Reçu le 30-08-2023 / Évalué le 15-10-2023 / Accepté le 10-11-2023
Résumé
Les mythes nordiques se trouvent au centre de PAX (2014-18), une série romanesque suédoise créée par Åsa Larsson, Ingela Korseli et Henrik Jonsson. Les protagonistes de cet urban fantasy sont définis en lien avec les héros de la mythologie nordique et les créatures surnaturelles à combattre se distinguent de celles de la littérature et de la culture populaire actuelles, car issues des anciennes légendes populaires suédoises. Cet article, à cheval entre la littérature et la folkloristique, analyse les liens intertextuels mythiques et la réinterprétation des figures folkloriques. Dans une optique de narratologie cognitive sont étudiés les éléments du récit formant les blocs de construction du monde narratif de FAX que le lecteur doit créer mentalement. Ainsi se construit le monde mythique FAX, entre légendes anciennes et nouvelles, apportant aux jeunes lecteurs des valeurs constructives.
Mots-clés : littérature de jeunesse, folklore suédois, mythologie nordique, intertextualité, culture populaire
Abstract
The Swedish urban fantasy book series PAX (2014-18), by Larsson, Korseli and Jonsson, revolves around Nordic mythology and folk legends. The protagonists are defined by heroes from Nordic mythology and the supernatural creatures they fight are far from the ones often seen in literature and in current popular culture as they are modelled on rather unknown folklore figures. Combining literary and folklore studies, this article analyses the mythological strands in PAX via examples of revived folklore creatures and intertextual links to Nordic myths. Using a cognitive literary approach, the study further discusses the building blocks that form the blueprint of the PAX story world which the readers must mentally construct. The mythical story world of PAX, built on old and new legends, provides constructive values and empowering stories for young readers.
Keywords: children's literature, Swedish folklore, Nordic mythology, intertextuality, popular culture
Introduction1
Le grimm, le draug, le vitorm.... Voilà quelques figures remontées depuis les anciennes croyances suédoises pour faire fonction de blocs de construction du monde fictif de la série romanesque PAX. Écrite par Åsa Larsson et Ingela Korseli avec des illustrations en noir et blanc façon comics signées Henrik Jonsson, elle est publiée en Suède en dix tomes entre 2014 et 2018, dont les trois premiers sont traduits en français, par Esther Sermage (Larsson, Korseli, Jonsson 2014-2018). Cet urban fantasy pour jeunes lecteurs ne se déroule pas dans un monde parallèle, mais dans une version fictive de la ville de Mariefred2. Le monde est reconnaissable comme le nôtre, mais transformé grâce à la présence de figures empruntées à la mythologie nordique et aux anciennes légendes populaires (folksägen). Le genre fantasy contient un grand nombre de variations. Selon la division établie par la chercheuse britannique Farah Mendlesohn (2008), la série PAX n'est pas un portal or quest fantasy, puisqu'il ne s'agit pas d'un monde fantastique séparé du monde réel (comme dans l'œuvre de Tolkien). Ce n'est pas non plus un liminal fantasy puisque les protagonistes et les lecteurs sont conscients des éléments magiques. En revanche, la série PAX peut être vue à la fois comme un immersive et un intrusive fantasy. Comme l'explique Anne-Stefi Teigland (2020), la catégorie de fantasy intrusif regroupe les récits dans lesquels les éléments surnaturels font irruption dans le monde réaliste, créant ainsi du chaos et incitant de la peur, ce qui est le cas de PAX3. Le fantasy immersif, enfin, sert à définir les œuvres où les éléments fantastiques ont une place naturelle, font partie du monde réel et connu des protagonistes (Teigland, 2020 : 114-115). Dans PAX, ces aspects surnaturels ne sont certes pas connus par les gens en général, mais sont évidents pour les personnages initiés, et l'univers ainsi décrit contient, de façon naturelle pour le lecteur, un niveau magique. La frontière entre ces deux catégories est en effet floue, explique Teigland (2020 : 116) et la définition dépend, au final, de la compréhension de chaque lecteur4.
Dans ce cadre réaliste et urbain, les jeunes protagonistes, deux frères, vont affronter les créatures surnaturelles tout en gérant leur vie quotidienne : ils doivent notamment s'adapter dans une nouvelle famille d'accueil et école et gérer leur relation avec leur mère alcoolique. Avec un passé difficile, ils ont appris à se méfier des adultes et à se protéger mutuellement. La vie à Mariefred ne sera pas facile et le combat contre le mal devra se dérouler à plusieurs niveaux, entre les soucis de leur vie quotidienne (notamment avec le harcèlement à l'école et la peur des interventions de services sociaux dans la famille d'accueil5) et le combat contre les forces obscures. Les auteurs combinent ainsi le genre fantasy avec le réalisme social de la tradition suédoise de littérature de jeunesse6. À cela s'ajoute une intrigue empruntée du polar7, mais aussi des éléments évoquant d'autres médias comme les séries télé et les jeux vidéo. Il s'agit donc d'un genre hybride et nous empruntons à Åsfrid Svensen (2001: 71) le terme de récit d'aventure mythique qu'elle emploie pour les récits fantastiques se déroulant soit dans un monde secondaire, soit dans un cadre réaliste mais qui « se transforme en autre chose que la réalité normale que nous connaissons à travers notre vie quotidienne8 ».
