Resumen Una parte esencial de la no verbalidad es la kinésica que abarca movimientos del cuerpo humano y la gestualidad articulada en el rostro. En un acto comunicativo, los gestos adquieren una importancia clave en la interpretación de mensajes emitidos, pudiendo llegar, incluso, a contradecir lo dicho. En un texto literario, especialmente de índole realista, estos gestos se corresponden con las actitudes de los personajes y aportan una imagen fidedigna de su comportamiento y personalidad. La elección del aparato kinésico en una obra concreta genera en el lector unas determinadas simulaciones perceptivas que, además, completan la interpretación literaria cognitivamente. El presente artículo se dispone a examinar las manifestaciones kinésicas en la novela L Assommoir de Émile Zola y a relacionar sus características con la estética naturalista.
Palabras clave: Naturalismo. Kinésica. Bestia humana. Clase obrera.
Résumé Une partie essentielle de la non-verbalité est la kinésie qui englobe les mouvements du corps humain ainsi que les gestes articulés sur le visage. Dans un acte de communication, les gestes acquiérent une importance capitale dans l'interprétation des messages émis, pouvant méme aller a lencontre de ce qui a été dit. Dans un texte littéraire, surtout de nature réaliste, ces gestes correspondent aux attitudes des personnages et fournissent une image fiable de leur comportement et de leur personnalité. Le choix de l'appareil kinésique dans un travail spécifique génére chez le lecteur certaines simulations perceptuelles qui, en outre, complétent l'interprétation littéraire cognitivement. Cet article est sur le point d'examiner les manifestations kinésiques du roman L 'Assommoir d'Émile Zola et de relier ses caractéristiques a l'esthétique naturaliste.
Mots clé : Naturalisme. Kinésie. Béte humaine. Classe ouvriére.
Abstract An essential part of nonverbal manifestations is the kinesics that encompasses movements of the human body and the gestures articulated in the face. In a communicative act, the gestures acquire a key importance in the interpretation of emitted messages, being able even to contradict what has been said. In a literary text, especially those of a realistic nature, these gestures correspond to the attitudes of the characters and provide a reliable image of their behaviour and personality. The choice of the kinesic apparatus in a specific work generates in the reader particular perceptual simulations that, in addition, complete the literary interpretation cognitively. The present article aims at examining the kinetic manifestations in the novel L'Assommoir by Émile Zola and to relate its characteristics to the aesthetics of naturalism.
Keywords: Naturalism. Kinesics. Human Beast. Working Class.
0. Introduction
La citation en tete de cet article ressemble a une scene de chasse qui décrit l'attaque d'une bete sauvage a un pauvre animal sans defense. En réalité, il s'agit d'un episode quotidien chez les Bijard ou le pere, soÛl et enragé, bat sa propre fille. La description des mouvements du corps humain, subtiles ou violents, fournit au narrateur l'un des moyens les plus efficaces pour nous de transmettre avec précision les nuances de l'action et les sentiments des personnages, ce qui nous évite les malentendus, l'incertitude ou la fatigue de devoir les imaginer par caprice ; en somme, la kinésie dans un récit littéraire comprend « la réalité physique de la fiction » (Vanoosthuyse, 2010 : 158). La faculté de sémantiser mais surtout de comprendre les mouvements corporels s'appelle, selon Ellen Spolsky, l'intelligence kinésique et dans la littérature, elle occupe un lieu tres pertinent, parce qu'elle fournit au texte une dimension multisensorielle, notamment celle de la perception motrice (en Bolens, 2008). Cela ne veut pas forcément dire que le prurit d'une exhaustivité minutieuse rende plus compréhensible la conduite et le caractere des personnages ; mais dans le cas de la littérature naturaliste, en général, ces détails ne sont pas gratuits. Ces traits kinésiques font le sujet de cet article.
L'étude de la kinésie dans le domaine de l'anthropologie remonte aux années 1950, ou Ray Birdwhistell publie son œuvre Introduction to kinesics (1952), mais les expressions faciales ont déja été étudiées dans les années 1940 par le psychologue David Efron dans Gesture and environment (1941). La personne qui approche le langage nonverbal au récit littéraire est Fernando Poyatos dans le troisieme volume de son œuvre Nonverbal Communication (1994) dédié au théåtre et récit littéraire en prose. Son apport aux études kinésiques a une longue tradition, mais il y a d'autres auteurs interesses dans la non-verbalité comme Marie-Thérese Jaquet (1995) ou Barbara Korte (1997).
Grâce aux indicateurs kinésiques, on peut voir bouger les personnages et contempler les scenes comme s'il s'agissait d'un film C'est a dire que de telles representations kinésiques dans un texte littéraire sont significatives et importantes, d'une part, ils obéissent a une sélection réfléchie que l'auteur fait parmi les possibles ressources non verbales afin d'offrir une image sensible et précise de ce qu'il raconte ou décrit. D'autre part, nous pouvons également insister sur l'importance des éléments kinésiques pour enrichir l'interprétation ou la comprehension de l'œuvre : émotions et pensées, caractéristiques personnelles ou attitudinales des protagonistes (Korte, 1997).
Par ailleurs, Zola lui-méme se prononce sans équivoque lorsqu'il écrit, dans Le roman experimental (1880) : « Puisque l'imagination n'est plus la qualité maitresse du romancier, qu'est-ce donc qui l'a remplacée ? Il faut toujours une qualité maitresse. Aujourd'hui, la qualité maitresse du romancier est le sens du réel » (Zola, 1890 : 208). Dans la doctrine naturaliste, l'expression la plus parfaite en ce qui concerne la représentation de la réalité est accentuée moyennant des descriptions méticuleuses qui soulignent les aspects vraiment les plus affreux, montrant une réalité extremement laide, brutale et sale. Véronique Cnockaert (2003 : 135) ajoute :
Les agonies dans Les Rougons-Macquart sont nombreuses. Chacune d'elles, dans son individualitě et ses caractéristiques, résume le projet de la série qui était de pointer nÛment et avec force les délinquances du Second Empire. [...] La tare qui frappe l'ensemble de la famille des Rougons-Macquart métaphorise [...] la dégénérance morale que Zola impute a l'Empire. Cette dégénérescence, representative d'un épuisement et invariablement tournée vers la mort, devient le moteur de la fiction. Le texte zolien trouve sa force et prend forme a l'intérieur d'un mouvement en voie d'extinction, il puise son souffle, son énergie et son mode dans l'agonie du milieu qui lui sert de modele. L'agonie en tant que principe esthétique, le façonne.
La dégénérance ou bien les agonies du corps, dans leurs différentes modalités, sont aussi les exemples kinésiques les plus fréquents dans LAssommoir. Le calcul d'Étienne Brunet (1985 : 323) dans son étude sur le vocabulaire de Zola confirme que la fréquence avec laquelle l'auteur se réfere aux aspects corporels est significativement plus élevée que d'habitude : « Au total la liste des 27 éléments retenus compte chez Zola 32511 occurrences, soit presque deux fois plus qu'on n'en trouve, proportionnellement, dans le corpus du XIXe-XXe siecles ». Nous ne pouvons pas étre surpris par ce fait chez un auteur tellement persuadé que « l'homme ne peut pas etre séparé de son milieu et il est complété par son vétement, par sa maison, par sa ville, par sa province » (Zola, 1890 : 228). On dirait que le corps, qui, du point de vue naturaliste, épuise presque entierement la personne, est la partie la plus immédiate du milieu, ou la frontiere entre celui-ci et l'intérieur de l'étre méme. Borie (1971 : 15) n'exagere pas quand il affirme que « Zola, dans ses romans ne s'intéresse qu'au corps, c'est-a-dire, a la moitié 'sauvage' de l'homme, aux appétits, aux instincts ».
Les résultats du chapitre que Brunet consacre a la présence du corps dans la saga Les Rougon-Macquart ne sont pas surprenants par son haut nombre ; mais ce qui peut susciter la curiosité sont les parties du corps les plus fréquemment représentées et qui appartiennent pour la plupart au corps féminin : « C'est donc la gorge qui préoccupe le plus l'imagination de Zola, mais aussi le cou, l'épaule, la hanche. C'est-a-dire que Zola regarde surtout les femmes. Il est sensible a la peau et a la chair et quant au visage son attention s'arréte d'abord aux levres » (Brunet, 1985 : 325).
Mais nous insistons : ce qui est important, plutôt que la préférence pour certaines parties du corps, c'est la façon dont le corps et le geste fonctionnent comme une preuve matérielle du déterminisme. Ce déterminisme social et biologique qui s'impose sur le destin de l'individu situé dans un milieu défini, c'est la méthode expérimentale que l'écrivain naturaliste utilise pour observer les phénomenes en action, dans la classe sociale basse qui subit les conséquences des politiques sociales du Second Empire. En ce qui concerne les limites imposées par la classe sociale, ils mettent en évidence le comportement primaire et instinctif de la béte humaine, avec toute la cohorte de vices qui l'accompagnent, la violence, les appétits sexuels et alimentaires, et la dégradation morale qui cristallise la déformation physique. Selon Cnockaert (2018 : 72), « la notion de 'sauvage' [...] est intimement liée au monde animal, a l'univers corporel, et notamment a celui d'une sexualité non contenue, non domestiquée [...] qui se moque des conventions et rituels, alors que les conventions structurent l'identité bourgeoise au XIXe siecle ».
