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Kharkiv devait tomber. N’importe quel stratège en chambre pouvait le prévoir dès la fin février. Première capitale de l’Ukraine bolchevique en 1917, à trente kilomètres de la frontière russe, peuplée principalement de russophones qui ont souvent de la famille de l’autre côté, elle ne pouvait pas échapper à la première vague de l’invasion de l’armée de Vladimir Poutine. Et pourtant, avec les ruines qui maintenant la défigurent, Kharkiv tient.
Cette résistance a probablement surpris John Mearsheimer. Et elle a sûrement rempli d’une triste fierté Katya Soldak. La seconde est journaliste, native de Kharkiv, et Arte vient de montrer son film poignant sur la «déchirure» ukrainienne (The Long Breakup). Le premier, professeur à l’Université de Chicago, est parmi les géopoliticiens le nom le plus connu de l’école dite «réaliste». L’une et l’autre ne voient pas la guerre qui traumatise l’Europe de la même manière, et ce choc est éclairant.
Le réalisme, dans ce domaine, est une manière pragmatique, et parfois assez cynique, d’envisager les relations internationales. Pour John Mearsheimer, le jeu se joue sur le tapis du monde entre puissances principales qui agissent sans réelles lois et normes capables de les contraindre, en fonction de leurs intérêts et de problèmes de sécurité primordiaux. La rivalité entre les joueurs est dangereuse, et les actions irréfléchies dans la sphère d’influence de l’autre comportent de sérieux risques de guerre.
Appliquée à l’actuelle crise armée en Europe, le théorème se traduit ainsi. L’Alliance atlantique, après l’effondrement de l’Union soviétique, a profité de l’affaiblissement de la Russie pour piétiner allègrement dans ses marches, provoquant...