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Abstract
A new scientific era is opening in drug research. Greater complexity, the exploding costs of developing new products and the necessity of a multidisciplinary approach all have implications for the structure of companies and the organization of research. Despite quite real advantage, France, we must admit, does not have a "pole of excellence" capable of positioning itself internationally and helping the drug industry benefit from a host of new companies innovating in ground-breaking techniques.
Full text
Une nouvelle ère scientifique s'est ouverte à la recherche du médicament : une complexité accrue, une croissance exponentielle des coûts de développement, une nécessaire pluridisciplinarité ont des implications en terme de structure des entreprises et d'organisation de la recherche. Force est de constater que la France, malgré de réels atouts, ne dispose pas aujourd'hui de « pôle d'excellence » capable de s'étalonner au plan mondial et de faire bénéficier l'industrie du médicament d'une multiplication d'entreprises émergentes et innovantes dans les techniques les plus pointues.
Si l'avenir des entreprises du médicament intéresse, voire préoccupe tout un chacun bien au-delà des cercles professionnels de la médecine ou des spécialistes économiques, c'est bien parce que consciemment ou non nous réalisons que le progrès thérapeutique, la victoire sur des maladies et des souffrances jusqu'ici invaincues est entre les mains des chercheurs de ce secteur. Aucune industrie n'est autant vouée au progrès que les entreprises du médicament, qui trouvent dans l'innovation permanente au service de la santé leur légitimité et leur raison d'être. Elles seules assurent un continuum unique dans la chaîne du progrès thérapeutique, de la recherche fondamentale au malade, en liaison ou en partenariat selon les étapes avec la recherche académique ou avec les praticiens hospitaliers.
Les entreprises peuvent revendiquer l'accomplissement de leur mission : en allant contre les idées reçues et en considérant les faits, il faut en effet reconnaître que cette recherche, s'appuyant sur l'évolution des connaissances médicales, a produit ces trente dernières années plus de médicaments et vaccins que n'en avaient vu naître les années et siècles précédents.
L'industrie des médicaments poursuit sa vocation, mais elle entre dans une nouvelle ère, où la compréhension des maladies et les possibilités de prévention et de traitement sont bouleversées par les progrès des sciences de la vie. Génomique, protéomique, pharmacogénomique : ces notions introduisent des approches totalement nouvelles pour de multiples pathologies, alors même que les champs à explorer restent immenses : maladies chroniques, maladies dégénératives, maladies émergentes, ou réemergentes comme la tuberculose, maladies de société comme l'obésité ou le diabète, maladies génétiques...
La Recherche des entreprises du médicament fait donc face à un avenir riche en perspectives. Mais une des évolutions majeures que traverse le médicament, son industrie et sa recherche est sa mondialisation. Son évolution en France représente un véritable enjeu de santé publique.
De l'hypothèse au succès : dix ans de recherches
Transformer une hypothèse scientifique en un nouveau médicament est un parcours d'environ 10 à 12 ans. La recherche thérapeutique s'inscrit dans une échelle de temps peu comparable à d'autres secteurs, et la prise en compte de ce délai doit précéder toute analyse des résultats ou des perspectives de cette recherche.
En s'inscrivant dans une période de référence « moyen terme » en harmonie avec la durée des développements, l'efficacité de la recherche des entreprises apparaît incontestable : entre 1975 et 2002, 1460 nouvelles entités moléculaires ont été mises sur le marché. Si l'on porte un regard qualitatif sur les innovations les plus récentes, des avancées majeures apparaissent également.
Depuis dix ans, de nombreux médicaments ont permis de mieux lutter contre le cancer, le sida, l'hépatite C, la dépression, la schizophrénie, le diabète, l'hypertension artérielle, l'asthme...
Après l'identification du virus HIV en 1983, le premier traitement apparaissait dès 1987, l'AZT. Depuis, se sont succédés des traitements plus efficaces, d'utilisation simplifiée, aux effets indésirables atténués. 24 médicaments, appartenant à 4 classes thérapeutiques distinctes, sont aujourd'hui disponibles, tandis que la piste du vaccin thérapeutique ou préventif, avance.