1. Le corps et le monde ouvrier
Dans cette littérature,
L'homme du peuple, fruste, simple, vit [...] au niveau des instincts. Il est l'homme naturel, c'est-a-dire a peu pres la brute. [...] Dans un tel milieu, en effet, on ne peut concevoir « d'explication psychologique du crime », mais simplement « un déchaínement ignoble de bestialitě, rien de plus » (Borie, 1971 : 17).
C'est pour cette raison que la gestualité remplace souvent le mot, parce que les personnages ne savent pas quoi dire, ou parce qu'ils sont trop fatigués pour parler a cause du travail ou parce qu'ils n'ont pas de voix du tout comme un ensemble dans la société de l'époque. Il est nécessaire de clarifier la relation entre le comportement bestial donné par le manque d'éducation et celui a cause de la fatigue due au dur travail. La deuxieme, que les psychologues définissent comme alogia peut leur donner une certaine apparence animale par le contenu réduit du discours : les réponses aux questions peuvent étre breves et concretes, avec une reduction du discours spontané.
Dans L 'Assommoir, la classe sociale qui est représentée est celle des ouvriers :
Au loin, des cloches d'usine sonnaient ; et les ouvriers ne se pressaient pas, rallumaient des pipes ; puis, le dos arrondi, apres s'étre appelés d'un marchand de vin a l'autre, ils se décidaient a reprendre le chemin de l'atelier, en traînant les pieds (L Assommoir : 409).
Ils agissent comme une masse, anonyme et muette. On pourrait dire qu'ils ressemblent a des automates, absorbés dans leurs pensées obsédantes et des réveries diurnes, des réves éveillés et involontaires. On est d'accord avec Fanny Audibert (2018 : 163) qui affirme que « [l] a perte de la volonté signale un symptóme plus général, qui est l'activité automatique de l'esprit (et du corps) » dont la manifestation la plus éloquente est offerte par les ouvriers.
Selon Simone Bonnafous (1981 : 53), « Zola est le premier a faire entrer l'ouvrier dans la littérature. Balzac n'en avait parlé qu'incidemment. La vision de George Sand manquait de réalisme, et méme Les miserables parus 15 ans avant L'Assommoir, n'étaient pas une peinture de la classe ouvriere ». Cette masse des ouvriers est représentée comme une foule qui piétine et se coudoie :
Dans les cinq evocations de foule [...] dont il n'est pas anodin de remarquer que deux d'entre elles ouvrent et ferment le roman, un premier fait nous frappe : l'abondance des substantifs abstraits : envahissement, un continuel piétinement de foule, un écrasement de foule, l'étranglement étroit des maisons, une hâte de pas, un coudoiement sans fin, etc. (Bonnafous, 1981 : 53).
Le coudoiement, compris comme un mouvement habituel et fréquent des ouvriers, correspond a la catégorie des alter-adaptateurs, car il s'agit d'un contact entre deux ou plusieurs personnes. Il est significatif que les actions qui exigent le concours de la multitude n'apportent rien qui éleve les personnages au-dessus de l'animalité pure, celle d'un animal domestique ; nous n'y trouvons pas une personnalité réelle, une intervention rationnelle de la volonté, mais le simple et mécanique résultat des forces matérielles extérieures, « des forces supérieures, impersonnelles et irrésistibles qui gouvernent les étres » (Bonnafous, 1981 : 53-54); pas vraiment des personnes, mais une masse agitée et bruyante1 : « Sur les deux trottoirs, dans l'étranglement étroit des maisons, c'était une hâte de pas, des bras ballants, un coudoiement sans fin » (L'Assommoir: 406).
Cette vision de la foule, dit Bonnafous, est plus qu'une description, une impression pour les yeux ; on peut dire que c'est un héritage des amis impressionnistes de Zola ; peindre de maniere impressionniste, c'est représenter ce que l'on voit avec les yeux, la réalité telle qu'elle apparaît devant le regard de l'artiste, comme le proclame la doctrine naturaliste. En dépit du dessein positiviste ou naturaliste, il est difficile de nier le caractere métaphorique (fantomatique) de cette image de la multitude :
Une lecture rapide nous pousserait peut-etre a voir une menace dans ce troupeau humain, du fait de la situation de ceux qui le regardent ; c'est-a-dire de Gervaise, dans la plupart des cas. Sauf a la fin, elle n'est jamais melée a la foule : elle la contemple de sa fenetre (Bonnafous, 1981 : 54).
En effet, la maison de Gervaise est une sorte de forteresse qui la protege, mais a la fin elle sera engloutie par la foule :
Et Gervaise laissait couler la cohue, indifferente aux chocs, coudoyée a droite, coudoyée a gauche, roulée au milieu du flot ; car les hommes n'ont pas le temps de se montrer galants, quand ils sont cassés en deux de fatigue et galopés par la faim (L'Assommoir: 766).
Les ouvriers qui integrent cette masse uniforme déploient leur mobilité animale, dont l'expression corporelle est exprimée moyennant des formules qui exhalent un air atrabilaire : il faut souligner « les bras ballants », leur marche « en traînant les pieds » et leurs corps « cassés en deux de fatigue », ainsi que « le dos arrondi » des citations antérieures qui décrivent la fatigue a cause de leur dur travail, leur malheur et la faim dont ils souffrent dans une société ou ils ne sont que des esclaves qui les exploite et les méprise.
Le ton ne change pas quand on passe de la foule a l'individu. Le personnage secondaire du pere Bru est un ouvrier en retraite, mais qui a travaillé « le demi-siecle passé a peindre des portes et a blanchir des plafonds aux quatre coins de Paris ». Maintenant il n'a rien a manger, parce que le gouvernement ne prend pas soin de ses citoyens ágés. C'est donc Gervaise qui s'occupe de son voisin : « souvent [...] le forçait a manger un morceau de pain avec du fromage ». Les traits physiques du pere Bru ne sont pas singuliers, mais propres d'un vieillard délabré : « le corps voúté, la barbe blanche, la face ridée comme une vieille pomme, demeurait des heures sans rien dire » (L'Assommoir: 552). Quand il entre chez Gervaise le jour de sa fete, Zola le décrit « courbé, roidi, la face muette » (L'Assommoir: 572). Et les mouvements limités de son faible corps caractérisent encore mieux sa décrépitude. Il ne parle jamais ; au lieu de mots, il utilise le geste symbolique de hocher la tete si on lui demande quelque chose : « -Asseyez-vous la, mon brave homme, dit la blanchisseuse. Vous voulez bien manger avec nous, n'est-ce pas ? Il hocha simplement la tete. Il voulait bien, ça lui était égal » (L'Assommoir: 572). Courbé, roidi, hochant la tete : ce sont les indications corporelles et kinésiques précises qui nous font bien sensible sa misérable condition d'ouvrier en retraite, fatigué, dépouillé de toute espoir, ne voulant pas gaspiller ses énergies a parler.
D'un autre côté, Gervaise est présentée au début comme une bonne ouvriere qui s'occupe soigneusement de son linge ; la façon dont elle manipule les vetements nous révele sa vigueur et sa propreté :
Gervaise le replongea dans le baquet, le reprit piece par piece pour le frotter de savon une seconde fois et le brosser. D'une main, elle fixait la piece sur la batterie ; de l'autre main, qui tenait la courte brosse de chiendent, elle tirait du linge une mousse salie, qui, par longues bavures, tombait (L'Assommoir : 388).
Sa gestualité souligne l'attention qu'elle donne aux détails, un signe indéniable de responsabilité et de satisfaction. Mais a la fin de l'histoire, quand elle succombe aux tentations de son milieu et aux vices de son mari alcoolique, elle s'abandonne a la paresse et a la saleté : « cette nouvelle assit Gervaise dans la mare d'eau sale qui emplissait la boutique » (L'Assommoir : 733). Outre la victoire du déterminisme sur l'individu, Kate Griffiths (2003 : 68) estime que Gervaise devient une autre victime du mimétisme que Zola applique aux personnages féminins qui adoptent le comportement des figures masculines les plus proches. Cela se produit dans l'exemple donné par l'auteur lorsque « Gervaise imite son mari, mais est incapable de se distancier de tel mimétisme, elle adopte l'identité qu'elle imite et finalement absorbe la folie de Coupeau comme la sienne »2. De toute façon, dans le cas de l'alcoolisme et l'abandon, Zola a voulu faire intervenir le milieu et les prédispositions héritées de son pere, selon les principes d'hérédité qu'il a lues et étudiées.
Lorsqu'au début Gervaise était bonne ouvriere, au lavoir, elle répondait a madame Boche hochant la tete, trop concentrée a laver les linges pour lui donner une réponse verbale : « Gervaise, les reins en deux, les mains enfoncées et crispées dans le linge, se contenta de hocher la tete ». Elle « s'essuya le front de sa main mouillée. Elle tira de l'eau une autre piece de linge, en hochant de nouveau la tete. Un instant, toutes deux garderent le silence » (L'Assommoir : 390). Mais vers la fin du roman, Gervaise ne fait que bavarder et rester assise, les bras croisés ou dans ses jupes, au lieu de travailler. C'est bien une modification des habitudes kinésiques qui nous parle de la décadence morale et physique. Pour Zola, la paresse est un vice qui ne peut pas rester impuni. Aussi Coupeau reçoit son châtiment : apres son accident, il « restait les bras croisés en face des maisons en construction, avec des ricanements, des hochements de tete ; et il blaguait les ouvriers qui trimaient, il allongeait sa jambe, pour leur montrer ou ça menait de s'esquinter le tempérament » (L'Assommoir: 489) ; c'est la fin du bon ouvrier (Hammon, 1983), l'annonce préalable de sa chute dans l'alcoolisme.