Ce genre permet de créer une connexion entre les anciens mythes et les lecteurs d'aujourd'hui. Nous retenons pour cette étude la définition du mythe donnée par Brian Attebery (2014 : 2) dans son livre Stories about stories : « [Le terme de] mythe est utilisé pour qualifier un récit collectif qui comprend une vision du monde et permet la croyance9 ». Que les auteurs reprennent, interprètent et transforment les mythes n'est pas un phénomène nouveau, ni limité à la littérature de fantasy, mais c'est considéré comme l'une des particularités de ce genre. Comme le constate Attebery (2014 : 2-3), ces auteurs s'inspirent en effet d'un grand nombre de genres narratifs et puisent dans des mythes de toutes les époques et aires linguistiques, construisant de nouvelles façons de comprendre les anciennes croyances et histoires. FAX contient un jeu intertextuel mythique puisque les protagonistes sont définis en lien avec des figures de la mythologie nordique et les créatures folkloriques font partie intégrante de l'univers de la série. Selon Marc Egeldinger (1997 : 11), l'intertextualité n'est pas uniquement littéraire mais aussi mythique et sert à « construire un univers relationnel, un univers d'alliances et de connexions, favorisant la libre circulation entre les œuvres ; elle est le lieu de leur confrontation et de leur cohabitation dans le langage ». Tout en contenant un enjeu memoriei, l'intertextualité se définit par un « travail d'appropriation et de réécriture qui s'applique à recréer le sens, en invitant à une lecture nouvelle » (Egeldinger, 1997 :11). La présence mythique est fréquente en littérature de jeunesse qui contient souvent un aspect didactique important ; la mythologie et le folklore font partie du patrimoine culturel à transmettre aux enfants. Or la mémoire collective ne cesse d'être reconfigurée. Comme le souligne Nathalie Prince (2015 : 8), les personnages mythiques « traversent le temps », « sont comme immortels et même transgénériques » et « se reconnaissent, se réécrivent, se réincarnent ». Une fois sorti de son contexte original, le mythe ne doit pas seulement être expliqué mais aussi réinterprété pour servir d'autres objectifs. Comme l'explique Attebery (2014 : 3-4), le choix d'un auteur de reprendre une telle figure entourée de mystère implique donc un positionnement par rapport aux croyances anciennes et cela redéfinit la relation entre les lecteurs modernes et les mythes.
Karin Mossed (2017 : 44) constate dans son article sur la religion et la mythologie dans la littérature de jeunesse que les mythes nordiques sont devenus plus importants ces dernières années, notamment dans les livres de fantasy écrits par des auteurs nordiques. La mythologie nordique, connue principalement à travers la littérature eddique, est aussi fréquemment réinterprétée dans la culture populaire10. Les créatures folkloriques issues des légendes populaires suédoises vivent, elles aussi, une renaissance aujourd'hui11. Dans les légendes populaires, ces créatures peuvent avoir plusieurs formes et caractéristiques selon le lieu, mais ont subi une généralisation dans des ouvrages de vulgarisation, tel le livre de Johan Egerkrans (2013) dans lequel se trouvent la plupart des créatures reprises dans PAX. Notre sujet se trouve ainsi à cheval entre la littérature et l'étude folklorique et nous nous appuyons sur les recherches de Beng af Klintberg (1986) et Ebbe Schön (2001) qui ont analysé l'image des êtres surnaturels dans les publications écrites de ces légendes, évoquant les croyances des Suédois à travers les siècles. Les légendes ont une certaine crédibilité réaliste, à la différence des contes considérés comme fictifs. Comme l'explique Schön (2001: 7), on racontait ces récits courts et concrets pour se divertir, mais aussi pour transmettre le savoir et les valeurs et mieux comprendre la dimension spirituelle de la vie. Les auteurs de PAX ont choisi de reprendre des créatures folkloriques moins connues que les trolls, régulièrement présents dans la littérature de jeunesse12 et la culture populaire13, ce qui permet en effet de populariser des figures oubliées tout en leur donnant une forme moderne. Selon Attebery, les auteurs de fantasy cherchent leur inspiration dans des cultures de plus en plus éloignées, pour créer des univers originaux et éviter d'imiter Tolkien et d'autres œuvres marquantes. Il s'agit d'une « cosmopolitisation14 » (Attebery, 2014 : 6) du genre, mais comme cela est le cas avec PAX, il est aussi possible de creuser plus profondément parmi les figures de son propre pays. Le savoir nécessaire est plus facilement accessible aux auteurs qui évitent en même temps des problèmes d'appropriation culturelle. En outre, cela permet une exportation de ces éléments du folklore suédois vers un public international (dans l'esprit d'une cosmopolitisation). Or les jeunes lecteurs, en Suède ou ailleurs, manquent probablement de clés pour interpréter les allusions à la mythologie et ne connaissent pas ces créatures surnaturelles. Plus les auteurs puisent dans les sources inconnues, mieux ils doivent fournir dans l'œuvre le savoir nécessaire à la compréhension du monde narratif.
Les personnages, avec leurs caractéristiques et capacités, sont les points d'entrée dans un univers fictif, selon les théories cognitives développées par Alan Palmer (2004). Ils constituent ainsi les blocs de construction fondamentaux à partir desquels le monde narratif FAX se laisse bâtir. Les lecteurs cherchent en effet à comprendre l'univers littéraire à travers les « esprits des personnages15 » (Palmer, 2004 : 12). À l'instar des inférences quotidiennes que nous faisons sur les états émotionnels ou intentionnels des personnes qui nous entourent, nous tirons des conclusions sur les pensées et les sentiments des personnages littéraires (Palmer 2004 : 138-39). De cette manière se construit un monde narratif peuplé de ces personnages, dont les héros mais aussi leurs adjuvants et ennemis. En outre, l'œuvre s'adresse à un jeune public qui grandit à une époque de récits sérialisés et multi-médialisés, ce qui influence sur le choix du format des auteurs. Les références à la culture populaire apportent ainsi d'autres blocs de construction.
Dans cet article, nous étudierons donc la présence et la fonction des mythes dans FAX, à travers quelques exemples en lien avec la grande ou la petite mythologie. Nous montrerons comment ces éléments sont introduits dans le texte et réinterprétés par rapport aux sources anciennes par une intertextualité aussi avec la culture populaire internationale actuelle, pour ainsi s'adapter aux jeunes lecteurs. De ces derniers est demandée une lecture active leur permettant non seulement d'accomplir le monde narratif de FAX grâce aux connaissances acquises sur les personnages et aux autres blocs de construction, mais aussi d'en tirer des leçons valables pour la vie d'aujourd'hui.
