secteur économique, morphologiquement beaucoup moins dense. Mais à travers le caractère défensif de la conception musulmane médiévale : l'enceinte, les rues coudées et les passages sous voutes tiennent une place de premier plan. À cela on pourrait ajouter que la ville islamique intègre en général la majeure partie des caractéristiques des villes médiévales européenne, entre autres, de par l'expression de son enclos, « tout espace de la ville est plutôt un enclos, tout l'espace de la ville est luimême un enclos » (Berardi, 1982). Ceci dit, dans le cas des villes musulmanes, cette fermeture est poussée au paroxysme pour des raisons climatiques, militaires et le souci constant de la protection de la vie privée.
Si toutes les médinas contiennent un nombre imposant et très variable de mosquées, une seule occupe une place prépondérante et centrale (la grande mosquée). À Tlemcen, on retrouve cette forme de hiérarchie fonctionnelle également pour les souks et les médersas. Il existait diverses médersas dans les quartiers résidentiels, mais une seule se situait au centre, il s'agissait de la médersa Tâchfiniya, un grand collège destiné aux hautes études ; il en est de même pour les souks, la Kissariya qui représentait le grand et luxueux marché était complétée par de petits marchés (souikas), des marchés secondaires qu'on retrouvait dans les quartiers résidentiels et dans les faubourgs. En ce sens, nous pouvons dire que les médinas incarnent une dynamique exceptionnelle de la centralité : un lieu de concentration et de convergence des fonctions urbaines indispensable à la vie d'un musulman.
D'autre part, les villes islamiques en tant qu'établissements humains suggèrent une croissance additive. Cela ne veut pas dire pour autant qu'elle soit le fruit du hasard, mais plutôt d'une conception volontariste (Radoine, 2011), se structurant par des voies nongéométrique reliant diverses destinations: la mosquée et la maison en étant les plus signifiantes. À Tlemcen, seuls les cheminements reliant le centre aux différentes portes qui sont des artères véritablement publiques, relativement rectilignes et assez larges pour permettre passage des charriots. Les voies distribuant les quartiers n'admettent pas ce système de déplacement qui est propre aux voies marchandes. Elles sont de leurs côtés semi-publiques, c'est-à-dire dont l'accès est soumis à des restrictions.
À l'issue de ce qui a été évoqué, nous pouvons dire que la médina de Tlemcen comporte incontestablement un très grand nombre de similitudes avec le modèle de la "ville islamique" développé par les historiens du début du XIXe siècle ; plus particulièrement, avec les villes qui géographiquement se localisent autour de la Méditerranée et dont la périodisation de leurs fondations remonte à l'époque médiévale. Ce qui est d'autant plus incontestable, étant entendu que les grandes Foutouhat ont favorisé la généralisation des mêmes idées sur l'ensemble du califat. En moins d'un siècle après l'éclosion de cette religion, plusieurs nouvelles villes prirent naissance reprenant le même modèle, celui de Médine (voir Lapidus, 1973). Première cité de l'Islam, cette cité servait de référence car elle était toute aussi la ville où le Prophète a vécu et où il a modelé les espaces et les lieux, conformément à un système de pensée islamique qui intervient non seulement dans chaque aspect la vie du croyant, mais aussi dans la vie communautaire et collective.
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Received: 7 May 2016 * Revised: 18 June 2016 * Accepted: 20 June 2016
Amine M. KASMI
Lecturer, Ph.D Student, Department of Architecture, University of Tlemcen (Algeria), e-mail: [email protected]
Messaoud AICHE
Associate Professor, Ph.D, Faculty of Architecture and Urbanism, University of Constantine 3 (Algeria), e-mail: [email protected]
Nabil OUISSI
Assistant Professor, Ph.D, Department of Architecture, University of Tlemcen (Algeria), e-mail: [email protected]
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Copyright Institutul National de Cercetare-Dezvoltare in Constructii, Urbanism si Devoltare Teritoriala Durabila "URBAN-INCERC" 2017
Abstract
On the question of the archetypal model of the Islamic city, several oriental researchers and orientalists tried to give some answers, each considering on his part on a specific aspect to the originality of these cities. Some even expressed great skepticism toward the concept of "Islamic city" as an urban ideal of the Muslim world. The purpose of this study is to confront various visions having a theoretical interest on this issue in order to trace the characteristics of the case study. As such, the medina of Tlemcen, capital of central Maghreb for nearly three centuries, is a privileged analysis field to study the type organization of Arab-Muslim cities. Thus, the hypothesis put forth is that this Medina had, in medieval and Ottoman period, a spatial configuration fully aligned with the model of "Islamic cities"; corroborating the idea of the existing common features shared by the historic cities of the Islamic world.
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