Content area
PROPOS RECUEILLIS PAR RAPHAËL JOTTERAND
La présidente du Conseil d’Etat vaudois s’apprête à démarrer un sprint final de tous les dangers pour mettre sous toit le budget 2026. Après une année des plus compliquées, Christelle Luisier fait face à des partis peu enclins à accepter les coupes proposées par le gouvernement, qui doit prendre des mesures d’austérité. Trois jours après la manifestation de la fonction publique, qualifiée d’historique par les syndicats, la ministre se défend et assure que l’exécutif maintient son cap.
La manifestation de mardi a été saisissante. Les protestataires vont-ils réussir à vous faire plier?
On prend acte de cette manifestation. Je peux comprendre que des personnes ne soient pas d’accord avec ce qu’on a proposé. Mais il faut être conscient que le Conseil d’Etat a pris ses responsabilités pour proposer un budget au petit équilibre [équilibre entre les recettes et les charges avant amortissement, ndlr]. Le projet est désormais entre les mains du Grand Conseil et de sa Commission des finances, qui a terminé de le traiter.
En faisant marche arrière sur les pôles santé, n’avez-vous pas entrouvert une brèche dans laquelle tout le monde veut s’engouffrer?
Je l’entends. Avant l’été, nous avions clairement indiqué qu’il s’agissait d’une pré-information et non d’une décision définitive. Nous sommes restés ouverts au dialogue, tout comme nous l’avons fait avec les communes et les syndicats, que nous avons rencontrés à deux reprises.
Ce qui vous a forcé à revoir vos plans?
Entre le premier et le second échange, les mesures concernant le personnel ont été revues à la baisse. Ça ne veut pas dire qu’ils étaient d’accord, mais la discussion a eu lieu.
La fonction publique n’oublie-t-elle pas tous les efforts que vous avez faits pour elle par le passé?
Nos collaboratrices et collaborateurs sont très engagés, et je ne porte pas d’appréciation sur leurs revendications; je m’en tiens aux faits. Les indexations 2023 et 2024 liées à l’inflation représentent à elles seules une hausse de charges de 275 millions pour le secteur public et parapublic. A cela s’ajoutent les annuités automatiques. Nous sortons de trois années marquées par des améliorations salariales, y compris dans le parapublic, dont la revalorisation est une priorité du programme de législature. Nous poursuivrons ce travail en 2026.
Dans le privé, beaucoup de gens ne connaissent ni indexations, ni annuités, ni augmentations. Avec un salaire médian à 7600 francs par mois, n’est-ce pas indécent de se plaindre?
Notre rôle n’est pas de juger la fonction publique. Pour sortir le canton de cette situation financière difficile, nous devons à la fois préserver les prestations à la population et assurer des finances saines, afin d’éviter d’instaurer une spirale de déficits. Cela implique un effort solidaire de l’ensemble des services de l’Etat. Dans ce cadre, il nous a semblé équilibré de proposer une contribution de crise limitée à une année, sans toucher les petites classes de salaire, les apprentis ou les stagiaires, et en maintenant les annuités. Pour la majorité du personnel, cela se traduira simplement par une augmentation moins élevée du salaire en 2026. Le message est clair: si nous demandons des efforts à tout le monde, nous devons nous les appliquer à nous-mêmes également.
Pourriez-vous renoncer à cette contribution de crise de 0,7%?
Le Conseil d’Etat entend maintenir son cap. Le budget est désormais entre les mains du parlement et nous verrons si d’autres pistes émergent au fil des débats. L’essentiel est de continuer à se parler. Je trouve peu sain que certains annoncent déjà qu’ils refuseront le budget. Cela va à l’encontre de notre culture du débat et du dialogue, qui a pourtant fait la force de notre pays. Les échanges peuvent être vifs, mais ils permettent souvent d’ouvrir une voie. Et, bien sûr, je souhaite que nous puissions aboutir à un budget. Il ne faut pas oublier qu’en cas d’échec, nous repartirions sur celui de l’année précédente et personne n’y gagnerait, puisque cela nous priverait d’une croissance de charges de 3,6%.
Les Vert·e·s et les socialistes ont annoncé avant même le début du processus budgétaire qu’ils allaient s’opposer au budget. Vous ne l’aviez pas fait quand la droite était minoritaire…
Absolument, mais c’est leur droit. J’en prends acte, même si je le regrette. Ce sont des partis gouvernementaux, avec un accès privilégié au Conseil d’Etat et la possibilité de débattre de manière ouverte et transparente au parlement. Annoncer d’emblée qu’il n’y aura pas de dialogue, c’est aller à l’encontre de nos processus démocratiques.
Les séances dédiées aux débats sur le budget ont été rallongées. Est-ce que vous avez l’impression que ça s’apparente à une mission impossible?
Je suis une personne endurante. Tant qu’il y a de l’espoir, ce n’est pas fini. Il y a une forte réticence et de lourdes contestations mais j’espère que dans le cadre parlementaire, les partis se rendront compte qu’il vaut mieux commencer l’année avec un nouveau budget.
Quel serait l’impact si on commençait l’année avec le budget 2025?
Nous n’avons pas encore procédé à une analyse très précise. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aurait une augmentation de charges moins importante que celle qu’on propose aujourd’hui. Certaines politiques volontaristes tomberaient à l’eau.
Concrètement?