1. De la mythologie nordique aux protagonistes de FAX
À l'instar de bien d'autres récits d'aventures mythiques, le tome 1 de la série commence in medias res, suscitant dès la première page un suspens ainsi que des questions. Après avoir instauré le cadre fantastique en présentant une créature surnaturelle et fait comprendre au lecteur qu'il y a une bibliothèque magique, lieu sacré, à défendre et qu'une lutte entre le bien et le mal aura lieu, les personnages principaux sont introduits en lien avec la mythologie. Les deux garçons protagonistes ont de vieux prénoms nordiques et portent des colliers représentant une aile de corbeau, en forme de V pour Viggo (10 ans) et d'A pour Alrik (11 ans), signe de leur lien avec Odin et donc de leur statut d'élus. Comme l'un des gardiens de la bibliothèque magique, Estrid, explique à son frère et au (jeune) lecteur manquant peut-être ce savoir : « Le dieu Odin est toujours entouré de deux corbeaux, ses aides de camp, en quelque sorte. Ils sont rusés et apprennent vite16 » (PAX 1: 18). Comme un corbeau déployant avec la même force ses deux ailes, les frères sont ambidextres, mais pour ce qui est du reste, ils semblent d'abord ordinaires, conformément aux codes du genre. À la lumière des propos d'Estrid, le lecteur comprend que les frères corbeaux, comme on les appellera dans la série, sont rapprochés aux qualités de guerriers qui leur viendraient d'Odin. Ils vont se montrer capables de détermination et de courage, aptitudes qui leur serviront dans le combat contre les êtres surnaturels, mais aussi pour apprendre à refaire confiance aux adultes et à se reconstruire. Les récits d'aventure mythiques sont ancrés dans la tradition orale et discutent de la même façon des questions existentielles : Il s'agit pour les protagonistes d'apprendre à faire les bons choix, à distinguer le bien du mal, à résoudre des conflits (intérieurs et extérieurs), à combattre les forces obscures de l'existence humaine (Teigland, 2020 :116-117). En outre, les corbeaux sont réputés pour être rusés et même voleurs17 et Viggo est un pickpocket habile. Peu doué pour la lecture, c'est pourtant souvent lui qui trouve la solution aux problèmes grâce à son bon sens. Il se découvre le don de télékinésie, ce dont il arrivera à se servir une seule fois, lors du combat final. Alrik, courageux et protecteur, a des prémonitions à travers l'eau et possède une autre forme d'intelligence que son frère. Magnar et Estrid, les gardiens de la bibliothèque magique, portent le nom de famille de Mimer et c'est surtout ce premier qui incarne la sagesse de cette figure mythologique. Il est capable de trouver des réponses dans les livres anciens tout comme Mimir (Mimer en suédois) sait tout grâce à l'eau du puits qu'il garde (Henriksson, 1992 :230). Sa sœur Estrid est une sorcière avec un bâton de combat et de magie qu'elle refuse d'utiliser au début de l'œuvre. C'est généralement grâce à la bibliothèque et ses gardiens que les garçons trouvent des réponses, procédé qui rend possible la transmission de savoir au lecteur. À travers les fragments donnés, l'intérêt du lecteur pour cet héritage culturel peut également s'éveiller.
Les gardiens de la bibliothèque ont un frère, appelé Henry hé hé, qui se laisse interpréter comme une version désacralisée d'Odin par la ressemblance physique : il n'a qu'un seul œil. Quand le dieu voyage sur le dos de son cheval Sleipnir, il est souvent vêtu d'une cape et d'un chapeau à bord tombant pour cacher qu'il est borgne et ainsi éviter d'être reconnu (Henriksson, 1992 : 50). Henry hé hé, lui, monte sur un vélo bizarre vêtu d'un manteau qui vole au vent et se montre la première fois à Viggo le visage caché dans une capuche sombre. Il n'a certes pas de pouvoir magiques comme Odin, mais sait faire des tours de magie. Figure ridicule et marginale, son image est a priori éloignée de celle du chef des Ases (qui ne manque certes pas de traits comiques dans les sources), mais à sa façon, il a une compréhension certaine du monde autour de lui. Très humain en apparence et tué par les puissances du mal, il continue d'aider les frères à travers les rêves, ce qui suggère une transcendance vers une existence divine.
Viggo et Henry hé hé se sentent étrangement proches et se ressemblent sur certains points, tout comme Odin dans la mythologie apprécie Loki malgré son côté obscur et se reconnaît en lui, puisqu'il est lui-même par moments traître et grivois (Egerkrans, 2018 : 76). Il est en effet possible de faire un lien entre Viggo et Loki. En tant que héros, il n'est pas maléfique mais fait parfois du mal par égoïsme ou par inconscience. Comme son prédécesseur mythique, ce trickster se fait parfois prendre dans ses propres manigances et doit subir les conséquences de ses actions. Si les autres s'énervent à cause de ses tours, ils ne peuvent rester longtemps en colère contre lui car il a toujours une réponse drôle à donner. De même, Loki est apprécié à Asgard grâce à ses répliques pertinentes et sa vivacité d'esprit (Egerkrans, 2018 : 74). Malgré ses mauvaises actions, il finit en général par sauver les dieux et ils lui pardonnent tout, jusqu'au moment où il provoque la mort de Balder. Viggo, lui, provoque malgré lui la mort tragique de Henry hé hé. Personne ne le lui reproche, mais la culpabilité de cet acte mènera à son sacrifice final. En effet, Viggo meurt à la fin du dernier tome, ce qui est susceptible de produire un effet de choc sur le lecteur, qui peut cependant y trouver du sens grâce aux connaissances acquises sur les protagonistes. Comme les deux frères ont la capacité d'entrer dans le monde des rêves grâce à leur nature de corbeau, ils peuvent aussi voyager entre les mondes. Dans le livre, cette information vient de la jeune sorcière Iris qui transmet l'hypothèse que les corbeaux d'Odin sont en réalité lui-même puisqu'il a la capacité de se transformer ^PAX 9 : 121). Après sa mort, Viggo semble revenir sous forme de corbeau, pour se percher sur l'épaule d'Alrik. Est-il alors, comme Loki et Odin, un metamorphe ayant pris la forme d'un oiseau ? Ou bien est-il en réalité une incarnation de Hugin, le corbeau (l'esprit ?) d'Odin, qui continue d'exister et communiquer depuis le monde des morts ? Au lecteur d'interpréter cette fin ouverte.