Ces dernières années ont vu naître quelques innovations fondamentales pour la santé : la progression des anticorps monoclonaux puis des récepteurs solubles dans les traitements de maladies auto-immunes comme la polyarthrite rhumatoïde ou la maladie de Crohn, les premiers vaccins destiné à prévenir les méningites et les pneumonies à pneumocoques souvent mortelles chez les jeunes enfants, ou encore l'imatinib, traitement de In leucémie myéloïde chronique, l'une des premières molécules « ciblées » contre les cancers.
La cancérologie est d'ailleurs un domaine en pleine révolution du point de vue des médicaments. Comme le souligne Ic Professeur David Khayat (1) : «La Recherche n'a jamais fait autant de progrès dans ce domaine, et l'on peut, sans grande peur de se tromper, affirmer que l'on a plus gagné en matière de survie dans cette maladie - de vie en plus - au cours des vingt dernières années que l'on en avait gagné au cours des vingt siècies précédents. (...) Tous ces progrès nous donne le sentiment (...) d'un foisonnement d'approches et de concepts nouveaux dont on peut raisonnablement être sûr qu'ils viendront demain prendre la relève, dans la lutte contre le cancer, de nos vieilles armes, un peu fatiguées ». Ainsi, les anticorps monoclonaux, ciblés dans leur action sur certaines tumeurs, ont déjà apporté des améliorations significatives dans certains cancers du sein métastasés ou dans des lymphomes. L'année 2004 aura vu naître le premier médicament capable de freiner l'angiogenèse, c'est-à-dire le développement des vaisseaux sanguins qui nourrissent la tumeur dans les cancers du colon. D'autres progrès sont à souligner en matière de qualité de vie pour le malade : anti-cancéreux par voie orale ou meilleure tolérance dans les chimiothérapies. Des avancées significatives sont à noter dans les traitements associés, permettant de limiter les anémies ou d'améliorer les soins palliatifs. Le bilan 2003 que présentaient les entreprises du médicament en France se situait à un niveau élevé : 42 avancées thérapeutiques étaient reconnues. La cardiologie a connu des avancées notables en matière de prévention, notamment depuis l'apparition des statines.
Ces succès attestent la capacité d'innovation de la recherche des entreprises. Cette créativité ne se reflète pas seulement à travers la création de nouvelles entités moléculaires. Les améliorations en matière de traitement, les indications nouvelles pour un médicament existant, les modifications de stratégies thérapeutiques ne sont souvent pas classées au rang d'« innovation », alors qu'elles résultent de recherches poussées et qu'elles peuvent changer la vie de nombreux malades. Les associations broncho-dilatateurs/corticoïdes inhalés dans l'asthme, les nouvelles indications du docetaxel dans le cancer du sein, les combinaisons vaccinales s'inscrivent dans cette ligne.
Si la productivité actuelle préoccupe, car le nombre de nouvelles molécules mises sur le marché connaît un incontestable fléchissement (voir la figure 1), il convient aussi de rappeler que les médicaments qui arrivent aujourd'hui à disposition des malades sont les fruits des recherches entamées il y a souvent plus d'une dizaine d'années. La distance qui sépare la découverte de l'effet pharmacologique d'une molécule, ou l'identification d'une cible de la disponibilité effective d'un médicament administrable à l'homme peut être beaucoup plus longue (voir la figure 2) (2). Ces résultats ne peuvent que partiellement refléter directement le dynamisme et les évolutions de tendance qui se dessinent en profondeur dans la recherche.
Fig. 1. - Le nombre de nouvelles molécules mises sur le marché connaît un incontestable fléchissement.
Intégration des biotechnologies, multiplication des approches et complexité croissante
Un des signes les plus tangibles de l'évolution de la Recherche thérapeutique est incontestablement l'explosion de son coût, qui connaît une croissance exponentielle depuis 20 ans (voir la figure 3).