Dans mon département, le renforcement de notre politique sportive serait repoussé. Idem, par exemple, pour les progressions salariales du secteur parapublic.
Vous venez de conclure un accord avec les communes et vous leur demandez désormais une participation de 39 millions en modifiant le gain immobilier. N’est-ce pas une erreur stratégique?
Dans l’accord signé, il était prévu que l’Etat puisse rouvrir la discussion en cas de besoin d’assainissement. Ce n’est pas le cas. Ce que nous demandons, c’est un effort limité sur deux ans. C’est une mesure qui pose des difficultés et sera sans doute difficile à faire passer, mais il était de notre responsabilité de partager l’effort pour traverser cette période. Si elle ne passe pas, nous en prendrons acte.
Les hôpitaux, EMS ou structures sociales estiment que les économies ne sont plus possibles sans réduire l’offre. Faites-vous le même constat?
Dans le cadre de la loi sur l’assainissement financier, nous devions trouver des mesures d’urgence. Notre priorité a été de limiter au maximum l’impact sur les prestations. Avant d’envisager des gels ou des réductions, il nous paraissait logique d’utiliser les réserves constituées ces dernières années, y compris dans les organismes subventionnés. Certains ne peuvent pas être forcés de puiser dans ces réserves, mais dans plusieurs cas – par exemple la Fondation pour l’accueil de jour des enfants –, les moyens existent et peuvent être mobilisés durant deux ans, sans baisse de prestations ni diminution des subventions aux communes.
Justement, c’est ce que la droite vous reproche… Pourquoi ne pas avoir eu le courage de prendre des mesures pérennes?
Nous avions d’abord besoin de mesures immédiates. Il nous paraissait essentiel d’agir rapidement pour stabiliser la situation, puis de nous donner le temps, pour les prochains budgets, d’analyser en profondeur les politiques publiques et d’identifier des mesures durables.
Il faut donc s’attendre à pire?
Il faut surtout changer d’état d’esprit. Nous ne sommes plus dans la situation des années 2000, mais le contexte économique reste incertain et, si rien n’est fait, les déficits s’aggraveront. Les réserves servent aux périodes difficiles, mais cela ne suffit pas. Avec une croissance des charges d’environ 4% par an pour des revenus qui progressent de 2,8%, même en mobilisant les réserves, nous devons maîtriser environ 300 millions de charges par année.
Quelle est l’avancée de votre plan d’assainissement?
Jusqu’en janvier, les départements travaillent sur les mesures. Les discussions poli-tiques auront lieu au premier trimestre, puis au printemps nous lancerons une consultation plus approfondie que celle réalisée dans l’urgence pour le budget 2026.
N’avez-vous pas été trop gourmands et rapides avec votre plan «pouvoir d’achat», qui inclut déjà des baisses d’impôts de 230 millions pour l’année à venir?
Nous avons maintenu ces baisses fiscales car notre canton figure parmi les plus imposés de Suisse. L’objectif était de préserver son attractivité et de redonner du pouvoir d’achat à la population, tout en poursuivant les mesures prévues par le programme de législature. Je ne peux accepter qu’on attribue la situation actuelle uniquement aux baisses d’impôts: elles jouent un rôle, mais de nombreux autres facteurs entrent également en compte.
Même question concernant la réforme de la péréquation, qui pèse lourd sur les finances cantonales… Comprenez-vous que vos prédécesseurs aient l’impression que vous avez tout dilapidé en à peine quatre ans?
Je rappelle que mes prédécesseurs, en particulier Monsieur Maillard, ont un devoir de réserve. Je ne comprends donc pas certaines de ses prises de position dans les médias. Les faits sont clairs: nous avons perdu 375 millions de la BNS, les indexations du personnel sur deux ans représentent 275 millions, et, entre 2022 et 2024, les impacts démographiques et les charges automat iques sur des politiques publiques favorables à la population s’élèvent à 508 millions. L’Ukraine représente 100 millions et les mesures du programme de législature 143 millions. Dire que nous avons «tout dilapidé» est donc inexact.
Est-on encore capable d’assumer une politique aussi onéreuse que celle des 10% de subsides d’assurance maladie?
Au moment du vote, personne n’imaginait que les coûts de la santé exploseraient à ce point. Aujourd’hui, près de 40% de la population est subsidiée, ce qui représente plus d’un milliard pour le budget de l’Etat.
Faut-il revenir en arrière?
Ce qui est certain, c’est que nous devons pouvoir mener une réflexion globale et sans tabou sur l’ensemble des politiques publiques pour l’avenir.
Comment vivez-vous le fait de porter, en tant que présidente, le poids de ces critiques depuis le début de l’année?
C’est une période exigeante, sans doute la plus difficile sur le plan personnel en politique. Nous n’avons pas été élus pour naviguer uniquement par beau temps. C’est justement dans ces moments que l’on est attendu. Sur le plan humain, c’est dur, mais je peux compter sur un solide soutien familial et amical, ainsi qu’une équipe de collaborateurs compétents.
Avez-vous parfois douté de votre engagement?
Ces moments m’amènent à réfléchir à la meilleure manière d’avancer, mais je ne doute pas de mon engagement. Ma passion et ma motivation sont intactes, même si, humainement, cette année a été, comme je l’ai dit, particulièrement exigeante.
«Nous n’avons pas été élus pour naviguer uniquement par beau temps»
Copyright Le Temps SA Nov 21, 2025