2. Les êtres des légendes populaires réinterprétés
Le cadre mythique nordique est donc dès le début de la série instauré par les liens entre les personnages et les dieux de la mythologie. Chaque tome de PAX met ensuite en scène une figure folklorique principale dont la plupart représentent le mal que les héros doivent combattre. Prenons comme exemple le grimm, un véritable monstre : lourd comme deux loups et avec des griffes acérées. Pour le combattre, les frères doivent se renseigner dans la bibliothèque magique sur les chiens démoniaques et sur les loupsgarous et autres types de metamorphes, c'est-à-dire des humains prenant la forme d'un animal. Les légendes populaires nous informent qu'un tel état est provoqué par un sort et que pour se libérer, il faut, sous la forme animale, être appelé par son propre nom (af Klintberg, 1986 : 53).
Alrik apprend cela dans un livre, mais également une autre méthode : fabriquer « une corde de Gleipner » ^PAX 2 : 94), solution qui ne vient pas du folklore mais est une allusion à l'histoire mythologique racontant comment le loup Fenrir se fait piéger par les dieux. Selon Snorri, ce lien capable d'emprisonner le grand loup est fabriqué par les Elfes noirs « à l'aide de six ingrédients : le bruit [du pas] des chats, la barbe des femmes, les racines des montagnes, les tendons des ours, le souffle des poissons et la salive des oiseaux » (Sturluson, 1991: 63). Dans PAX, il est expliqué qu'un tel lien placé autour du cou d'une personne en forme de loup, la ré-métamorphoserait en humain, idée qui vient des légendes du nord de la Suède, selon lesquelles les Lapons savaient se transformer en ours ou en loup en traversant trois fois une ceinture fermée, et pareil mais les pieds d'abord pour redevenir humain18. Les deux phénomènes sont confondus dans PAX et les héros comprennent qu'ils doivent fabriquer une corde de Gleipner pour redonner au monstre sa forme réelle. Si la tâche semble impossible, les garçons décident qu'une certaine liberté face aux textes anciens s'impose. Ils coupent en lanières une écharpe en soie puis laissent un chat marcher dessus. Ils ouvrent le bec d'une perruche pour y enfoncer un bout de corde. Ils prennent des poissons fraîchement pêchés et les font « respirer sur la soie, par la bouche et par les ouïes - on n'est jamais trop sÛr » ^PAX 2 : 117). Pour ce qui est de la barbe de femme, ils proposent d'enlever un poil du menton de leur mère d'accueil. En guise de racines des montagnes, ils prennent tout simplement un bout de lave qu'ils trouvent grâce à une recherche Google et ils finissent par trouver chez Henry hé hé de vieilles raquettes de neige avec un filet en tendons d'ours. Armés de leur esprit créatif et de l'Internet, les héros créent ainsi une corde de gleipner moderne. Outre l'apport de l'humour au récit, cela ajoute du suspens. Peut-on vraiment modifier autant et vaincre tout de même le grimm ?
Un troisième élément mythique est introduit quand Alrik comprend que la bête est un grimm d'église. Dans les légendes du sud de la Suède, le grimm est un animal enterré vivant lors de la construction de l'église qui revient pour chasser ceux qui dérangent la paix du lieu (af Klintberg, 1986 :38). Dans le combat, les garçons réussissent à mettre la corde autour du cou de la bête qui se transforme alors en un petit chien connu des protagonistes. Celui-ci l'enlève pour se transformer de nouveau, mais le monstre finit par être vaincu. En tant que lecteur, on peut se poser des questions. Comment la créature peut-elle prendre la forme de chien, puisqu'elle n'est pas un metamorphe mais bel et bien morte en tant que grimm ? En mélangeant les différents mythes : sur le grimm, le metamorphe et la corde de Gleipner, c'est une toute nouvelle créature qui est créée : à la fois metamorphe et monstre, à la fois vivante et morte. Cela permet de rendre l'intrigue plus complexe et créer un mystère que le lecteur doit résoudre, en même temps que les personnages.
Certains êtres folkloriques dans PAX s'avèrent être des représentantes du bien, comme le vitorm (serpent blanc) du tome 8. Ce grand serpent ou dragon est présent dans la mythologie sous le nom de Nidhögg. C'est aussi le personnage éponyme du célèbre conte populaire Kung Lindorm (Le Roi Dragon). Dans les légendes suédoises, c'est parfois le roi des serpents, d'une grande intelligence et à la crinière blanche. Les personnes ayant une sagesse hors du commun en avaient mangé, et ainsi récupéré le savoir de l'animal mythique (af Klintberg, 1986 :47). Dans d'autres légendes, le vitorm peut se mordre la queue pour avancer rapidement comme une roue et c'est un monstre dangereux qui dévore les hommes et le bétail (af Klintberg, 1986 : 39). Pour le tuer, il faut le faire passer par trois feux, ce qui l'oblige à rester dans le troisième, réduit en cendres (Egerkrans, 2013 :122).
