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Abstract
Longtemps considéré par la critique comme une version édulcorée ou tardive du grand courant européen, le romantisme canadien fait ici l'objet d'une réévaluation complète. Le cadre d'analyse, construit à partir des récents travaux sur le champ littéraire (Bourdieu, Casanova), sur la création des identités nationales (Thiesse), sur les romantismes périphériques (Rafroidi, Jonard, Walicki) et sur la vie littéraire au Québec (Lemire et Saint-Jacques), permet de jeter un regard neuf sur ce mouvement traditionnellement réduit à sa seule dimension esthétique. L'approche privilégiée, bénéficiant ainsi des avancées de l'histoire et de la sociologie de la littérature, accorde la primauté à son caractère politique et aux déterminations identitaires qui lui sont étroitement liées.
La vague de fond romantique qui déferle au XIXe siècle sur l'Europe et l'Amérique porte un vaste mouvement qualifié d' «éveil des nationalités». Dans le Canada des années 1830--1840, comme dans les petites nations italienne, polonaise ou irlandaise, le romantisme, se substituant en quelque sorte à la lutte de terrain pour l'indépendance populaire, joue un rôle fondateur dans l'émergence d'une identité et d'une littérature nationales. Deux générations romantiques se profilent alors au pays---celle des Patriotes et celle des Rouges---qui, après l'épée, brandissent la plume pour défendre la «cause sacrée de la patrie». Dans les œuvres de ces premiers intellectuels, qui empruntent la double posture romantique d'hommes de lettres et d'hommes d'État, se découvrent des thématiques (patriotisme, «gothisme») et une rhétorique (lyrisme, dramatisation, héroIsation) indéniablement modernes. Souvent laissés pour compte, les écrits intimes de l'époque, où les marques du romantisme sont peut-être les plus patentes, retiennent particulièrement l'attention.
En fin de parcours, la réévaluation s'étend aux années 1860 et à l'École patriotique de Québec, perçues à tort comme le véritable point d'ancrage du mouvement. Sous l'impulsion des réalités sociopolitiques et religieuses changeantes, une autre forme romantique, distincte de la précédente, semble se mettre en place. Une série d'hypothèses à propos d'un changement de «régime d'historicité» (Hartog), d'une autonomisation précaire du champ littéraire face au champ du pouvoir et du «sacre de l'écrivain» canadien (Bénichou) visent à en définir la nature et l'évolution. Est ainsi établie une nouvelle périodisation envisageant le phénomène, non plus en termes de «pré» et de «post» romantisme, mais en termes de premier et de deuxième romantisme.





