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Abstract
Dans les dernières décennies, la reconnaissance du savoir écologique traditionnel (SÉT) s'est accrue dans le milieu de la recherche et de la gestion environnementale, auxquelles il a contribué par l'apport d'information nouvelle et de perspectives locales. Au Canada, la valeur du SÉT a d'ailleurs été soulignée par l'établissement de mesures, parfois légales, exigeant la co-application du SÉT et de la science pour la gestion de certaines ressources. Or, si maints écrits ont vanté les mérites de cette co-application, peu de discussions ont eu lieu quant aux différentes méthodes pouvant maximiser le potentiel de l'intégration SÉT-connaissances scientifiques. Nous avons travaillé avec des aînés et chasseurs de la communauté de Mittimatalik (Pond Inlet), Nunavut, Canada, dont le SÉT doit maintenant être incorporé dans les mesures de gestion du Parc National du Canada Sirmilik (PNC Sirmilik). Dans ce contexte, l'objectif général de notre projet était d'analyser l'idée selon laquelle le degré de complémentarité entre SÉT et savoir scientifique dépendrait avant tout de l'échelle à laquelle chaque type de connaissance aurait été acquis. Plus précisément, nous avons testé l'hypothèse selon laquelle le SÉT devrait étendre les échelles spatiales et temporelles des connaissances scientifiques actuelles sur trois espèces importantes pour l'écosystème terrestre du PNC Sirmilik: la grande oie des neiges (Chen caerulescens atlantica), le renard arctique (Alopex lagopus) et le renard roux (Vulpes vulpes). Par l'entremise de 23 entrevues semi-dirigées, 3 visites sur le terrain, 4 groupes de discussion et un camp aînés jeunes, nous avons documenté le SÉT inuit concernant des aspects de l'écologie des renards et de l'oie complémentaires aux connaissances scientifiques actuelles. Par cette approche novatrice, nous avons démontré que de manière générale, les données scientifiques locales tendent à être très spécifiques et détaillées (l'approche du ‘zoom-in’), que le SÉT inuit fournit une image plus globale du système (un ‘zoom-out’). De plus, nous avons démontré que le SÉT sur l'écologie des renards étendait l'échelle spatiale et/ou temporelle des connaissances scientifiques en fournissant de l'information complémentaire sur l'écologie hivernale du renard arctique, les sites de tanières du renard arctique, l'abondance du renard roux et sur les aires où les différentes phases du renard roux ont été observées. Par contre, le SÉT sur la séquence de mue de l'oie des neiges, la période de migration automnale et les changements dans l'abondance et la distribution des oies, était moins complémentaire aux connaissances scientifiques, mais plutôt comparable aux mêmes échelles régionales. Dans le cas de l'oie, les données scientifiques recueillies durant la migration et l'hiver permettaient en plus d'obtenir des connaissances à des échelles spatiales et temporelles s'étendant au-delà de l'échelle régionale couverte par le SÉT.
Ces résultats illustrent que le niveau de complémentarité entre SÉT et savoir scientifique dépend du niveau de chevauchement d'échelle entre les deux ensembles d'observations pour une espèce donnée (un faible chevauchement d'échelle entraîne une grande complémentarité, et vice versa). Nous défendons donc l'idée qu'il est nécessaire de comprendre les échelles respectives auxquelles le SÉT et les connaissances scientifiques opèrent si l'on veut maximiser les bénéfices de leur co-application. Aussi, nos résultats permettent de conclure que l'intégration du SÉT et de la science par l'approche de complémentarité d'échelles est un moyen puissant et utile permettant d'obtenir une image plus claire du système socio-écologique à l'étude, et d'améliorer le niveau de communication et de collaboration entre membres des communautés locales, biologistes et gestionnaires des ressources naturelles. Enfin, le prochain pas vers une intégration et une collaboration encore plus complète entre SÉT et connaissances scientifiques pourrait être atteint en menant un projet misant a priori sur les forces de chaque savoir et au cours duquel SÉT et données scientifiques seraient documentés, analysés et discutés simultanément.