Les recherches des protagonistes révèlent en effet qu'un tel serpent est dangereux et que si on le mange, on obtient des connaissances magiques. Les auteurs laissent donc une seule créature représenter les deux types de serpents des légendes et ajoutent un élément qui permet d'avoir accès à la sagesse de la créature sans la tuer : il suffit de boire ses larmes, modification qui correspond à la valeur actuelle de respect pour les animaux. Le serpent transmet d'abord aux héros l'information que la sorcière noire prévoit de réveiller une horrible bête endormie sous la bibliothèque magique, puis intervient physiquement en montant à travers les toilettes (référence aux légendes urbaines de ce type) pour s'attaquer à la sorcière noire qui a emprisonné Iris. Il se fait tuer par trois anneaux de feu, mais ses larmes et son sacrifice permettent à Iris de se libérer. Or au lieu d'être réduit en cendres comme il aurait dÛ suivant les légendes populaires, son corps reste intact et la sorcière le mange devenant ainsi plus puissante.
À travers son aspect physique, en forme de branches et de racines, le vitorm est dépeint comme un esprit de la nature qui la protège et qui partage avec les humains sa sagesse ancestrale, devenant ainsi à la fois un symbole écologique facilement identifiable pour le lecteur moderne, et un simple animal que l'homme n'a plus le droit de tuer pour son intérêt personnel. Cet exemple enseigne surtout aux lecteurs qu'il faut connaître l'autre avant de le juger. Parmi les monstres se trouve aussi le bien, parmi les êtres humains se trouvent les monstres véritables.
3. Entre mythes nordiques et culture populaire internationale
L'adaptation des figures mythiques se fait avant tout par des références à la culture populaire, ce que nous verrons à travers l'exemple des sorcières. La structure de la série ressemble à un format récurrent dans les séries télévisées : chaque épisode met en scène un ennemi que les héros doivent vaincre, mais à travers toute la saison il y a un big bad, un ennemi puissant qui contrôle d'autres monstres et qui sera vaincue dans l'épisode final19. Dans PAX, il s'agit de la sorcière noire ^svarthöxaY qui se trouve derrière la plupart des attaques car elle cherche accès au pouvoir de la bibliothèque magique. Les légendes populaires suédoises mentionnent rarement des hâxor, mais certaines femmes étaient autrefois vues comme maléfiques (trollpackor) (af Klintberg, 1986 : 4749). Elles pouvaient voler du lait des fermes voisines, en envoyant un être fabriqué par magie. Dans PAX4, la sorcière commande un tel spiritus, qui évoque en même temps les zombies mangeurs de cerveaux et les mythes urbains sur les insectes s'introduisant dans les organes internes pour y faire leur nid. Il est compréhensible que les auteurs de PAX aient choisi le terme de hâxa parce que c'est le mot utilisé aujourd'hui, connu par les lecteurs à travers le cinéma et la littérature. Cette sorcière dans PAX est une figure culturellement hybride qui ne s'inscrit pas dans la tendance actuelle de banalisation des figures mythiques méchantes dans la littérature de jeunesse20 et ne représente pas non plus l'archétype de la bonne sorcière (profondément humanisée) développé au XXIe siècle. Au contraire, elle est monstrueuse : perverse et tyrannique, démontrant une grande inventivité pour arriver à ses fins. Sa véritable nature est cachée sous sa forme d'infirmière de l'école : le mal se trouve là où on l'attend le moins. Il est d'ailleurs intéressant de noter que c'est son caractère humain, au sens négatif du terme (égoïste, ambitieuse, manipulatrice), qui la rend si inquiétante, mais aussi vulnérable puisque c'est son orgueil qui provoque sa fin. Estrid est en revanche une bonne sorcière, tout comme Iris. Elles savent toutes les deux qu'une sorcière n'a pas le droit de faire de la magie en dehors du jeudi et jamais contre des humains. Selon les croyances populaires, ce jour était effectivement important dans la mesure où les sorcières avaient alors plus de magie. Dans PAX, cette idée est transformée en une interdiction respectée par les bonnes sorcières et ignorée par la sorcière noire, ce qui lui donne un avantage. La réinterprétation des éléments mythiques permet ici de différencier le bien du mal. En tant que représentante du bien, Iris se fait aider par la nature et agit en harmonie avec elle, tandis que la sorcière noire domine et force les êtres magiques.
L'arme principale des sorcières modernes est leur bâton, comme celui de Gandalf dans Le Seigneur des anneaux, qui renvoient aussi vers les films d'aventures où on se bat avec des pieux sans magie. Les sorcières des croyances populaires n'avaient pas de tels bâtons. Grâce à Iris, nous apprenons que le balai souvent dessiné à côté d'une sorcière est en réalité un bâton de sorcellerie déguisé en objet ordinaire. Un attribut en forme d'outil de ménage n'est pas valorisant pour une jeune femme actuelle, une modernisation de l'image de la sorcière est nécessaire. En outre, Estrid est en relation avec son bâton ce qui confère à celui-ci une conscience et le transforme en partenaire. Il a même grandi en même temps qu'elle. Cette relation spéciale évoque celle entre Harry Potter et sa baguette magique. Le lecteur soupçonnera rapidement et à juste titre qu'Estrid et son bâton vont accomplir des exploits avant la fin de la série.
