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Alexander Bevilacqua et Frederic Clark (dir.) Thinking in the Past Tense: Eight Conversations Chicago, The University of Chicago Press, 2019, 224 p.
L’ouvrage rassemble les conversations conduites entre les deux directeurs et huit historiens : cinq hommes et trois femmes, sept Anglais et Américains et un Français. Le livre est donc d’abord une série d’ego-histoires, un genre dont le succès ne se dément pas, mais qui est pratiqué aujourd’hui avec une conscience plus aiguë des pièges tendus par l’illusion biographique. Ainsi, interrogée sur ses intérêts intellectuels, Ann Blair commence sa réponse en disant : « Rétrospectivement, la vie peut sembler suivre une trajectoire bien dessinée, mais à chaque moment, vous avancez le long du chemin avec ce qui semble la meilleure décision possible » (p. 15). Questionnée sur la cohérence de ses différents intérêts, Lorraine Daston souligne que sa réponse est « rétrospective et elle doit être reçue cum grano salis. Elle est une reconstruction rationnelle, comme on dit dans le monde de la philosophie des sciences » (p. 48). La réticence, surmontée au demeurant, face à l’ego-histoire est ainsi exprimée par Quentin Skinner : « J’ai été élevé de manière à croire que parler de soi n’est pas convenable » (p. 206).
Les huit historiens présents dans le volume appartiennent à plusieurs générations. Un seul (Skinner) est né durant la Seconde Guerre mondiale, quatre appartiennent à la génération de l’immédiate après-guerre (Benjamin Elman, Jill Kraye, Anthony Grafton et Daston nés entre 1946 et 1951) et trois (Blair, Peter Miller, Jean-Louis Quantin) à la décennie de 1960 (Miller fut étudiant de Skinner et Blair, de Grafton). À ces trois générations, les maîtres d’œuvre de l’ouvrage en ajoutent une quatrième : la leur. Alexander Bevilacqua et Frederic Clark ont soutenu leur thèse à Princeton en 2014, tous deux sous la direction de Grafton. Ce qui rassemble tous ces historiens est leur commun terrain de recherche : l’histoire intellectuelle de la première modernité, entre le
Le propos des deux directeurs est clair : montrer que l’histoire intellectuelle, donnée pour morte en 1980, est devenue « l’un des domaines les plus dynamiques de la recherche historique » (p. 1). Ni l’histoire sociale, identifiée à tout jamais avec la French Annales...