En 2010, l’historien Denis Crouzet faisait l’incroyable découverte d’un manuscrit inédit dans une valise poussiéreuse, abandonnée dans le débarras d’un appartement, au sixième étage d’un immeuble 1900 à Paris. Le texte, rédigé en 1950 alors que le souvenir des horreurs de la Seconde Guerre mondiale était encore vif, portait la signature de deux des plus grands historiens français du xxe siècle : Lucien Febvre, l’un des pères fondateurs de l’école des Annales, et son jeune collègue François Crouzet, professeur d’histoire économique à la Sorbonne (et père de D. Crouzet). Sous le titre Origines internationales d’une civilisation. Éléments d’une histoire de France, les auteurs battaient résolument en brèche les récits établis de l’histoire nationale (et européenne) et analysaient les influences multiséculaires du monde sur l’Hexagone1.
Se penchant tout d’abord sur les habitants de leur propre pays, les auteurs rejettent l’idée d’une « race pure » et affirment que les Français ont toujours été un mélange de peuples, comprenant des Turcs, des Arabes et des Africains. Il en va de même de la flore et de la faune présentes en France. Les arbres considérés comme étant les plus français, expliquent-ils, viennent d’Asie : le platane a été importé au xvie siècle, le marronnier est arrivé au début du xviie siècle, le cèdre ne poussait pas en France avant la fin du xviiie siècle et ainsi de suite. L. Febvre et F. Crouzet rappellent également que certains des aliments les plus courants en France viennent de l’étranger ; les oranges, les mandarines et les citrons du Moyen-Orient, les tomates et les pommes de terre d’Amérique et le café d’Afrique. Même le tabac des Gauloises n’avait rien de français. Ils réalisent le tour de force de démontrer de manière implacable que l’histoire de la France s’est constamment nourrie d’« emprunts » aux quatre coins de la planète et que ces adoptions, adaptations et appropriations ont fait des Français les « héritiers » de passés multiples2.
L’ouvrage avait été commandé par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), tout juste créée et siégeant à Paris, pour dépasser les récits étriqués de l’histoire nationale et de l’histoire de l’Europe. En offrant un modèle d’histoire plus ouverte, en...