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Le 5 octobre 2017, Jean Hermesse, le secrétaire général de la Mutualité Chrétienne, révèle au micro de la RTBF, une chaine d’information belge, qu’une quinzaine d’hôpitaux du pays revendent les données de santé de leurs patients à des fins commerciales (Le Soir, 2017).
En Belgique, cette revente n’est ni tout à fait légale, ni vraiment illégale ; techniquement, les patients auraient dû donner leurs consentements à cette utilisation « secondaire » de leurs données médicales, mais, techniquement toujours, ils l’ont plus ou moins donné en acceptant d’être traités par ces hôpitaux. Ce qui ressort de ces révélations, qui font alors scandale, c’est que le fonctionnement du système d’information médical belge est extrêmement opaque.
Concrètement, ces quinze établissements de soin utilisent tous un logiciel de « Business Intelligence » du nom de Forcea. Celui-ci permet aux hôpitaux qui en ont fait l’acquisition de « donner du sens » aux gigantesques quantités de données médicales collectées et produites chaque jour dans le cadre du traitement de leurs patients – prise de rendez-vous, opérations, prescriptions, étude des antécédents, résultats d’examens et d’analyses – en les présentant sous forme de tableaux, de diagrammes et autres outils de visualisation et de prise de décision.
Or, ce logiciel, à l’origine développé par une entreprise locale, a été racheté, comme de nombreux autres, par un data broker au statut international, QuintilesIMS (depuis devenu IQVIA), une entreprise qui prospère de la vente de données de santé à l’industrie pharmaceutique. Forcea fait donc depuis office de véritable cheval de Troie, puisqu’il permet à QuintilesIMS de proposer aux hôpitaux toutes sortes d’arrangements commerciaux grâce à leur position stratégique d’intermédiaires dans le traitement des données de santé.
L’un de ces arrangements consiste à revendre les dossiers des patients directement à QuintilesIMS ; le chiffre indicatif de 500 patients pour 12.000 euros est renseigné par Jean Hermesse, chiffre parfaitement dérisoire étant donné que le data broker pourra en tirer près de cent fois plus. Pire encore, les données ainsi transmises à l’entreprise, à l’insu des patients qui en sont les propriétaires, ne sont pas anonymisées, et, pour cause, une telle opération « nuirait au potentiel de l’information » (entretien n°11, responsable de Corilus, 4 mars 2021). Ce qu’il faut comprendre par-là, c’est que l’objectif de QuintilesIMS, avec cette acquisition de dossiers de patients, est de coupler les données pharmaceutiques, pathologiques et de facturation pour ainsi obtenir une fine connaissance des pratiques et traitements en usage dans les différents hôpitaux utilisant leur logiciel. Il devient ainsi possible de savoir exactement 1) quel spécialiste a prescrit 2) quel type de médicament à 3) quel patient dans le cadre de 4) quel type de pathologie et dans 5) quel type de service hospitalier. Ces informations, structurées de la sorte, sont revendues par QuintilesIMS à l’industrie pharmaceutique, qui peut dès lors procéder à des campagnes de ciblage marketing ultra-personnalisées auprès des hôpitaux.
L’image ci-dessous, tirée d’un contrat entre l’un des quinze établissements de soin et QuintilseIMS, permet de constater que l’entreprise s’engage à « traiter de manière strictement anonyme […] toutes les données codées à caractère personnel des patients », ce qui revient à dire que les données ne sont pas anonymisées par les hôpitaux avant la revente.