Fig. 2. - Los médicaments qui arrivant aujourd'hui à disposition des malades sont les fruits des recherches entamées il y a souvent plus d'une dizaine d'années. La distance qui sépare la découverte de l'effet pharmacologique d'une molécule ou l'identification d'une cible de la disponibilité effective d'un médicament adniinistrable à l'homme peut être beaucoup plus longue.Fig. 3. - Un des signes les plus tangibles de l'évolution de la Recherche thérapeutique est incontestablement l'explosion de son coût, qui connaît une croissance exponentielle depuis 20 ans.
La création d'une nouvelle entité moléculaire est devenue d'année en année toujours plus mobilisatrice de ressources financières : entre 500 et 800 millions d'euros pour un médicament, d'après le Tufts Center for the Study of Drug Development. Ce coût avait été estimé entre 200 et 300 millions de dollars dans les années 80 et à encore deux fois moins dans les années 70. En 10 ans, l'investissement nécessaire à la mise au point d'une nouvelle entité moléculaire a doublé.
Cette augmentation traduit notamment les changements technologiques profonds intervenus dans la Recherche qui s'articulent schématiquement sur deux axes :
- d'une part la rationalisation et l'informatisation des processus de Recherche à travers la chimie combinatoire, le criblage à haut débit et ia modélisation moléculaire,
- d'autre part l'intégration des biotechnologies tant dans les étapes amont d'identification des « cibles » que peuvent atteindre les médicaments, que comme « matière première » organique, qui conduit au biomédicament.
Le processus de la Recherche actuel conjugue donc une compréhension approfondie des mécanismes pathologiques à travers la génomique et la protéomique, la biologie et la chimie, et s'appuie sur l'informatique et la robotique afin de gérer et d'analyser d'innombrables données pour mettre au point « la » molécule efficace, la plus sûre possible.
La chimie combinatoire permet de synthétiser en parallèles des groupes de composés, créant ainsi des « bibliothèques » de 10 000 à 500 000 molécules qui constituent la « collection » stratégique de la recherche de l'entreprise, et seront testées par des techniques de criblage robotisé à haut débit sur des cibles identifiées et pré-sélectionnées. Les procédés les plus récents permettent de tester jusqu'à 100 000 composés par jour, générant de formidables quantités de données qui ne peuvent être traités qu'en utilisant un stockage sophistiqué et des techniques d'analyse informatisées. Les entreprises ont massivement investi dans ces équipements qui ont représenté plus de la moitié des dépenses consacrées à la recherche « amont », selon une étude du CMR (Center for Medecines Research international) auprès des 17 premiers groupes du secteur.
Cette approche massive de la recherche de médicament s'est développée au cours des années 80/90 dans la perspective d'augmenter le nombre de produits susceptibles d'entrer en développement, car quelques « touches » seulement sortiront de ce tri : environ 1 % des molécules criblées démontrent un niveau d'activité satisfaisant.
Si le process n'est pas remis en cause, la course au gigantisme dans le nombre de molécules testées semble faire place à des démarches plus qualitatives et liées, notamment, à une étude préliminaire approfondie des cibles. Le travail en amont sur l'identification et la pertinence de la cible thérapeutique est un des apports majeurs des biotechnologies dans la recherche de médicaments nouveaux. Il a été littéralement bouleversé par l'apport de la génomique et de la protéomique qui permettent d'identifier gènes ou protéines impliqués dans les maladies et susceptibles de devenir des cibles thérapeutiques. Ces connaissances permettent de rationaliser très tôt le process de recherche de nouveaux médicaments et d'élargir considérablement le champ de cette recherche. On estime aujourd'hui que l'ensemble des médicaments disponibles ne ciblerait, par leur action, que 500 gènes ou protéines. Sachant que le génome humain comporte environ 35 000 gènes distincts et environ 200 000 protéines, et que nombre d'entre elles sont impliquées dans le développement de pathologies, on mesure l'étendue des perspectives. Mais la « vague génomique » est comme une lame de fond : elle arrive inéluctablement, mais sans l'effet tour-billon d'un raz de marée. En 2001, 70 % des cibles sur lesquelles travaillaient les entreprises étaient issues d'une approche traditionnelle (3).