4. L'accomplissement du monde mythique
Le jeune public d'aujourd'hui est habitué aux récits sérialisés (mangas, séries télé, jeux vidéo). On retrouve dans PAX ce format et certaines caractéristiques fréquentes dans les récits d'aventure mythiques, à savoir des protagonistes facilement repérables d'un tome à l'autre et un développement reposant sur l'accroissement de leurs aptitudes et pouvoirs. Le rôle du lecteur est de construire les « esprits » des personnages, en réalisant « des conjectures et des hypothèses préliminaires sur leur fonctionnement mental21 » (Palmer 2004 : 16). Leurs capacités, potentialités et attributs spécifiques occupent une place centrale dans la construction du monde narratif et constituent des indices de ce qu'ils seront amenés à faire au fil des romans. Ainsi les talents acrobatiques et télékinésistes de Viggo sont utiles pour s'enfuir quand c'est nécessaire mais seront essentiels lors de la scène finale. L'hydromancie d'Alrik représente un avantage certain à Mariefred, ville située sur le lac Mâlar dont l'eau s'infiltre jusque dans les galeries souterraines de la bibliothèque magique. Ces capacités activent chez les lecteurs la construction d'un monde narratif façon jeu vidéo dans lequel les potentialités des personnages leur permettent de deviner ce qui se passera ensuite. Ce procédé est renforcé par les cliff-hangers à la fin de chaque tome, qui poussent les lecteurs à imaginer la suite et s'inscrivent dans une intention pédagogique de les encourager à continuer la lecture. Les informations trouvées dans les livres de la bibliothèque représentent d'autres blocs de construction pour savoir quelles ressources il faut aux héros pour combattre les créatures surnaturelles. Comme on l'a vu à travers l'exemple de la corde de Gleipner, les garçons choisissent souvent des méthodes inventives pour arriver à leur but. Leur ruse et leur esprit créatif sont des potentialités que le lecteur va associer de plus en plus étroitement avec eux jusqu'à ce qu'elles deviennent des traits de caractère dont on peut prévoir l'utilité pour les conflits à venir. En avançant dans la série, les frères doivent atteindre des niveaux supérieurs en confrontant des menaces nouvelles et plus difficiles selon la logique narrative des jeux vidéo.
Lors de la bataille finale dans les deux derniers tomes, les blocs de construction de l'univers PAX, avec les liens intertextuels à d'autres univers fictifs activés dans l'esprit des lecteurs, s'unissent comme l'a noté Per Israelsson (2018) dans sa critique sur la série. Les personnages humains à côté d'Alrik et Viggo ont pour fonction principale de leur apporter du soutien. La sagesse et le calme de Magnar, le pouvoir magique bienveillant d'Estrid et d'autres valeurs prônées par les forces du bien forment un message de solidarité et d'amitié. Les deux garçons sont également soutenus par leur famille d'accueil, malgré les tentatives de la sorcière noire de briser ce nouveau lien.
En revanche, leur mère pose problème tant par son absence que par sa présence intermittente et la sorcière noire saura se servir de cette faiblesse pour déstabiliser les frères. L'unité et la solidarité, éléments essentiels de l'univers PAX, vont toutefois persévérer. La protection de la bibliothèque magique est un travail d'équipe, ce que Magnar souligne à plusieurs reprises : si les forces du mal réussissent à semer la discorde, la bibliothèque s'écroulera. Par contraste, le mal se renforce par des gens méfiants, égoïstes et même xénophobes qui sont facilement manipulés par la sorcière noire. L'intrigue du tome 7 est par exemple construite autour d'une créature appelée la pesta, mais qui n'existe pas en fin de compte. Ce sont les rumeurs, lancées par la sorcière noire et répandues sur Instagram par les habitants, qui y représentent la menace. Les lecteurs sont ainsi avertis contre les dangers de notre société où les réseaux sociaux peuvent empoisonner de manière plus efficace et virulente que la peste autrefois.
La bataille finale met en scène un draug. La big bad de la série, la sorcière noire, se révèle alors peu puissante par rapport à ce revenant destructeur qui « choisit toujours le plus fort22 » ^PAX 10 : 54), selon un ouvrage de la bibliothèque qui donne aussi les moyens de le vaincre. Les capacités des personnages s'activent alors et du lecteur est exigé un travail cognitif avancé. Afin de comprendre cette bataille, il doit avoir en tête les blocs de construction nécessaires, qu'ils viennent de la mythologie et des légendes (tant en version originale qu'en version PAX) ou de la culture populaire. Estrid assume enfin sa nature de sorcière et lutte à côté d'Iris, mais se fait ainsi choisir par le draug. Sur le point d'être possédée par lui, elle est sauvée par la soif de pouvoir de la sorcière noire qui choisit librement de prendre sa place. Alrik, lui aussi au comble de ses capacités, « fait un avec tout ce qui vit dans l'eau23 » (PAX 10 : 116) et réussit ainsi à noyer le draug/\a sorcière noire. Grâce à son don pour l'acrobatisme, Viggo grimpe jusqu'au toit pour ensuite mobiliser sa télékinésie pour envoyer l'équipier de la sorcière noire vers le sol sur une tuile détachée.
Quand Viggo meurt pour sauver les autres et par extension le monde, c'est un sacrifice héroïque, selon les codes du genre. La représentation mythique des frères passant entre les mondes tels les corbeaux d'Odin et l'exemple de la mort de Henry hé hé, permettent au lecteur de croire à la possibilité du retour de Viggo sous une autre forme.
Conclusion
Le monde que construisent les auteurs de PAX est donc peuplé de créatures dont le lecteur peut se faire une idée grâce aux informations fournies (et aux nombreuses illustrations) dans les livres. Ainsi s'esquisse chez lui une représentation mentale de l'univers de PAX, de ses enjeux, ses limites et ses possibilités. Si l'œuvre transmet généralement le savoir nécessaire pour comprendre les éléments mythiques à travers les explications des personnages, elle incite également le lecteur curieux à chercher des informations en dehors du livre, voire de découvrir les anciennes sources qui sont citées. Cette série aux intentions pédagogiques peut fonctionner comme une porte d'entrée vers ces traditions littéraires dans un enjeu memoriei. Le recours aux mythes a également pour objectif de valoriser la culture et l'histoire de la Suède lesquelles sont non seulement transmises à la jeune génération de lecteurs en Suède dans une tentative de reconquête culturelle face à la domination américaine en culture populaire, mais aussi exportées, dans l'idée d'une cosmopolitisation. La mémoire culturelle se construisant aujourd'hui notamment à travers les livres, les films et les jeux, le monde de FAX réintroduit des figures du folklore au moins aussi intéressantes que les trolls et autres créatures fréquentes dans la culture populaire internationale, mais qui sont en même temps reconnaissables grâce aux codes du récit d'aventure mythique. Les figures mythiques nordiques peuvent en effet attirer des lecteurs étrangers par leur exotisme, phénomène qui dans le livre est renforcé par d'autres éléments Scandinaves, comme le climat rude et les plats étranges.
