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Après une introduction timide au début des années 2000 1, le mot et l'idée d'Anthropocène ont connu un succès exponentiel à partir de 2010. Des revues scientifiques, des colloques, des ouvrages et des articles de presse se sont appuyés sur cette innovation sémantique pour donner un nouvel élan à la réflexion sur la crise climatique et l’état de la planète Terre. Il semble que le terme soit aujourd'hui pleinement entré dans notre vocabulaire et soit même devenu le mot-clé de la pensée environnementale contemporaine, et cela en dépit de la variété d'acceptions qu'il peut recouvrir. L'Anthropocène est d'abord le nom de baptême d'une nouvelle époque géologique durant laquelle les effets de l'activité humaine, notamment les émissions de CO2, définissent les conditions de formation des strates géophysiques et des équilibres atmosphériques : c'est l’âge de l'homme, au sens où celui-ci est devenu la force géologique dominante. De nombreux débats se sont ensuite ouverts au sujet de la périodisation à adopter 2, ou à propos du bien-fondé à désigner l'humanité générique comme cause de ces transformations 3. Mais, au-delà de ces discussions, l'essentiel est de constater que l'Anthropocène est rapidement devenu un foyer de controverse inévitable pour ceux qui entendent diagnostiquer l’état des sociétés contemporaines au regard de l'environnement, y compris pour ceux qui refusent d'adopter ce terme pour des raisons épistémologiques ou politiques. Le point commun à toutes les parties impliquées dans ces débats, qu'elles viennent des sciences naturelles ou des sciences sociales, est l'idée que le changement climatique est le point d'entrée décisif dans l'interprétation du présent. Parler d'Anthropocène, c'est en effet suggérer que le changement climatique et ses conséquences catalysent une synthèse empirique et normative de l'actualité du monde. Qu'il s'agisse de conservation des espèces, de gestion des ressources, mais aussi de droit international, de défense ou de l'avenir des démocraties, la rationalité anthropocénique apparaît comme un cadre extrêmement large auquel toute interrogation est susceptible de reconduire. Naturellement, les sciences sociales, dans leur variété interne, ne se sont pas unanimement engagées dans ce débat, ne serait-ce que pour des raisons de préférences thématiques et de division du travail intellectuel ; il existe bien d'autres analyseurs du présent historique, d'autres façons d'en mener la critique. Mais il est possible de suggérer que...