L'image de la bonne ouvriere sert également a caractériser la mere de Goujet qui est présentée « grave, un peu triste, son calme visage penché sur son tambour » (L'Assommoir: 491). Zola met l'emphase sur le travail et montre de bonnes ouvrieres qui, au lieu de bavarder, travaillent en silence. Il semble que le divertissement est plus propre aux bourgeois qu'aux ouvriers. Il y a quelque chose d'équivoque dans la moralité insinuée par Zola avec ce mélange d'honnéteté et d'intégrité du caractere, d'une part, et d'épuisement et de décrépitude physique, d'autre part : le travail est a la fois la racine de la vertu et la cause de la ruine. La forme de vie que les personnages menent est imprimée sur leur visage, triste et grave ; il est généralement admis que Zola transmet ainsi une sorte de dénonciation sociale et que le geste gagne une valeur idéologique (Jacquet, 1995).
Voila l'entiere image kinésique du monde ouvrier : physiquement et moralement fatigué. Ils ne font que travailler toute leur vie ; alors, quand ils sont placés hors de leur milieu, au musée du Louvre par exemple, leur conduite ne peut étre que grotesque, grossiere, propre aux gens simples. Pendant la noce, ils visitent le musée, mais ils ne comprennent pas l'art ; alors ils restent nigauds devant les tableaux : « Et, tout au bout, le ménage Gaudron, l'homme la bouche ouverte, la femme les mains sur son ventre, restaient béants, attendris et stupides, en face de la Vierge de Murillo » (L'Assommoir: 445). La méme attitude effrontée et fruste, voire obscene quand M. Madinier leur montre la Kermesse de Rubens :
Il se contenta d'indiquer la toile, d'un coup d'œil égrillard. Les dames, quand elles eurent le nez sur la peinture, pousserent de petits cris ; puis, elles se détournerent, tres rouges. Les hommes les retinrent, rigolant, cherchant les détails orduriers (L'Assommoir: 446).
Le geste grivois de Madinier (« d'un coup d'œil égrillard »), indiquant les corps nus, acquiert ici une signification tres concrete en relation avec les aspects les plus vulgaires de la noce, mais au-dela de cette circonstance, il révele toute la bassesse et friponnerie que Zola veut transmettre comme caractéristique générale de ces gens. Les femmes se scandalisent, parce qu'elles ne sont pas capables d'apprécier l'art, elles voient seulement la nudité qui doit étre cachée dans leur petit monde ignorant3. Au contraire, les hommes se montrent comme des pervers, en se récréant de l'obscénité.
3On se souvient de cette scene racontée par Baudelaire (Mon cœur mis a nu, XLVI) : « Tous les imbéciles de la bourgeoisie qui prononcent sans cesse les mots : "immoral, immoralité, moralité dans l'art" et autres bétises me font penser a Louise Villedieu, putain a cinq francs, qui m'accompagnant une fois au Louvre, ou elle n'était jamais allée, se mit a rougir, a se couvrir le visage, et me tirant a chaque instant par la manche, me demandait, devant les statues et les tableaux immortels, comment on pouvait étaler publiquement de pareilles indécences ». En définitive, l'art et la culture en général ne peuvent pas servir comme passetemps a la classe sociale décrite, et plus encore, quant au milieu, Zola présente ce mur insurmontable de la culture comme une preuve incontestable du déterminisme social qui pese sur la vie des misérables. Hormis le travail, les femmes s'amusent surtout a raconter des potins a propos de ce qu'il se passe dans le quartier. C'est pour cette raison qu'on trouve des femmes penchées ou accoudées a leurs fenetres, une posture habituelle dans L'Assommoir qui démontre leur curiosité pour les ragots et leur penchant a s'occuper des affaires d'autrui. Notamment dans la scene de l'accident de Coupeau, nous trouvons cette figure archétypique de la femme accoudée a la fenetre, qui témoigne tout :
Dans la rue de la Nation, large, déserte, leurs paroles, lancées a toute volée, avaient seulement fait mettre a sa fenetre une petite vieille ; et cette vieille restait la, accoudée, se donnant la distraction d'une grosse émotion, a regarder cet homme, sur la toiture d'en face, comme si elle espérait le voir tomber d'une minute a l'autre (L'Assommoir: 480).
L'action de regarder l'homme en travaillant est pour la femme l'équivalent vulgaire de l'expérience esthétique-morale du grand spectacle qui est une tragédie. Elle le vit avec émotion, parce qu'il y a la possibilité qu'il tombe du toit. Pour les gens simples comme cette femme-la, tout le morbide est amusant. Cette fois, la femme reçoit le spectacle qu'elle désirait, parce que Coupeau subit vraiment cet accident.
2. Le corps et les mauvais sentiments
D'ailleurs, on trouve des gens corrompus moralement qui agissent selon leurs instincts primaires de survivance. Dans la misere, il n'y a pas de place pour les nobles vertus. C'est juste le contraire : la jalousie et l'avarice apparaissent lorsqu'un individu a plus qu'un autre. Les avaricieux sont ici pleinement représentés par les Lorilleux, qui depuis le début se montrent hostiles envers Gervaise : « elle hochait la tete, passant de la figure de la jeune femme a ses mains, a ses pieds, comme si elle avait voulu la déshabiller, pour lui voir les grains de la peau. Elle dut la trouver mieux qu'elle ne comptait » (L'Assommoir: 429). Plus éloquente que n'importe quelle apostrophe élaborée, cette maniere de regarder de Mme Lorilleux, est intimidante, parce qu'il peut etre aussi compris comme un désir de la déshabiller ontologiquement (Worth, 2003), ce qui met Gervaise mal a l'aise ; il est a peine possible de trouver de meilleurs exemples ou un geste épargne tout discours.
Sans motif apparent, les Lorilleux détestent Gervaise, et ils ont besoin de trouver des défauts pour se moquer d'elle. Et tout cela s'exprime sans paroles, simplement par des gestes ou des regards. Au premier moment, c'est sa jambe : « Ils ne parlerent pas de sa jambe. Mais Gervaise comprenait, a leurs regards obliques et au pincement de leurs levres, qu'ils y faisaient allusion » (L'Assommoir: 429). Cette imperfection physique de Gervaise deviendra l'objet de leurs railleries qui donnent lieu aussi a son surnom méprisant (qui encore une fois fait allusion a une caractéristique kinésique, le balancement de la boiteuse) :
Madame Lorilleux s'oublia, se tourna d'un mouvement brusque. -Ça, c'est plus fort! Cria-t-elle. Tu vas coucher dans la chambre a la Banban! Gervaise devint toute pâle. Ce surnom, qu'elle recevait a la face pour la premiere fois, la frappait comme un soufflet (L'Assommoir: 461).
Aussi sensible qu'un mouvement ostensif est ce soudain blemissement de Gervaise en écoutant son outrageant surnom : une réaction thermique causée par une émotion fortement négative et qui compte comme un vrai geste adaptateur, dont l'évidence physiologique est rehaussée par la description métaphorique de l'offense qui frappe sa face « comme un soufflet ».
En plus, ils agissent toujours d'une maniere tout a fait irrespectueuse : « [Mme Lorilleux] tourna le dos, elle se remit a tirer son fil d'or, en affectant d'ignorer la présence de sa belle-sœur » (L'Assommoir: 522) ; puis, son mari fait le meme : « il reprit le bout de chaîne, tourna le dos a son tour » (L'Assommoir: 523). Cette attitude littérale du ménage devient métaphorique au bout du roman, quand Gervaise vient emprunter de l'argent et ils lui « tournent le dos » en refusant de l'aider : « Alors, les Lorilleux pincerent les levres et échangerent un mince regard. La Banban mendiait, a cette heure! Eh bien! Le plongeon était complet » (L 'Assommoir: 755). Le geste tres symptomatique, tres révélateur, que le ménage fait de « pincer les levres » ainsi que « l'échange d'un mince regard » correspondent a leur satisfaction de voir Gervaise malheureuse. Sans rien dire, les deux se communiquent et se comprennent parfaitement4.
Leur attitude constitue une sorte de vengeance contre le bonheur dont Gervaise jouissait, comme dans la scene de la grande fete : « les Lorilleux ne pouvaient pas se contenir. C'était plus fort qu'eux, ils louchaient, ils avaient le bec de travers » (L'Assommoir: 569) ; et aussi : « Lorilleux et madame Lorilleux pinçaient le nez, suffoqués de voir une oie pareille sur la table de la Banban » (L'Assommoir: 576). Dans cette scene, les gestes de « loucher » et d'avoir « le bec de travers » agissent d'une maniere caricaturale mais aussi morale selon Zola, parce que la convoitise, comme un des péchés capitaux, déforme leur visage. En vertu de sa propre nature irrationnelle, cette rancœur -l'exact complément de la Schadenfreude qui finalement les Lorilleux savoureront- est exprimée par ces démonstrations physiologiques bien mieux qu'avec des paroles.
Leur fausseté pendant les temps de bonheur de Gervaise est trahie par leur comportement non verbal. Pendant la fete, ils mangent et ils boivent, mais la jalousie et l'avarice leur rongent les entrailles : « Les Lorilleux, devant la prospérité du ménage, étaient devenus tres aimables, faisaient un éloge outré de Gervaise, en laissant échapper de petits gestes restrictifs, des hochements de menton, des battements de paupieres, comme pour ajourner leur vrai jugement » (L'Assommoir: 469), qui arrive alors avec la chute de Gervaise.
Le comportement des Lorilleux ne souffre aucune évolution, parce que des le début leurs attitudes non verbales sont suscitées par la pingrerie et la convoitise envers Gervaise. Ils ne supportent pas qu'elle soit heureuse et ils se réjouissent finalement quand elle souffre.