Les figures mythiques sont réinterprétées et complexifiées avec une grande liberté, altération qui risque de troubler la mémoire collective autour d'elles, mais n'oublions pas que le mythe « s'universalise en s'actualisant », comme le précise Sylvie Servoise (2015 : 217). Limage transmise de ces créatures est surtout nuancée dans le sens où elles ne sont pas toujours méchantes. Les frontières entre le bien et le mal sont floues, ce qui n'est pas rare dans la culture populaire actuelle. Un monstre peut devenir un allié (tel le vitorm') et un petit chien peut s'avérer un dangereux grimm. Même une figure mythologique comme Loki, incarnation du mal et de la traîtrise, devient dans sa version FAX un garçon qui assume ses erreurs et se sacrifie pour les autres, tandis que la méchanceté de la sorcière noire est définie par son caractère humain.
L'intertextualité mythique crée un lien avec le lecteur et apporte d'autres niveaux de lecture, mais l'enfant n'a pas besoin de comprendre toutes les références pour lire l'histoire passionnante qu'est FAX. Comme le souligne Maria Nikolajeva (2010), ce n'est pas parce que les jeunes lecteurs n'arrivent pas toujours à identifier l'intertextualité qu'il ne faut pas en parler car cela crée une continuité par rapport à la littérature antérieure et permet à l'auteur d'élever le statut du livre. FAX attirent en effet également des lecteurs adultes qui ont sans doute davantage d'outils pour compléter le jeu intertextuel, apprécier les clins d'œil des auteurs et le côté humoristique de la modernisation des créatures surnaturelles ; c'est donc un exemple de littérature crossover24, susceptible d'intéresser plusieurs générations. Or même le lecteur expérimenté peut rester perplexe face à l'utilisation des mythes dans la série car il s'agit de la modalité mythographique que Nathalie Prince (2015 : 11) appelle des « résurgences mythiques ». Celles-ci sont sans aucun doute volontaires, mais au lieu de créer un réseau de correspondance facilement identifiable avec les figures issues des mythes, cette modalité a principalement pour fonction de créer une intrigue passionnante.
L'intertextualité mythique n'aide donc pas le lecteur à entièrement comprendre la mort de Viggo, mais la fin ouverte est un phénomène récurrent dans la littérature de jeunesse suédoise de ces dernières décennies25. On exige au jeune lecteur d'interpréter et ainsi participer à l'accomplissement du livre, à la création du monde fictif. Dans PAX, « la participation du lecteur est accentuée et supposée26 », dit Israelsson (2018 : 62). Il est certes rare dans la littérature de jeunesse de voir le personnage principal mourir et cela risque de décevoir le lecteur, mais la fin ouverte lui permet de décider à quel point celle-ci est (mal)heureuse. Il peut imaginer une suite pour Viggo et choisir de ne pas voir la mort comme définitive, ce qui forme un parallèle avec les principes des jeux vidéo où il est tout à fait possible de mourir pour continuer l'aventure sous une autre forme.
PAXest un bon exemple d'interactions culturelles au sens large, non seulement avec les récits mythiques, mais aussi en dialogue avec la culture populaire internationale d'aujourd'hui. Ces références ne constituent pas d'obstacle pour les jeunes lecteurs, au contraire, elles créent un cadre reconnaissable dans cet univers littéraire nouveau. La structure des jeux vidéo est reprise dans la manière dont les protagonistes acquièrent au fur et à mesure les outils nécessaires pour progresser vers la bataille finale contre le mal. Le schéma narratif avec les dix tomes et un big bad vaincu à la fin de la série et des ennemis moins dangereux combattus dans chaque livre, se rapproche des séries télé, notamment d'urban fantasy. Les personnages ont des attributs et qualités inspirés des classiques du genre, comme Le Seigneur des anneaux et Harry Potter.
Pour combattre le mal, nos frères corbeaux ont, en fin de compte, peu de capacités magiques. La télékinésie de Viggo et les prémonitions à travers l'eau d'Alrik sont peu fiables. Si elles servent dans la bataille finale, elles ne suffisent pas pour résoudre les véritables problèmes des garçons, avec leur mère et leurs harceleurs à l'école. Or, ils développent en même temps d'autres qualités leur permettant de gérer leurs conflits intérieurs et extérieurs. Ils combattent leurs propres forces obscures et apprennent à faire confiance aux autres pour réussir. Les jeunes lecteurs apprennent ainsi avec eux le courage, le respect, la sincérité, l'entraide et le sacrifice, à l'intérieur d'un monde mythique où les enfants peuvent agir sans les limitations réelles liées à leur âge. Ils apprennent aussi à ne pas abandonner. Si les légendes populaires évoquaient les rencontres entre les créatures surnaturelles et les gens qui ensuite devaient subir les conséquences, FAX insiste sur les capacités des héros pour les combattre. Ils n'ont certes aucun pouvoir contre l'alcoolisme de leur mère ou les décisions arbitraires des services sociaux, mais ils n'ont pas à subir ces phénomènes surnaturels, ils peuvent les éliminer, ce qui est rassurant pour le jeune lecteur. Si c'est possible de surmonter les problèmes dans le cadre de la fiction, il l'est peut-être aussi dans le quotidien d'un adolescent. Il s'agit de prendre le contrôle sur sa propre vie, ce qui est un élément essentiel de la quête d'identité, thématique centrale dans la littérature de jeunesse, quel que soit le genre.
Deux des fonctions principales des légendes populaires sont donc reprises dans PAX : divertir et transmettre du savoir et des valeurs. La série enseigne que les qualités telles que la gentillesse et l'ouverture d'esprit jouent un rôle crucial dans la lutte contre le mal, quelle que soit sa manifestation. Le retour de ces figures mythiques nous montre enfin que même si la société a changé depuis l'ancienne société rurale décrite dans les légendes, les êtres humains (les enfants inclus) ont toujours besoin d'imaginer un monde magique pour tenter de comprendre l'existence et de questionner notre façon de vivre ensemble - ce que les croyances populaires ont toujours permis de faire.
