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Abstract
« Dans notre territoire, il y a beaucoup d’animaux sacrés, et que va-t-il se passer si les compagnies pétrolières entrent ? Elles vont nous détruire. Alors où allons-nous aller ? Où allons-nous établir nos rêves ? Parce que ce sont eux qui nous orientent, ceux qui nous amènent à suivre le chemin que nous voulons faire dans la forêt. » Par cette réflexion, Bartolo, président de l’ANAZPPA (Asociación de la nacionalidad zápara de la provincia de Pastaza), l’association zápara, faisait part de son inquiétude au congrès national d’Équateur.
Bien que déclarés éteints au milieu des années 1970 par des anthropologues équatoriens (Costales y Costales, 1975 : 11), en 2001, quatre villages du río Conambo (Équateur) étaient affiliés à l’association zápara du Pastaza. Grâce à l’énergie, la persuasion et la volonté de l’un d’entre eux, Bartolo, cette association était parvenue à rendre les Zápara visibles sur la scène médiatique. Ce jeune leader avait été poussé par son père chamane pour rendre visible politiquement, culturellement et territorialement son peuple. Cette année-là, au mois de mai, leurs « manifestations orales et culturelles » avaient été proclamées « Chef d’œuvre du Patrimoine oral et immatériel de l’humanité » par l’UNESCO. Aussitôt s’ensuivirent entretiens radiophoniques, télévisés, reportages dans la presse nationale, invitations à présenter des conférences dans des universités, des centres culturels. Dans la continuité de cette déferlante médiatique, la commission des Affaires indigènes du congrès national en vint à inviter une délégation zápara à Quito afin de leur présenter leur « reconnaissance » et « hommage ». Après que le président de la commission eut exprimé l’amertume de se trouver dans la salle de presse plutôt que dans le Salon des présidents, que l’ambassadeur du Pérou en Équateur eut salué le « symbole de l’intégration » des Zápara, qu’un membre de la commission, éminent leader 21 INTRODUCTION andin, eut mentionné la « résistance politique » des peuples indigènes ; Bartolo, président de l’ANAZPPA prit la parole pour rappeler l’histoire récente de son peuple, victimes des patrons du caoutchouc, puis pris dans la guerre de 1941 qui a séparé durablement les familles. Il a regretté que les services de l’éducation et de la santé ne se préoccupent pas du sort des siens. Enfin, il s’est interrogé sur les moyens de leur survie en forêt, face aux compagnies pétrolières qui souillent l’espace onirique.
Dans cette interrogation, Bartolo souligne la relation entre territoire, identité et rêves. L’expérience onirique est pour lui un moyen d’expérimenter le monde, le connaître, le comprendre. Quand il rêve, Bartolo fait une expérience à la fois personnelle et subjective de l’environnement, du territoire et d’autrui, du présent comme du passé, qui lui permet par la connaissance qu’il en acquiert de penser l’avenir de son peuple et de résoudre les problèmes auxquels les Zápara contemporains sont confrontés. Ancré sur le territoire, le rêve participe à la construction sociale du monde car il est un mode de relation à plusieurs titres : dans et hors du rêve s’établissent des relations entre le sujet rêveur et les interlocuteurs oniriques d’une part, et entre le sujet rêveur et le récepteur de son récit de rêve d’autre part.