3. Le corps et la violence
La violence dans L 'Assommoir est le leitmotiv qui traverse toute l'histoire depuis que Gervaise confronte Lantier son infidélité et lui se montre violent en lui criant a la face et en la menaçant des poings : « Lantier leva les deux poings ; puis, résistant au besoin de la battre, il lui saisit les bras, la secoua violemment, l'envoya tomber sur le lit des enfants, qui se mirent de nouveau a crier » (L'Assommoir: 382) ; jusqu'a la fin quand Gervaise se laisse entraîner dans le tourbillon de la cohue ouvriere qui la « coudoie et roule au milieu du flot » (L'Assommoir: 766).
De meme, Lantier dans la premiere scene se montre violent quand elle se dispose a ramasser ses vetements sales pour les laver : « il ferma la malle brutalement, s'assit dessus, lui cria : Non! dans la figure » (L'Assommoir: 385). Encore une fois, ce sont les attitudes corporelles qui portent toute la signification de la scene. L'action de fermer la malle, sobrement et précisément caractérisée, intensifiée par l'adverbe « brutalement », ainsi que les cris d'une proximité menaçante, « dans la figure » de Gervaise, montrent l'homme agissant de maniere violente devant une femme qui ne peut pas se protéger ; c'est la transformation soudaine de l'homme en bete, qui montre sa supériorité virile - mais aussi sa faiblesse, son intempérance - moyennant la violence. Coupeau apres son accident devient pareil ou pire :
Elle voulut rire, le coucher, comme elle faisait les jours ou il avait le vin bon enfant. Mais il la bouscula, sans desserrer les levres ; et, en passant, en gagnant de lui-meme son lit, il leva le poing sur elle. Il ressemblait a l'autre, au soÛlard qui ronflait lahaut, las d'avoir tapé (L'Assommoir: 557).
Les levres serrées, ainsi que l'action de la bousculer et de lever le poing sur elle sont des gestes presque typifiés qui soulignent la colere. Il ne s'agit pas de faits occasionnels et sans conséquences ; au contraire, ce sont des symptômes d'une course ir- remediable, voire naturelle, vers la brutalite ; ce manque de respect mutuel finit par des agressions chaque fois plus violentes pendant les disputes du ménage : « Un vrai bousin, leur chez eux, a cette heure. La journée entiere, ils s'empoignaient. Pourtant, ils ne se tapaient pas encore, a peine quelques claques parties toutes seules dans le fort des disputes » (L'Assommoir: 685).
D'ailleurs, la bagarre entre Gervaise et Virginie au lavoir qui, par sa description explicite, approche le point maximal du réalisme, passe en égalité de conditions, parce que les deux sont des femmes. La scene est longue, presque sept pages de coups, claques, tapes, accompagnés d'insultes et de cris de rage et de douleur. Elle commence avec Gervaise pleurant en voyant la clé de la chambre de l'hôtel Boncœur apportée par ses fils et qui annonce l'abandon de Lantier. Virginie qui est présente au lavoir, chuchote avec d'autres femmes sur l'infidélité de Lantier avec sa sœur Adele, ce qui met Gervaise en colere : « Les bras en avant, cherchant a terre, tournant sur ellememe, dans un tremblement de tous ses membres, elle marcha quelques pas, rencontra un seau plein, le saisit a deux mains, le vida a toute volée » (L'Assommoir: 395). La bataille s'engage avec des insultes que se lancent les deux femmes mutuellement ; alors, il s'agit, au début, d'une bataille plutôt verbale. Mais quand les mots enragent davantage Gervaise, au lieu de mots, elles se lancent de l'eau l'une sur l'autre : « Elles courent toutes deux le long de baquets, s'emparant des seaux pleins, revenant se les jeter a la tete » (L'Assommoir: 397). Puis, quand le courroux monte, « Virginie venait de sauter a la gorge de Gervaise. Elle le serrait au cou, tâchait de l'étrangler. Alors, celle-ci, d'une violente secousse, se dégagea, se pendit a la queue de son chignon, comme si elle avait voulu lui arracher la tete » (L'Assommoir: 398). Pendant la bataille, les deux femmes se déchirent les robes et elles montrent leurs chairs : « son corsage, craqué au cou, montra sa peau, tout un bout d'épaule ; tandis que la blonde, déshabillée, une manche de sa camisole blanche ôtée sans qu'elle sÛt comment, avait un accroc a sa chemise qui découvrait le pli de sa taille » (L'Assommoir: 398). La lutte continue chaque fois plus brutale, moins féminine, les deux femmes ressemblant a deux betes enragées :
Un moment, elles resterent la, agenouillées, a se menacer. Les cheveux dans la face, la poitrine soufflante, boueuses, tuméfiées, elles se guettaient, attendant, reprenant haleine. Gervaise porta le premier coup ; son battoir glissa sur l'épaule de Virginie. [...] Alors, mises en train, elles se taperent comme les laveuses tapent leur linge, rudement, en cadence (L'Assommoir : 399-400).
Finalement, Gervaise gagne en pliant Virginie et en lui arrachant le pantalon sous les jupes : « les cuisses nues, les fesses nues [.] elle se mit a battre » le derriere de sa rivale. « A chaque tape, une bande rouge marbrait la peau blanche » (L Assommoir: 400).
Dans cette scene, Zola montre la violence atténuée des femmes, moins brutale, plus sensuelle, qui laisse entrevoir les parties intimes cachées sous les vetements. L'agressivité passe des regards menaçants aux attaques verbales et, finalement, aux attaques physiques. Les autres ouvrieres ne se conduisent pas mieux :
Alors, la grande Clémence se rhabilla en bougonnant. En voila des giries! Avec ça que les passants n'avaient jamais vu des nénais! Et elle soulagea sa colere sur l'apprentie, ce louchon d'Augustine, qui repassait a côté d'elle du linge plat, des bas et des mouchoirs ; elle la bouscula, la poussa avec son coude. Mais Augustine, hargneuse, d'une méchanceté sournoise de monstre et de souffre-douleur, cracha par-derriere sur sa robe, sans qu'on la vit, pour se venger (L'Assommoir: 505).
C'est la violence des femmes ordinaires, stupides, pas dans le sens d'un trait de caractere individuel, mais comme la conduite propre des gens de cette classe sociale, dans le monde zolien. Elles se poussent du coude, se crachent par derriere, mais sans jamais arriver au degré de violence masculine, comme dans le cas qui suit, ou un ivrogne bat brutalement sa femme et sa fille. Gervaise écoute des cris et des bruits de tapes, elle monte chez les Bijard et trouve la femme :
les jupes encore trempées par l'eau du lavoir et collées a ses cuisses, les cheveux arrachés, saignante, râlait d'un souffle fort, avec des oh! oh! prolonges, a chaque coup de talon de Bijard. Il l'avait d'abord abattue de ses deux poings ; maintenant, il la piétinait (L'Assommoir: 556).
Cette brutalité dont Bijard fait preuve en battant sa femme, soulignée par les cheveux arrachés, le sang, les coups des poings et de talon, est le résultat de l'alcoolisme qui transforme l'homme en une bete enragée ; apres avoir tué sa femme, il décharge sa colere sur sa petite fille Lalie, dont on a déja parlé auparavant : « Non, jamais on ne se douterait des idées de férocité qui peuvent pousser au fond d'une cervelle de pochard » (L'Assommoir: 691), c'est l'amere commentaire de Zola a la fin d'une de ces scenes terrifiantes.
La grande quantité de ces gestes brutaux, des coups, des tapes, des gifles, des soufflets, des calottes, etc., ne fait que souligner l'énorme violence du milieu dont Gervaise provient5. Gervaise en a reçu lorsqu'elle était jeune, de son pere : « le pere Macquart, pour un oui, pour un non, m'allongeait des coups de pied dans les reins » (L'Assommoir: 388), raconte-elle ; mais la dureté et le venin semblent héréditaires, ou mimiques selon Griffiths (2003), et c'est aussi elle qui en donne a sa fille : « Elle distribua des taloches, souffleta Nana sur les deux joues, flanqua un coup de pied a Pauline, cette grande dinde qui laissait prendre le sabot de sa mere » (L'Assommoir: 520).
De nouveau, on observe la regle absolue des lois de l'hérédité génétique, qui oblige Gervaise a reproduire ce qu'elle avait reçu. Coupeau traite son beau-fils de la méme mauvaise maniere : « Trois jours apres, il lançait des coups de pied au derriere du petit, matin et soir, si bien que l'enfant, quand il l'entendait monter, se sauvait chez les Goujet, ou la vieille dentelliere lui gardait un coin de la table pour faire ses devoirs » (L'Assommoir: 489), et puis, sa propre fille Nana aussi : « Coupeau avait ramené Nana a coups de pied au derriere » (L'Assommoir: 713). Il semble que dans le milieu décrit par Zola, la maltraitance des enfants est bien habituelle.
4. Le corps et l'addiction
La violence extréme présente dans L 'Assommoir transforme les personnages en vraies bétes humaines. Mais ce n'est pas la seule caractérisation de leur ressemblance avec les animaux. Pendant la visite du Louvre, hors de leur milieu, ils sont décrits comme « un troupeau débandé » par son comportement non verbal qui contraste avec la sacrée solennité du lieu qu'ils sont en train de visiter. Ils n'ont pas l'éducation nécessaire pour savoir comment se conduire, alors ils tapent leurs souliers fortement, faisant sonner le parquet (geste kinésique auditif), comme des sauvages : « Et la noce, déja lasse, perdant de son respect, traînait ses souliers a clous, tapait ses talons sur les parquets sonores, avec le piétinement d'un troupeau débandé, laché au milieu de la propreté nue et recueillie des salles » (L'Assommoir: 446).
