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On s'accorde souvent pour faire de Charles Baudelaire l'homme qui a consacré Edgar Allan Poe, qui lui a offert un écrin et, selon certains même, une forme, un style. Bref, l'Américain ne devrait son talent qu'à son plus illustre traducteur. Il est encore d'habitude de lire l'auteur de La chute de la maison Usher pour y retrouver, voire y poursuivre, la rencontre avec celui des Fleurs du mal. Une réminiscence qui, si elle a assuré la postérité du premier, le place indéfiniment sous la botte du second. Pas de malveillance là-dedans, mais un caprice littéraire à double tranchant.
Comme d'autres - on pense à William Faulkner ou encore à H.P. Lovecraft - Edgar Poe possède un destin français bien différent de celui de sa patrie d'origine. Cette vision a été façonnée par Baudelaire, lui-même influencé par la nécrologie et la biographie pleine de haine et de jalousie écrite peu après la mort de Poe par Rufus Griswold, qui s'est autodéclaré exécuteur testamentaire. L'ex-révérend entretenait avec l'écrivain une relation pour le moins conflictuelle, depuis une critique mal passée. La rancune fut tenace, y compris post mortem.
POÈTE MAUDIT
Aidé par les textes au vitriol de Griswold, qui faisait de Poe un être vil et sordide, un ivrogne chronique, Baudelaire dresse le portrait d'un poète maudit. A la façon de Sainte-Beuve et de sa critique biographique confondant la vie et l'oeuvre d'un auteur, Baudelaire cherche Poe dans ses nouvelles: «Les personnages de Poe, ou plutôt le personnage de Poe, l'homme aux facultés suraiguës, l'homme aux nerfs relâchés, l'homme dont la volonté ardente et patiente jette un défi aux difficultés, celui dont le regard est tendu avec la roideur d'une épée sur des objets qui grandissent à mesure qu'il les regarde - c'est Poe lui-même.»
Et pourtant. Mélancolique, sombre et lumineux, sordide, un être d'exception...