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Christophe Broqua et Catherine Deschamps (eds), Cynthia Kraus (collab.) - L'échange économicosexuel (2014). Paris, Éd. de l'EHESS « Cas de figure », 34, 418 p.
Cet ouvrage collectif captivant est le fruit d'un projet éditorial solidement problématisé autour et à propos du concept d'échange économico-sexuel forgé par l'anthropologue Paola Tabet. Il rassemble une partie des travaux issus d'un colloque sur le thème de la « sexualité transactionnelle », autrement dit toutes les formes de sexualité impliquant une rétribution. Cette focale sur les transactions sexuelles constitue un premier déplacement majeur par rapport à la perspective développée par l'anthropologue, qui conçoit l'échange économicosexuel comme un continuum allant du mariage jusqu'aux pratiques considérées comme relevant de la prostitution en tant que pièce maÎtresse « de la structure des rapports sociaux de sexe » 11. Dans cette grande arnaque, le surtravail reproductif et domestique non (ou mal) rémunéré des femmes permet aux hommes d'accumuler des ressources qui servent ensuite à rétribuer les femmes pour accéder à leur « sexualité requise et imposée comme un service » (ibid., p. 44) par la violence et la limitation d'accès à la connaissance. « Oppression sexuelle, limitation de la connaissance et exploitation économique » (ibid., p. 58) apparaissent intrinsèquement liés dans cette « amère duperie » spécifique aux rapports de genre.
Les dettes et les critiques à l'égard de ce travail pionnier foisonnent dans cet ouvrage. Broqua et Deschamps soulignent à juste titre que la perspective intersectionnelle permet « d'adopter une définition plus relationnelle, situationnelle et historicisée des rapports de pouvoir notamment en référence aux 'tactiques', aux 'arts de faire' (De Certeau 1990) ou aux 'arts de la résistance' » 12. Il s'agit aussi pour les auteur.e.s de mieux intégrer à la démarche socio-anthropologique des aspects peu traités par l'approche matérialiste : le plaisir, les désirs, les sentiments, les affects et les émotions. Au fil de quinze contributions remarquables, les auteur.e.s apportent des conclusions décisives, nuancées et empiriquement robustes aux débats intéressant l'ensemble des recherches développées dans une perspective intersectionnelle, liant étroitement les rapports de genre et de classe avec les rapports ethniques (i.e. des rapports mettant en jeu des classements sociaux fondés sur l'origine, plus ou moins radicalement naturalisés en classements 'raciaux' infranchissables).
En ce qu'elle reflète assez fidèlement la posture adoptée...