Dans la scene ou Bijard témoigne la mort de sa fille Lalie6, son expression corporelle montre un étre incapable de gérer ses émotions, qui le laissent paralysé : « Lui, abruti, repris par les fumées de l'ivresse, roulait la téte en la regardant passer de ses yeux ronds. Ça remuait en lui toutes sortes de choses ; mais il ne trouvait plus rien, et avait la couenne trop brúlée pour pleurer » (L'Assommoir: 758). Son état d'ivresse le réduit a émettre le geste caractéristique et symptomatique de « rouler la téte » sans pouvoir rien dire : « Bijard, stupide, les yeux sur ce cadavre qu'il avait fait, roulait toujours la téte, du mouvement ralenti d'un animal qui a de l'embétement » (L'Assommoir: 760). Cette scene montre Bijard comme une béte humaine impuissante, empéchée de parler, anéantie par les faits et limitée a l'expression gestuelle hébétée, ce qui contraste avec son comportement quand il battait sa femme dans l'état d'ivresse : « il se retournait, muet, une écume aux levres ; et, dans ses yeux pales, l'alcool flambait, allumait une flamme de meurtre » (L'Assommoir: 556-557), ou, de méme, quand il battait sa fille ; toutes les deux maintenant mortes : « une légere écume lui venait aux levres, ses yeux jaunes sortaient de leurs trous noirs » (L'Assommoir: 693).
L'alcool est done la cause principale qui mene les personnages a se comporter comme des animaux. Quand ils sont soÛls, leur conduite se réduit aux instincts primaires, et ceci se reflete surtout dans leur attitude kinésique. Gervaise est bien consciente des effets que l'alcool exerce sur les ouvriers et elle songe a ne jamais tomber sous son influence. Zola exprime la peur que l'héroi'ne a de l'alcool en utilisant un oxymoron puissant : « Alors, Gervaise, prise d'un frisson, recula ; et elle tâchait de sourire, en murmurant : -C'est béte, ça me fait froid, cette machine... la boisson me fait froid. » (L'Assommoir: 412). La réaction thermique que lui produit la machine a distiller est toute contraire a celle que l'eau-de-vie produit normalement dans la gorge. Cette aversion joue le rôle d'un présage selon lequel l'alcoolisme sera responsable de sa chute :
Gervaise s'était prétée a ce jeu ; et, quand elle lui lâcha le bras, les camarades tro uverent la blague si bonne, qu'ils se jeterent les uns sur les autres, braillant et se frottant les épaules comme des ânes qu'on étrille. Le zingueur avait la bouche fendue par un tel rire, qu'on lui voyait jusqu'au gosier (L'Assommoir : 703).
Zola compare leur comportement aux « ânes qu'on étrille », hébétés par l'alcool, riant comme des brutes, comme dans la scene ou ils observent Gervaise boire pour la premiere fois : « Et lorsqu'on lui eut apporté un verre de vitriol, et que sa mâchoire se contracta, a la premiere gorgée, le zingueur reprit, en se tapant sur les cuisses : -Hein! Ça te rabote le sifflet!... Avale d'une lampée » (L'Assommoir: 706). Le geste de se taper sur les cuisses répond aussi a une gestualité de moquerie, de nouveau confirmant leur stupidité.
Ils agissent toujours en compagnie, comme un troupeau de bétes : « ils se ricanaient dans la figure, le soir, apres le dîner, les coudes posés au bord de la table ; ils se frottaient l'un contre l'autre toute la journée, comme les chats qui cherchent et cultivent leur plaisir » (L'Assommoir: 647). Pour ces individus, rien n'est sacré ; ce qui prouve le geste blasphémateur de Coupeau en se croisant : « Justement, Coupeau se leva pour faire le signe de croix des pochards. Sur la téte il prononça Montpernasse, a l'épaule droite Menilmonte, a l'épaule gauche la Courtille, au milieu du ventre Bagnolet, et dans le creux de l'estomac trois fois Lapin sauté » (L'Assommoir: 627).
Bientôt, Gervaise adoptera leur comportement lorsqu'elle se mettra a boire aussi :
elle laissa tomber son menton sur ses mains, elle ne vit plus que Coupeau et les camarades ; et elle demeura nez a nez avec eux, tout pres, les joues chauffées par leur haleine, regardant leurs barbes sales, comme si elle en avait compté les poils. Ils étaient tres soÛls, a cette heure (L'Assommoir: 707).
En rentrant a la maison completement soÛle, elle est regardée par la petite Lalie, qui est prise par une terrible peur de la ressemblance de Gervaise avec son pere :
Mais, en face du visage hébété de la blanchisseuse, elle recula et trembla. Elle connaissait ce souffle d'eau-de-vie, ces yeux pâles, cette bouche convulsée. Alors, Gervaise passa en trébuchant, sans dire un mot, pendant que la petite, debout sur le seuil de sa porte, la suivait de son regard noir, muet et grave » (L'Assommoir: 708).
Le visage de Gervaise lui rappelle celui de son pere qui la bat brutalement chaque fois qu'il revient de la taverne : « Et elle se tut, tremblante, écoutant un pas lourd qui montait l'escalier. Brutalement, le pere Bijard poussa la porte. Il avait son coup de bouteille comme a l'ordinaire, les yeux flambant de la folie furieuse du vitriol » (L'Assommoir: 757). Un autre jour, la fille de Coupeau et de Gervaise trouve ses parents dans un état deplorable : « Coupeau, tombé en travers du lit, ronflait. Gervaise, tassée sur une chaise, roulait la tete avec des yeux vagues et inquiétants ouverts sur le vide » (L'Assommoir: 727).
L'alcool dénature le visage des gens, les yeux deviennent pâles, sans expression, la bouche fendue, toute la physionomie convulsée. Le contraste ne peut pas etre plus grand avec la description de la petite fille qui s'apparente a l'ange, pure et innocente :
Non, jamais Lalie ne se révoltait. Elle pliait un peu le cou, pour protéger son visage ; elle se retenait de crier, afin de ne pas révolutionner la maison. Puis, quand le pere était las de l'envoyer promener a coups de soulier aux quatre coins de la piece, elle attendait d'avoir la force de se ramasser ; et elle se remettait au travail, débarbouillait ses enfants, faisait la soupe, ne laissait pas un grain de poussiere sur les meubles. Ça rentrait dans sa tâche de tous les jours d'etre battue (L'Assommoir: 689-690).
Dans le cas de Coupeau, on peut aussi observer la marche parallele de l'évolution de son alcoolisme et son expression corporelle : « Coupeau traversait justement la rue. Il faillit enfoncer un carreau d'un coup d'épaule, en manquant la porte. Il avait une ivresse blanche, les dents serrées, le nez pincé » (L'Assommoir : 557). Chaque jour davantage son attitude n'est expliquée que par cette seule cause. Malgré son visage déformé par l'ivresse, il garde toujours des traits humains. Néanmoins, il arrive un moment ou il ressemble completement a un monstre ; et voila la description qui en résulte :
Quand elle le regarda sous le nez, les bras lui tomberent. Étaitce Dieu possible qu'il eÛt une figure pareille, avec du sang dans les yeux et des croÛtes plein les levres ? Elle ne l'aurait bien sÛr pas reconnu. D'abord, il faisait trop de grimaces, sans dire pourquoi, la margoulette tout d'un coup a l'envers, le nez froncé, les joues tirées, un vrai museau d'animal (L'Assommoir : 782-783).
Ce portrait correspond a la méme personne qu'on a trouvé au début du roman, avant de tomber du toit, en prenant soin de sa femme qui a accouché de sa fille : « Il lui avait glissé délicatement sous le dos une de ses grosses mains, et il l'attirait, il lui baisait le ventre a travers le drap, pris d'un attendrissement d'homme rude pour cette fécondité endolorie encore » (L'Assommoir: 471). En plus d'avoir accordé a l'alcoolisme la causalité exclusive de la bestialité, Zola a offert la démonstration de cette métamorphose progressive a travers de descriptions corrélatives et bien balancées du comportement corporel.
En somme, l'animalisation de l'homme devient plus évidente surtout dans cette section, ou les personnages sont déshumanisés a cause de leur extréme brutalité. « Les personnages sont des pantins qui empruntent a l'animal un comportement grotesque ; ou bien ce sont des monstres qui incarnent le mythe redoutable de l'union de l'homme et de la béte » (Bonnefis, 1968 : 98). L'obsession de Zola d'animaliser les personnages est soumise a tout malaise existentiel. Par conséquent, la plupart des exemples des métaphores animales apparaissent dans le sens négatif.
5. Le corps et ses appétits
« La dévoration est universelle, les hommes et les femmes se mangent entre eux dans toutes les combinaisons possibles », a déclaré sentencieusement Borie (1971 : 65) a propos de L'Assommoir. En effet, il est impossible d'éviter la sensation que l'humanité dépeinte dans L 'Assommoir est pénétrée par un agacement corporel, un spasme universel, une agitation permanente et véhémente, comme un frelon ; et cette impression est particulierement intense lorsqu'il s'agit du désir sexuel ou de la gourmandise, les deux grands themes qu'on traitera a continuation.