La cible validée, une « bibliothèque » de molécule peut être criblée, mais les technologies de modélisation moléculaire peuvent aussi contribuer à développer de nouvelles approches dans la recherche de médicaments ciblés. La structure de la cible est étudiée et les chercheurs travaillent ensuite à la mise au point du modèle de molécule susceptible d'interagir avec elle. Les produits les plus proches sont ensuite synthétisés et testés. C'est ainsi qu'ont été mis au point les antiprotéases actives contre le VIH. D'autres médicaments très innovants relevant de la chimie de synthèse ont fait appel aux biotechnologies dans leur conception à travers l'identification d'une cible cellulaire nouvelle : l'imatinib, qui a radicalement modifié le traitement de certaines leucémies, ou les inhibiteurs de fusion dans le traitement contre le VIH. Il est intéressant de noter que ces molécules ont connu des temps de développement nettement diminués, leur action très ciblée dés leur conception permettant de limiter, entre autres, les essais cliniques.
Les biomédicaments : une part croissante de l'innovation
Les biotechnologies ont déjà en partie changé la nature de la Recherche, mais ont aussi considérablement élargi le champ des investigations en permettant par le génie génétique l'utilisation du vivant comme substance active. Les vaccins ont été précurseurs dans cette utilisation de micro-organismes vivants, mais il faut également citer les insulines recombinantes dans le traitement du diabète qui se substituent depuis plus de vingt ans aux produits d'extraction.
Les biomédicaments prennent ainsi une place croissante dans l'innovation pharmaceutique : en 2003, 40 % des nouveaux médicaments mis à la disposition des malades et plus du tiers des nouveaux médicaments en développement étaient d'origine biologique. Cette tendance va encore s'accentuer dans les années à venir (voir la figure 4).
D'ici 2010, entre 82 et 137 médicaments de biotechnologies devraient être mis à disposition des malades. Ainsi, selon l'étude réalisée par A.D. Little, les biomédicaments représenteraient alors 12 % du marché mondial du médicament, soit plus de 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires.
Sur un pipe-line mondial de médicaments estimé à plus de 5 000 molécules (4) en 2003 (toutes phases confondues), 1/4 des projets de Recherche portaient sur des médicaments de biotechnologies.
Fig. 4. - Les biomédicatnents prennent une place croissante dans l'innovation, pharmaceutique : en 2003, 40 % des nouveaux médicaments mis à la disposition des malades et plus du tiers des nouveaux médicaments en développement étaient d'origine biologique. Celle tendance va encore s'accentuer dans les années à venir.
La multiplication des compétences et leur maillage au coeur de la recherche
Ainsi, comme le souligne encore le rapport Rexecode, la Recherche du médicament est entrée dans une nouvelle ère scientifique, celle d'une complexité accrue et de la nécessaire pluridisciplinarité. La recherche conjugue désormais : « la gestion de bases massives d'information avec la nécessité pour le chercheur du vivant d'assimiler les sciences de l'ingénieur telles que la bio-informatique, la robotique, l'électronique ou encore l'optique. Avec le décodage du génome humain et les progrès des techniques de traitement de l'information, l'approche biotechnologique ne se situe plus seulement dans les produits finaux élaborés, mais touche également la démarche intellectuelle du chercheur. ».
Complexité et croissance des coûts de développement (qui deviennent, de loin, la phase la plus onéreuse de la mise au point d'un nouveau médicament) ont des implications en terme de structure des entreprises et d'organisation de la recherche. Globalement, des ressources beaucoup plus importantes sont consacrées à la recherche et au développement de nouveaux médicaments (près de 56 milliards US$ en 2002 contre 16 milliards environ en 1990). Les entreprises focalisent leurs objectifs et rationalisent leur portefeuille, en éliminant plus précocement les candidats médicaments qui n'apportent pas le niveau de preuve ou de sécurité requis. Enfin, fusions et acquisitions se sont multipliées conduisant aussi à des recentrages stratégiques de la recherche.