Annelie Jarl Ireman est maître de conférences au département d'études nordiques à l'Université de Caen Normandie et membre de l'équipe de recherche sur les littératures, les imaginaires et les sociétés (ERLIS), où elle est co-directrice de la thématique structurante « Représentations et modèles culturels : circulations, échanges et traductions » et responsable du programme « Figures emblématiques, mythiques et légendaires dans les cultures contemporaines : récits du passé et réinterprétations ». Ses publications traitent de la littérature et de la culture Scandinaves des XIXe, XXe et XXIe siècles. Elle s'intéresse notamment au discours narratif et aux questions d'identité dans la littérature de jeunesse, ainsi qu'à la mythologie nordique, au folklore et à la réutilisation de figures mythiques nordiques dans la littérature et la culture populaire actuelles.
Malin Isaksson est maître de langue de français à l'Université d'Umeà en Suède. Ses domaines de recherche sont la littérature et plus particulièrement la réception, la popfiction et la didactique de la littérature. Elle a notamment publié avec Maria Lindgren Leavenworth Fanged Fan Fiction : Variations on Twilight, True Blood and the Vampire Diaries (McFarland 2013), un ouvrage d'études littéraires des fanfictions, c'est-à-dire des textes écrits en lien avec un monde narratif existant et publiés sur des sites internet. La fanfiction autour des personnages féminins dit « forts », surtout la tueuse de vampires Buffy de la série télé Buffy the Vampire Slayer, a fait l'objet d'un projet de deux ans intitulé Tough Girls' Love qui a résulté en des articles et des chapitres d'anthologies.
1 Les tâches scientifiques et rédactionnelles de cet article ont été assurées par les deux auteurs à part égales. Annelie Jarl Ireman est spécialisée dans les figures mythiques (c/ parties 1, 3, 4), le folklore ^cf. partie 2) et la littérature de jeunesse, tandis que Malin Isaksson est spécialiste de culture populaire (c/, partie 3, introduction, conclusion) et de littérature didactique.
2 Mariefred signifie la paix (PAX) de Marie, d'où le titre de la série.
3 PAX ressemble dans ce sens à la trilogie Le Cercle des jeunes élus de Mats Strandberg et Sara Bergmark Elfgren publié en 2011-2013.
4 Teigland fait ici référence à Anna Karlskov Skyggebjerg (2005), Den fantastiske fortelling i dansk børnelitteratur, Roskilde Universitetsforlag.
5 Le niveau réaliste avec une critique sociale importante ne pourra pas être développé ici mais le sera dans un article ultérieur.
6 Voir par exemple le chapitre sur la Suède dans Delbrassine (2006).
7 Åsa Larsson est aussi auteure de polars.
8 « forvandler den til noe annet enn den normale virkeligheten vi kjenner fra vår hverdag ». Toutes les citations en langue étrangère de l'article sont traduites par les auteurs.
9 « [...] myth is used to designate any collective story that encapsulates a world view and authorizes belief ».
10 Les films Marvel sur Thor, les séries télé Loki et Ragnarök, la série de livres sur Magnus Chase de Rick Riordan, pour n'en citer que quelques-uns. Pour des exemples de littérature de jeunesse, voir Karin Mossed (2017 :40-46).
11 Par exemple : Le manga Nidur (2022) de Linn Olsson, les séries télé Jordskott (2015-17) et Nisser (2021), le roman La chasseuse de trolls (2012) de Stefan Spjut.
12 Voir Jarl Ireman (2011).
13 Citons, à titre d'exemple, le film Troll (2022), le film d'animation Les trolls (2016), le jeu de rôle Dungeons & Dragons.
14 « cosmopolitanization ».
15 « the minds of characters ».
16 Les références aux romans de la série PAX renvoient au numéro du tome en question. Dans la bibliographie, tous les titres se trouvent aux noms des auteurs : Larsson, Korseli et Jonsson.
17 Voir les expressions françaises « chaparder comme un corbeau (ou une pie) » et « malin comme un corbeau » et leurs équivalences dans d'autres langues.
18 Voir par exemple la légende « Lappen kröp genom ett balte tre ganger » (af Klintberg, 1986 : 306-307).
19 Voir Buffy the Vampire Slayer (1997-2003) et The Vampire Diaries (2009-2017). Voir Isaksson (2011).
20 Voir à ce sujet par exemple Perrot (2015).
21 « of provisional conjectures and hypotheses about their mental functioning ».
22 « väljer alltid den starkaste ».
23 « känner att han är ett med alit levande som finns i vattnet ».
24 Le terme de cross-over est utilisé pour parler des œuvres qui abolissent la frontière entre livres pour adultes et livres pour enfants. Ces dernières décennies, le terme définit avant tout les livres écrits pour un jeune lectorat mais qui attirent aussi des lecteurs adultes.
25 Voir par exemple Nikolajeva (2010 : 60-62).
26 « läsarens delaktighet betonas och förutsätts ».
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Abstract
Les mythes nordiques se trouvent au centre de PAX (2014-18), une série romanesque suédoise créée par Åsa Larsson, Ingela Korseli et Henrik Jonsson. Les protagonistes de cet urban fantasy sont définis en lien avec les héros de la mythologie nordique et les créatures surnaturelles à combattre se distinguent de celles de la littérature et de la culture populaire actuelles, car issues des anciennes légendes populaires suédoises. Cet article, à cheval entre la littérature et la folkloristique, analyse les liens intertextuels mythiques et la réinterprétation des figures folkloriques. Dans une optique de narratologie cognitive sont étudiés les éléments du récit formant les blocs de construction du monde narratif de FAX que le lecteur doit créer mentalement. Ainsi se construit le monde mythique FAX, entre légendes anciennes et nouvelles, apportant aux jeunes lecteurs des valeurs constructives.