Dans L'Assommoir, la sexualité est explicite, et elle est entendue principalement comme une sorte de violence des hommes sur les femmes. Borie (1971 : 47) affirme : « La violence virile du héros, elle est aussi le monstre menaçant », parce que les hommes sont poussés par un appétit qui les transforme en bétes qui surgissent parderriere ; l'impulsion érotique cristallise dans des mouvements fébriles, des agitations véhémentes : « baiser la nuque, haleine brÛlante qui vient faire trembler les cheveux follets et frissonner la nuque désirée » (Borie, 1971 : 47).
Au total, il y a trois hommes principaux qui lutteront pour séduire Gervaise. Le premier est Coupeau qui, apres l'abandon de Lantier, tente de séduire Gervaise, d'abord verbalement :
Alors, lui, les coudes toujours sur la table, avançant la face davantage, la complimenta en risquant les mots, comme pour la griser. Mais elle disait toujours non de la téte, sans se laisser tenter, caressée pourtant par cette voix câline (L'Assommoir : 408).
L'expression non verbale de Gervaise est bien explicitement contradictoire : bien qu'elle dise « non » de sa tete, elle se laisse mignoter, elle aime ce qu'elle écoute ; comme elle n'est pas capable de s'exprimer verbalement, sa gestualité parle d'ellememe.
Gervaise, au début, ne comprend pas pourquoi Coupeau veut l'épouser :
-Vous n'y songez pas, vraiment. Je suis une vieille femme, moi ; j'ai un grand garçon de huit ans... Qu'est-ce que nous ferions ensemble ? -Pardi! Murmura Coupeau en clignant les yeux, ce que font les autres! Mais elle eut un geste d'ennui (L'Assommoir : 405).
La communication non verbale entre eux arrive plus loin que les mots : de son clignement d'œil, Coupeau exprime qu'il veut la posséder sexuellement, et Gervaise répond d'un geste qui n'a pas besoin de mots.
Le langage corporel a aussi son développement, ses phases, sa dialectique. A mesure que son désir s'intensifie, Coupeau passe des compliments au contact physique : « Elle allait suivre le boulevard. Mais il lui avait pris la main, il ne la lâchait pas, répétant : -Faites donc le tour avec moi, passez par la rue de la Goutte-d'Or, ça ne vous allonge guere... » (L'Assommoir : 412). Si Coupeau avance a grands pas vers la consommation de la relation, Gervaise rétrocede dans son attitude non verbale : « Pourtant, Coupeau, en la quittant devant l'atelier de madame Fauconnier, put garder un instant dans la sienne sa main qu'elle lui abandonnait en toute amitié » (L'Assommoir: 416), jusqu'au moment ou Coupeau devient malade du désir :
il lui parut pâle, les yeux rougis, le visage marbré. Et il restait debout, bégayant, hochant la tete. Non, non, il n'était pas malade. Il pleurait depuis deux heures, en haut, dans sa chambre ; il pleurait comme un enfant, en mordant son oreiller, pour ne pas étre entendu des voisins (L'Assommoir : 418).
Cette attitude d'enfant qui ne peut pas avoir ce qu'il désire adoucit Gervaise, et Coupeau profite du moment pour attaquer : « Coupeau, voyant la jeune femme a bout d'arguments, silencieuse et vaguement souriante, avait saisi ses mains, l'attirait vers lui » (L'Assommoir : 420). Alors, l'envie de la posséder est si fort qu'il agit d'une maniere violente, en empoignant la femme et la baisant rudement : « Il s'était levé, l'avait empoignée par la taille, lui appliquait un rude baiser sur la figure, au hasard » (L'Assommoir: 420). Puis, le jour de la noce, il sent un désir charnel de passer la nuit de noce tete a tete avec elle : « Cependant, Coupeau ne disait rien ; il venait derriere Gervaise, la tenait a la taille, la sentait s'abandonner. Lorsque, brusquement, on rentra dans le jour, il était juste en train de lui embrasser le cou » (L'Assommoir: 449). Bien que cette expression corporelle possede une évidente connotation sexuelle, elle n'est pas exprimée ouvertement, mais presque métaphoriquement, avec une certaine atténuation, au moyen de ce mouvement « d'embrasser le cou », qui contraste avec la tension inspirée par le trope (hypallage) qui déplace l'adverbe « brusquement » de l'action corporelle a l'éclosion des premieres lueurs de l'aube.
Apres le mariage et son accident, Coupeau se sent en possession de Gervaise, alors un jour qu'il rentre ivre a la maison, il agit ainsi :
Non, il voulait l'embrasser, il avait besoin de ça, parce qu'il l'aimait bien. Tout en balbutiant, il tournait le tas des jupons, il butait dans le tas des chemises ; puis, comme il s'entétait, ses pieds s'accrocherent, il s'étala, le nez au beau milieu des torchons. Gervaise, prise d'un commencement d'impatience, le bouscula, en criant qu'il allait tout mélanger. [...] Il l'avait empoignée, il ne la lâchait pas. Elle s'abandonnait, étourdie par le léger vertige qui lui venait du tas de linge, sans dégout pour l'haleine vineuse de Coupeau. Et le gros baiser qu'ils échangerent a pleine bouche, au milieu des saletés du métier, était comme une premiere chute, dans le lent avachissement de leur vie (L'Assommoir: 509).
Cette scene serait suffisante pour illustrer cette exagération méthodique que nous avons remarquée a plusieurs reprises sur la maniere naturaliste de démontrer l'évolution absolument irrémédiable des événements. Zola profite de l'occasion pour montrer comment l'ivrognerie prend le dessus, infestant toutes les manifestations et moments de la vie des personnages, en particulier leurs relations amoureuses, en les jetant dans l'ordure de leur destinée sans appel. On pourrait méme dire que la scene prend un sens métaphorique : Coupeau, soÛl, avec mauvaise haleine, la baise au milieu du linge sale ; la saleté de l'endroit se mélant a la saleté de l'homme, acquiert une valeur morale et présage l'effondrement du couple.
Le deuxieme homme qui tente de séduire Gervaise est Lantier, lorsqu'il réapparaît dans la vie de Gervaise dix ans apres son abandon. D'abord, ses intentions sont loin d'une preoccupation érotique ; il n'est pas motivé par le désir de la posséder, mais de récupérer ce qu'un jour était sien et pour s'assurer un logement et la pitance. Toutefois, le transport passionnel, l'instinct animal effréné va bientôt apparaître. En négligeant le fait que Gervaise est mariée, il la poursuit avec son regard et un jour il l'embrasse contre sa volonté : « Mais, un soir, se trouvant seul avec elle, il la poussa devant lui sans dire une parole, l'accula tremblante contre le mur, au fond de la boutique, et la vo ulut l'embrasser » (L'Assommoir: 613). C'est aussi de la saleté morale qu'il s'agit, de la violence agressive, de l'abus de force ; comme les bétes, soumises a l'impulsion charnelle ; « Le besoin charnel de l'autre ouvre la voie a une animalité dans laquelle la raison risque de s'abîmer » (Cnockaert, 2018 : 77). A ce point de l'histoire, Gervaise se montre encore décidée a rester fidele a son mari, mais le jour ou Coupeau revient soÛl, quelque chose dans son intérieur se casse, et Lantier n'hésite pas a profiter de l'occasion :
Lantier, qui avait un petit rire en voyant bien qu'elle ne ferait pas dodo sur son oreiller cette nuit-la, lui prit la main, en disant d'une voix basse et ardente : -Gervaise... écoute, Gervaise... [...] -Auguste, laisse-moi, tu vas les réveiller, repritelle, les mains jointes. Sois raisonnable. Un autre jour, ailleurs... Pas ici, pas devant ma fille. (L'Assommoir: 631-632).
Dans les premiers instants d'abord Gervaise résiste aux séductions de Lantier :
Elle luttait, elle disait non de la tete, énergiquement. Dans son trouble, comme pour montrer qu'elle resterait la, elle se déshabillait, jetait sa robe de soie sur une chaise, se mettait violemment en chemise et en jupon, toute blanche, le cou et les bras nus (L'Assommoir: 632)
mais finalement elle succombe a la pression insistante. Aussi, les états d'ivresse de Coupeau la font perdre toute l'affection qu'elle avait éprouvée ; encore une fois, c'est grâce aux modifications d'une attitude corporelle que Zola transmet l'évolution des relations : « Il ne parlait plus, il restait souriant ; et, lentement, il la baisa sur l'oreille, ainsi qu'il la baisait autrefois pour la taquiner et l'étourdir. Alors, elle fut sans force, elle sentit un grand bourdonnement, un grand frisson descendre dans sa chair » (L'Assommoir: 632). C'est le point de départ de ce ménage a trois qui éveillera des rumeurs dans le quartier.
Le troisieme homme dans la vie de Gervaise est Goujet. Il est le seul qui est vraiment amoureux d'elle. La sympathie, le penchant tendre, sont mutuels : « Alors, tous deux baisserent la tete. Il y avait entre eux quelque chose de tres doux qu'ils ne disaient pas » (L'Assommoir: 491). A cause d'une tension sexuelle entre les deux, des rougissements involontaires se produisent. Dans la scene ou Goujet entre sans frapper a la porte, « il la surprit a moitié nue, se lavant le cou ; et, de huit jours, il ne la regarda pas en face, si bien qu'il finissait par la faire rougir elle-meme » (L'Assommoir : 474). L'émotion passe de l'un a l'autre, créant une situation a moitié incommode. Ainsi, Gervaise rougit aussi, lorsqu'elle entend parler de Goujet : « Tout le monde disait en riant a Gervaise que Goujet avait un béguin pour elle. Elle le savait bien, elle rougissait comme une jeune fille, avec une fleur de pudeur qui lui mettait aux joues des tons vifs de pomme d'api » (L'Assommoir: 518). C'est cette marque physiologique, le rougissement, ce qui nous indique qu'elle connaît bien les sentiments de Goujet et aussi qu'elle sent la meme chose, comme dans la scene ou elle parle avec sa mere :
Elle avait rougi légerement, en balbutiant la fin de la phrase. Elle craignait de laisser voir le plaisir qu'elle prenait a repasser elle-meme les chemises de Goujet. Bien sÛr, elle n'avait pas de pensées sales ; mais elle n'en était pas moins un peu honteuse (L'Assommoir: 539).