Plus en profondeur, peut-être, se dessine la multiplication des acteurs et des partenariats croisés, de formes multiples rendues nécessaires par cette mise en oeuvre de compétences très diversifiées. Au tout développement interne se substituent dans de nombreux groupes des coopérations dont les modalités sont très variables : partenariats recherche académique / recherche privée, coopération entre groupes, coopérations, licences ou prises de participation entre des entreprises « généralistes » du médicament et des entreprises émergentes spécialisées en biotechnologie (voir la figure 5). Aujourd'hui, 25 % environ (5) des budgets de Recherche des entreprises sont externalises vers des partenariats académiques, des coopérations avec des entreprises de biotechnologie ou des prestataires de recherche clinique. Cette approche n'est pas universelle : Sanofi-Aventis revendique une stratégie beaucoup plus internalisée que d'autres groupes, choisissant d'intégrer au sein de l'entreprise cette pluralité des compétences. Elle tend néanmoins à progresser.
Dans cette optique, opposer la recherche académique - dont le rôle est essentiel et le soutien indispensable - et les industries de recherche traduit une méconnaissance des nécessités actuelles en termes de découverte. Dans le même ordre d'idées, définir comme antinomique le développement start-up / grand groupe, qui serait de plus une spécificité du médicament, est aussi peu pertinente.
Tous les secteurs de haute technologie sont caractérisés économiquement par la création foisonnante d'entreprises innovatrices. Et toutes jouent un rôle clé dans l'innovation et la technologie de leur domaine d'activité : c'est aussi vrai dans les télécommunications, les logiciels ou les semi-conducteurs. L'industrie du médicament ne peut, dans sa globalité, que bénéficier d'une multiplication des entreprises émergentes et innovantes dans les techniques les plus pointues. Elles sont le reflet même du dynamisme créatif de l'innovation dans ce secteur. Ce sont d'ailleurs les pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, dont la recherche publique est très élevée et qui disposent d'un grand nombre d'entreprises spécialisées en biotechnologie qui sont les plus productifs en terme de nouvelles molécules.
Fig. 5. - Progression des alliances entre entreprises généralistes et entreprises de biotechnologie au niveau mondial (1994-2000).
Comme le soulignait encore le rapport Rexecode : « La mutation réelle de la recherche est de nature à remettre en cause les positions établies, si bien que la plupart des pays déploient des efforts considérables pour conserver une position attractive et inciter les entreprises à implanter ou maintenir leurs centres de Recherche sur le territoire national. (...) Dans le domaine des biotechnologies on assiste à l'émergence de « cluster » ou réseaux d'acteurs travaillant en partenariats sur des sujets connexes et géographiquement proches ». Ces « pôles d'excellence » s'articulent autour de centres de recherche privée d'entreprises, de centres académiques, de satellites d'entreprises émergentes et de prestataires de service hautement spécialisés. « Un maillage des expertises et des programmes de Recherche est indispensable au développement d'un cluster. (...) Parce que la diffusion des savoirs dépend de la multiplication des échanges, ces trois acteurs (entreprises du médicament, recherche académique, start-up) ne peuvent être géographiquement trop éloignés. ».
La France, un territoire pour la recherche de demain ?
