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Trilogie monumentale attestant du talent d'une artiste au sommet de son art, l'exposition en trois volets Room(s) to move: je, tu, elle de Sophie Jodoin1 force l'admiration. Lauréate en 2017 des prix Louis-Comtois et Giverny Capital, qui récompensent l'excellence artistique, Jodoin est sans contredit l'une des figures incontournables de l'art actuel au Québec. Ce projet bicéphale, réfléchi en collaboration avec la commissaire Anne-Marie St-Jean Aubre, est l'occasion d'une synthese ouverte sur l'artiste et sa pratique. Puisés dans un imposant corpus d'œuvres créées au cours des sept dernieres années et fruit d'un long travail d'archivage, plus de 150 dessins, collages, sculptures et autres artéfacts issus de l'atelier de l'artiste nous sont donnés a voir pour la toute premiere fois. Jodoin fait le tour d'horizon d'une anthropologie de la femme et de ses possibles déclinaisons, mettant en exergue le caractere multiple et performatif de l'identité a travers une dialectique architecturale et discursive conjuguée au féminin.
Comme son titre l'annonce, Room(s) to move: je, tu, elle propose en parallele trois espaces-temps ou se déploie l'identité fragmentée d'une femme. L'exposition est constituée d'innombrables combinaisons ou chaque œuvre participe a la redéfinition de cette identité, identité qui se voit édifiée sous le poids des structures normatives et invariablement déterminée a partir de sa position d'altérité. Car je est une autre. D'abord sujet, je prend la parole a partir d'un corps situé qui s'affirme a la premiere personne, énonciation hautement politique d'un devenir-femme accordé au présent. Puis vient l'impératif. Tu, cette identité simultanément autre et familiere qui est sans cesse rappelée a l'ordre, sommée de se conformer. Et enfin elle, objet désincarné du discours. L'éternelle absente qui jamais ne l'emporte sur le masculin, grand détenteur de l'objectivité et de l'universel. Je est donc une autre, et c'est a l'intérieur de ce mouvement, de cette oscillation syntaxique constante, que se révele la femme, déployée a travers cette exposition-bilan.
Room(s) to move: je, tu, elle dresse en quelque sorte un portrait pluriel de Jodoin et de son processus de création de la derniere décennie, irrévocablement marqué par la présence du langage comme mode opératoire. Dans des extraits littéraires, des index, des pensées intimes gribouillées, des listes encyclopédiques, des cahiers de notes, des couvertures de livres, voire des phrases en braille, les mots prennent...