Ensuite, on trouve une expression nouvelle des sentiments a travers le corps : le contact a travers des mains entre Gervaise et Goujet devient le signe de l'amour qui ne pourra jamais fleurir. Les contacts physiques entre eux acquierent une tres grande signification psychologique, affective ; les rapprochements minimes deviennent l'expression parfaite d'une vraie délicatesse, les manifestations plus éloquentes de l'intimité et la douceur de l'amour. Il y a peu d'occasions ou l'efficacité communicative des contacts physiques soit démontrée d'une maniere plus convaincante, ou l'on montre comment la dialectique corporelle peut remplacer completement les discours. Quand Gervaise vient visiter Goujet dans son atelier et il vainc son collegue dans le duel des marteaux : « Il lui prit la main comme s'il l'avait conquise » (L'Assommoir : 535). Mais le vrai contact de leurs mains plein d'affection apparait quand Gervaise et Goujet restent seuls, apres avoir témoigné le baiser violent de Lantier. C'est la scene ou Goujet finalement exprime ses sentiments pour Gervaise et lui propose d'échapper avec lui : « Et elle avait, en parlant, une si belle figure, toute pleine de franchise, qu'il lui prit la main et la fit rasseoir. Maintenant, il respirait a l'aise, il riait en dedans. C'était la premiere fois qu'il lui tenait la main et qu'il la serrait dans la sienne » (L'Assommoir: 615). Les expressions corporelles suivent exactement la marche des sentiments et des pensées, jusqu'au point ou l'on pourrait presque faire abstraction des paroles. Ainsi, nous voyons changer soudainement cette tendresse quand Gervaise mentionne l'argent emprunté :
Il lui secoua la main, a la briser. Il ne voulait pas qu'elle parlât de l'argent. Puis, il hésita, il bégaya enfin : -Écoutez, il y a longtemps que je songe a vous proposer une chose... Vous n'etes pas heureuse. Ma mere assure que la vie tourne mal pour vous. (L'Assommoir: 616).
Apres sa proposition, Goujet se montre sensible et extremement timide, ce qui démontre une vraie impuissance, parce que son comportement réel contredit ses intentions : « Il l'aurait prise contre lui pour l'embrasser, qu'elle aurait eu moins de honte » (L'Assommoir: 616). Il souhaite gagner son cœur, mais en meme temps il sait que leur amour est impossible, ce qui le rend violent et le conduit finalement a se comporter comme les autres hommes dont on a parlé :
Brusquement, dans le grand jour, il la prit entre ses bras, la serra a l'écraser, lui posa un baiser furieux sur le cou, comme s'il avait voulu lui manger la peau. Puis, il la lâcha, sans demander autre chose ; et il ne parla plus de leur amour. Elle se secouait, elle ne se fâchait pas, comprenant que tous deux avaient bien gagné ce petit plaisir (L'Assommoir: 617).
Il vaut la peine que nous nous arrétions pour examiner la scene de la derniere rencontre entre Gervaise et Goujet, parce que cette troublante relation offre l'un des motifs les plus intéressants pour montrer comment les paroles se font inutiles ou inefficaces pour exprimer l'attroupement des émotions contrariées, et alors seulement les allures, les mouvements nerveux, les regards, bref, le corps seul peut en rendre compte. On sait déja que Goujet était vraiment amoureux de Gervaise et qu'il était le seul homme qui voulait toujours l'aider. Quand Gervaise se jette dans la prostitution, c'est donc Goujet qui la sauve pour la derniere fois, apparaissant dans la rue ou Gervaise était prete a se prostituer. Quand elle voit Goujet, elle se jette a ses jambes, bleme et suppliante. Il la ramene chez lui, et lui donne a manger. Puis, « sans une parole, pris d'une rage, il voulut la saisir et l'écraser entre ses bras » (L'Assommoir : 775), ce que Gervaise interprete comme une faveur de retour, et le contenu moral de toute la scene est partagé entre les mots et les gestes, avec une prépondérance claire de ces derniers :
Puis, croyant voir une flamme s'allumer dans ses yeux, elle porta la main a sa camisole, elle ôta le premier bouton. Mais Goujet s'était mis a genoux, il lui prenait les mains, en disant doucement : -Je vous aime, madame Gervaise, oh! Je vous aime encore et malgré tout, je vous le jure! (L'Assommoir: 777).
Sans doute, la poésie nous offre d'innombrables exemples ou les mots seuls donnent pleinement compte des nuances infinies de la tension émotionnelle dans des cas similaires, mais on comprend bien que l'auteur d'un roman réaliste ne fasse pas parler ses personnages avec cette rare inspiration verbale qui ont, disons, les Dido et Énée, Hippolyte et Aricie, Roméo et Juliette... Toute rhétorique peut étre parfaitement remplacée par l'éloquence des gestes. Les sentiments de Goujet sont purs, il est le seul qui aime Gervaise réellement et inconditionnellement, et ce penchant tendre lui impose un comportement corporel tres différent des autres amants, plus timide, plus chaste ; lorsqu'il a la possibilité de la posséder, il se limite juste a lui donner une bise sur le front, comme un geste de respect et de protection : « Il la baisa sur le front, sur une meche de ses cheveux gris. Il n'avait embrassé personne, depuis que sa mere était morte. Sa bonne amie Gervaise seule lui restait dans l'existence » (L 'Assommoir: 777). Gervaise, surprise par la pureté de ses sentiments, est aussi émue et ce sont également ses gestes qui expriment ses sentiments : « Et elle se mettait a genoux, toute secouée d'un désir qui la pâlissait. Jamais elle ne s'était ainsi roulée aux pieds d'un homme » (L'Assommoir: 779).
Il convient de noter qu'en général Zola décrit les hommes comme des étres dépravés, qui ont un esprit sale. Charles, le garçon du lavoir, « jouissait des morceaux de peau que les deux femmes montraient » (L'Assommoir: 399) pendant leur bagarre. Les hommes au musée du Louvre cherchaient « les détails orduriers » (L 'Assommoir: 446) dans le tableau de la Kermesse de Rubens et « chatouillaient » les femmes « leur pinçaient les jambes » (L'Assommoir: 448) pendant la noce de Gervaise. Méme monsieur Boche, un homme marié, ne cesse pas de flirter avec les femmes prenant leur genou sous la table, comme avec madame Vigouroux pendant la féte de Gervaise ou la taille de madame Lerat :
Madame Boche, a voix basse, accusa Boche de pincer les genoux de madame Lerat [...] Et le vacarme s'accrut d'un acte de vigueur de madame Boche. Elle guettait toujours Boche, elle le vit, dans un coin, pincer la taille de madame Lerat (L'Assommoir: 454-459).
Mais les hommes ne possedent pas le patrimoine exclusif du dévergondage. Nana, la fille de Coupeau et Gervaise, est aussi incline a l'impudicité : « Elle avait de grands yeux d'enfant vicieuse, allumés d'une curiosité sensuelle » (L'Assommoir: 632). Ceci est révélé pendant la scene, témoignée par Nana, ou Gervaise succombe a la séduction de Lantier :
Le visage de Nana apparut a la porte vitrée du cabinet [...] La petite venait de se réveiller et de se lever doucement, en chemise, pâle de sommeil. Elle regarda son pere roulé dans son vomissement; puis, la figure collée contre la vitre, elle resta la, a attendre que le jupon de sa mere eÛt disparu chez l'autre homme, en face (L'Assommoir: 632-633).
Alors, elle apprend bien tôt ce dont les hommes ont besoin. En plus, a cause de l'alcool, son pere agit d'une maniere équivoque avec elle, ce qui semble un harassement sexuel :
Nana faisait la modeste, parce qu'elle trouvait ça gentil, ce jour-la. Elle continuait a regarder les cadeaux sur la commode, en affectant de baisser les yeux et de ne pas comprendre les vilains propos de son pere. Mais le zingueur était joliment taquin, les soirs de ribote. Il lui parlait dans le cou (L'Assommoir : 678).
La loi du déterminisme impose la répétition de ce qu'elle voyait toujours dans son milieu ; Nana commence a utiliser son corps pour séduire les hommes ; la génétique présente sa meilleure démonstration dans l'inventaire des petits gestes, méme s'ils sont médités et préparés :
Ce qui la rendait surtout friande, c'était une vilaine habitude qu'elle avait prise de sortir un petit bout de sa langue entre ses quenottes blanches. Sans doute, en se regardant dans les glaces, elle s'était trouvée gentille ainsi. Alors, tout le long de la journée, pour faire la belle, elle tirait la langue (L'Assommoir: 709).
Elle est jeune et son expression corporelle est orientée - tout comme nous l'avons vu dans le cas des vetements - vers le seul but d'attirer l'attention des hommes. Lorsqu'elle se promene avec son amie Pauline,
elles balançaient les hanches, se pelotonnaient, se dégingandaient, histoire d'attrouper le monde et de faire craquer leur corsage sous leurs formes naissantes [...] les yeux vifs, coulant de minces regards par le coin pincé des paupieres, elles voyaient tout, elles renversaient le cou pour rire, en montrant le gras du menton (L'Assommoir: 711).