Nous en venons ainsi à la question de la position française dans ces évolutions. Force est de constater que nous ne disposons pas aujourd'hui de « pôle d'excellence » capable de s'étalonner au plan mondial et regroupant de façon effective dynamique et lisible l'ensemble des acteurs. Or une délocalisation des centres de recherche privés et un lien faible ou pauvre avec la Recherche académique aura aussi pour conséquence le départ ou l'absence de développement des entreprises émergentes. Rexecode souligne encore : « il serait ainsi particulièrement inefficace de privilégier une politique de soutien aux biotechnologies sans se préoccuper du développement de pôle de compétence académique ». Or les partenariats public/privé en France sont nombreux mais ponctuels et rencontrent de réels obstacles. Comme le remarquait récemment Daniel Darmon, conseiller économique à la Datar (6) : « il manque, pour construire un véritable « biocluster » en France, une vision commune des enjeux à court et moyen termes de la recherche qui permettrait aux industriels et aux chercheurs de travailler ensemble ».
C'est un enjeu capital car on assiste à une redistribution mondiale des paramètres de compétitivité, et les avantages concurrentiels des nations ne sont pas les même selon les 5 phases identifiées de la « chaîne » du médicament décrite dans le rapport Rexecode. Dans la phase de recherche qui nous intéresse les facteurs d'attractivité du territoire résident précisément dans l'existence de clusters, ou l'association d'un haut niveau et la proximité de la Recherche publique, la vitalité des sociétés de biotechnologies et la présence de pôles multicompétences autour des sciences de la vie (bioinformatique, génétique...). Or, le « pôle d'excellence » génère des effets cumulatifs. Une fois formé et reconnu au plan mondial, il attire de nouveaux projets. La France a de réels atouts pour développer de tels pôles qui favoriseraient le maintien de la recherche des entreprises du médicament et pourrait créer une dynamique de déploiement de nouveau centres : un haut niveau de formation des chercheurs, une compétence internationale reconnue dans certains domaine comme le cancer, une position actuellement forte des entreprises du médicament. S'appuyer sur ces forces, développer une politique de Recherche volontariste dans les sciences du vivant, favoriser, comme le préconisait le rapport « PharmaFrance 2004 » d'Antoine Masson, les partenariats de Recherche public/privé, soutenir les phases critiques de développement des projets de biomédicaments pour éviter leur fuite vers des clusters américains, soutenir deux, ou trois pôles d'excellence dont la visibilité serait forte internationalement : voici des actions susceptibles d'utiliser notre génie propre pour que la mutation de la recherche thérapeutique s'ancre fortement en France.
En effet, les entreprises du médicament n'ont cessé de s'adapter à l'évolution des paradigmes scientifiques, des besoins de santé publique, des réglementations. Elles poursuivront leur adaptation, et leur recherche sera toujours le moteur de leur évolution. Il n'y a certainement pas aujourd'hui un modèle, mais bien plusieurs types de développement répondant à ces mutations, selon les choix stratégiques des entreprises (ancrage sur des niches, orientations généralistes...). Mais la question de la localisation de ces nouveaux centres reste un enjeu, pour la plupart des entreprises à vocation mondiale, qu'elles aient ou non leur siège d'origine en France, pour l'ensemble de la chaîne de l'accès aux soins les plus innovants pour le malade, et donc pour la santé publique.
(1) Professeur David Khayal « Les chemins de l'espoir » (Odile Jacob).
(2) Pour mémoire : la pénicilline est découverte en 1 920, mais les premières molécules administrables n'apparaissent que vers 1940, et c'est les années 1960 et 70 qui introduisent massivement les pénicillines avec la mise au point de l'ampicilline, puis de l'amoxicilline qui reste l'antibiotique le plus prescrit dans le monde. Autre exemple : les taxanes, famille d'anticancéreux ont été découverts clans les années 60, mais les « médicaments » ne sont disponibles que depuis une dizaine d'années.
(3) Docteur Martine Joras, « La révolution génomique », Le quotidien du médecin 7 septembre 2004.
(4) Données IMS Health 2003.
(5) Chiffres EFPIA.
(6) Le Monde Economie, 30 novembre 2005, cité par Antoine Reverchon dans « Les biotechnologies françaises se refont une santé ».
par Bernard Lemoine, Vice-Président délégué du Leem (*)
(*) LEEM : Les entreprises du médicament.
Copyright Editions ESKA Feb 2005