Outre la pulsion sexuelle - et, bien sÛr, l'alcoolisme -, la gourmandise est l'autre grand appétit corporel qui traverse la galerie d'attitudes grossieres chez L'Assommoir. Borie (1971 : 39) n'exagere pas quand il souligne l'impression de saleté matérielle et morale que Zola nous transmet quand il décrit l'attitude des personnages envers la nourriture :
Il n'y a pas que l'alcoolisme dans L'Assommoir. il y a aussi quarante pages au milieu du roman ou l'on mange. Les dîneurs a table sont toujours tres absorbés par leur assiette : ils nous tournent le dos, et aussi a l'auteur. C'est alors que celui-ci peut se retirer sur la pointe des pieds et que, seuls derriere les convives, nous pouvons vraiment les voir : litiere de porcs vautrés dans le bonheur abominable de leur fange.
De nouveau, on revient au sujet de la bete. Les convives pendant la fete de Gervaise réduisent ses actions au comportement non verbal. Ils ne parlent pas, ne peuvent pas parler, soit parce que leur bouche est pleine, soit parce que leur attention est focalisée sur les assiettes. Ils mangent comme des betes, comme s'ils devraient remplir leurs ventres pour passer tout l'hiver sans manger. Dans ce cas-ci, l'animalisation des personnages qui mangent de cette façon est « l'instrument d'une satire, parce qu'elle sanctionne les ridicules d'une humanité au sang pauvre, dépossédée des splendeurs solaires de sa nudité, et sclérosée par le labeur, la låcheté ou l'inintelligence » (Bonnefis, 1968 : 99) :
Les hommes déboutonnaient leur gilet, les dames s'essuyaient la figure avec leur serviette. Le repas fut comme interrompu; seuls, quelques convives, les mâchoires en branle, continuaient a avaler de grosses bouchées de pain, sans meme s'en apercevoir (L'Assommoir: 575).
Et aussi :
Autour de la table grasse, dans l'air épaissi d'un souffle d'indigestion, s'ouvraient des horizons d'or, passaient des cous d'ivoire, des chevelures d'ébene, des baisers sous la lune aux sons des guitares, des bayaderes semant sous leurs pas une pluie de perles et de pierreries ; et les hommes fumaient béatement leurs pipes, les dames gardaient un sourire inconscient de jouissance, tous croyaient étre la-bas, en train de respirer de bonnes odeurs (L'Assommoir: 586-587).
Le lecteur peut trouver jusqu'a 15 fois l'allusion aux mâchoires, presque toutes liées a l'action de manger. Pendant la noce : « Elle expliquait ses poupées a Mes-Bottes, dont les mâchoires, lentement, roulaient comme des meules. Il n'écoutait pas, il hochait la téte, guettant les garçons, pour ne pas leur laisser emporter les plats sans les avoir torchés » (L'Assommoir: 454). Ensuite, ce sont les tapes sur le ventre - partie du corps qui est mentionnée, par des motifs divers, plus de 60 fois - le geste qui exprime le mieux le comportement primitif des personnages, parfaitement illustré dans l'action de trop manger :
Au milieu de cette débácle, Coupeau et Lantier se faisaient des joues. Les gaillards, attablés jusqu'au menton, bouffaient la boutique, s'engraissaient de la ruine de l'établissement ; et ils s'excitaient l'un l'autre a mettre les morceaux doubles, et ils se tapaient sur le ventre en rigolant, au dessert, histoire de digérer plus vite (L'Assommoir: 611).
6. Le corps et la bete humaine
Sous ce titre, on voudrait faire une sorte de récapitulation de tout ce qu'on a vu jusqu'au moment. Une caractéristique remarquable du naturalisme zolien est le récit de ce qui arrive au corps dans la vie réelle, sa dégradation progressive au fil du temps. Dans le roman, on a pu suivre le vieillissement de Gervaise, depuis sa jeunesse reflétée dans son doux visage, jusqu'a sa fin, ou elle contemple son ombre qui est « énorme, trapue, grotesque tant elle était ronde. Cela s'étalait, le ventre, la gorge, les hanches, coulant et flottant ensemble. Elle louchait si fort de la jambe, que, sur le sol, l'ombre faisait la culbute a chaque pas ; un vrai guignol! » (L'Assommoir : 771-772). Mais ce n'est pas un vieillissement normal, naturel, mais une déchéance a la fois somatique et morale accélérée par l'influence constante du milieu destructeur pendant une vingtaine d'années. Ce proces de dégradation corporelle se révele spécialement au moyen de la transformation des manifestations kinésiques : « Gervaise traína ses savates dans le corridor, alourdie, pliant les épaules » (L'Assommoir: 756).
Vers la fin du roman, toute expression corporelle devient accentuée, voire méme exagérée. Gervaise boite de plus en plus, ses mouvements sont plus lourds et maladroits :
dépeignée, montrant par les trous de sa camisole l'enflure de son corps, un débordement de chairs molles qui voyageaient, roulaient et sautaient, sous les rudes secousses de sa besogne ; et elle suait tellement, que, de son visage inondé, pissaient de grosses gouttes (L'Assommoir : 731-732).
Elle pâlit plus souvent a mesure que ses malheurs s'intensifient, et ses emotions sont parfois accentuées par la reaction physiologique au milieu materiel, comme le contraste thermique lorsqu'elle se promene dans les rues de Paris : « Elle s'arretait toute pâle de désir, elle sentait monter du pavé de Paris une chaleur le long de ses cuisses, un appetit feroce de mordre aux jouissances dont elle était bousculée, dans la grande cohue des trottoirs » (L'Assommoir: 726).
Finalement, elle devient une autre bete, en s'unissant a la compagnie chez le pere Colombe : « Gervaise, empetrée la-dedans, les bras cassés par cette addition, se fâchait, donnait des coups de poing sur la table, ou bien finissait par pleurer comme une bete » (L'Assommoir: 651). On se souvient ici de ce que Gervaise disait au début du roman : « L'eau est joliment dure a Paris » (L'Assommoir : 388). En effet, la vie, comme l'eau, s'écoule durement en misere et en froid, « un froid aigu et mortel comme jamais elle n'en avait éprouvé. Bien sÛr, les morts n'ont pas si froid dans la terre. Elle souleva pesamment la tete, elle reçut au visage un cinglement glacial » (L'Assommoir: 773). Bientôt, elle pourra faire son dodo éternel et finir, ainsi, sa malchance d'etre pauvre a l'époque du Second Empire.
Quand il revenait soÛl, il lui fallait des femmes a massacrer. Il ne s'apercevait seulement pas que Lalie était toute petite ; [...] un loup enrage tombant sur un pauvre petit chat, craintif et câlin, maigre a faire pleurer, et qui recevait ça avec ses beaux yeux résignés, sans se plaindre (L'Assommoir: 689).
*Artículo recibido el 20/02/2019, aceptado el 1/03/2020.
1En plus, pour Jacquet (1995 : 103), ce type de bruit symbolise une organisation d'une « colonne sonore, la voulant, la créant cacophonique mais pas confuse, soulignant toute valeur collective » et l'accéleration de rythme donne la sensation d'une forme de militarisation.
2Citation traduite de l'anglais.
4Cette intime et parfaite intelligence mutuelle parmi les époux est un fait presque naturel et bien commun, pas seulement dans la malice, mais aussi dans la douceur. Dans Anna Karénine (4e partie, chap. XIII), Tolstoi' nous montre un exemple d'exacte compréhension sans paroles. Cet exemple ne fait pas référence a la substitution des mots par des gestes, mais plutôt a des indications minimales (les initiales) des memes mots ; pourtant, d'une perspective quelque peu plus large, il s'agit de la meme chose : il y a des signes, que ce soit conventionnels ou naturels, auditifs, visuels ou verbaux, qui sont compris en vertu d'une intuition mutuelle, d'une intimité.
5Selon Jacquet (1995), le verbe « taper » répresente une sorte de bruit-obsession de Zola, ensemble avec les autres verbes comme « frapper » et « battre » qui apportent, en plus, de la sonorité au roman.
6La saga Les Rougon-Macquart, comme les études sur la mort du XIXe siecle, nous révelent une predominance de la figure féminine autour de l'agonisant comme « le signe d'une réappropriation du mort par la famille, dont les femmes garantissent l'unité. Cette effective féminisation dans l'œuvre de Zola, si elle resulte de la transposition d'un fait social en fait littéraire, ne suffit pas a expliquer la persistance du personnage féminin qui, lorsqu'il n'est pas spécifiquement la mere, en livre souvent l'image » (Cnockaert, 2003 : 137). L'episode de Lalie est brutale, non seulement parce qu'elle n'est qu'un enfant, mais aussi parce qu'elle incarne la maternité, malgré son jeune âge (« Lalie, la petite mere »).
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Abstract
An essential part of nonverbal manifestations is the kinesics that encompasses movements of the human body and the gestures articulated in the face. In a communicative act, the gestures acquire a key importance in the interpretation of emitted messages, being able even to contradict what has been said. In a literary text, especially those of a realistic nature, these gestures correspond to the attitudes of the characters and provide a reliable image of their behaviour and personality. The choice of the kinesic apparatus in a specific work generates in the reader particular perceptual simulations that, in addition, complete the literary interpretation cognitively. The present article aims at examining the kinetic manifestations in the novel L'Assommoir by Émile Zola and to relate its characteristics to the aesthetics of naturalism.