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RAPHAËL JOTTERAND ET PAULINE RUMPF
C’est un véritable séisme dans le monde politique vaudois. Rebecca Ruiz, conseillère d’Etat vaudoise chargée de la Santé, a annoncé hier sa démission. L’élue socialiste de 43 ans a tenu une conférence de presse en début d’après-midi, dans la foulée de la traditionnelle séance hebdomadaire du gouvernement. Dans un communiqué, l’exécutif a exprimé sa «vive émotion et de profonds regrets», saluant «son expérience, son sens aigu de la collégialité et du service à la collectivité» ainsi qu’un engagement total, notamment au moment de la crise du covid.
Rebecca Ruiz a expliqué sa décision par des raisons de santé, qui l’avaient déjà forcée à un mois d’arrêt de travail durant l’été. «Je suis toujours capable d’assurer un poste à responsabilité avec sérieux et engagement, mais plus avec l’intensité extrême que requiert la situation. Cette charge excède largement un 100%, en journée, en soirée et le week-end, avec des semaines de plus de 60 heures. J’espérais que ce serait le cas, mais mes problèmes de santé m’entravent trop, malgré un traitement qui stabilise ma pression artérielle.»
Problèmes de santé et tensions politiques
Son départ interviendra au printemps 2026, permettant la tenue d’élections complémentaires en même temps que les élections communales vaudoises, le 8 mars. Quant à la suite, Rebecca Ruiz estime qu’il s’agit probablement de la «fin de sa carrière politique». Elle rappelle qu’à 44 ans au moment de son départ, une reconversion professionnelle s’imposera naturellement. «Je souhaite pouvoir continuer à m’engager au service du bien commun, sous d’autres formes.»
La ministre a remercié mercredi ses collègues de gouvernement, ses équipes ainsi que le Grand Conseil, mais aussi la direction de son parti. Elle a toutefois avoué avoir senti quelques réserves de la part de certains membres du PS, sans toutefois en dire davantage. Selon nos informations, cet élément a pesé dans la balance, comme elle l’aurait indiqué à plusieurs personnes, y compris au Conseil d’Etat mercredi. L’attitude de certains socialistes pendant son absence est mal passée. Idem concernant les critiques très vives de certains députés et syndicats depuis le début des manifestations. «Elle s’est sentie lâchée», nous informe un proche de la ministre.
Quant à l’héritage de Pierre-Yves Maillard qui peut être lourd à porter, Rebecca Ruiz a botté en touche: «Personne n’est irremplaçable en politique. Evidemment qu’après quinze ans dans un département aussi important, il y a beaucoup de dossiers en commun plus ou moins réjouissants. Mais je ne vais pas vous dire que les crises que j’ai eu à gérer résultent de l’action de mon prédécesseur. C’est la vie courante de n’importe quel ministre.»
Tristesse profonde au sein du collège gouvernemental
Rebecca Ruiz n’a pas manqué de souligner le fait que les tensions internes au gouvernement l’ont aussi affectée: «Quand les conflits excèdent les divergences politiques et qu’on intervient sur d’autres terrains, c’est pénible.» La situation compliquée du canton depuis plus d’un an a également pesé, exigeant «une implication sans faille dans des dossiers délicats, qui s’ajoutent aux affaires courantes».
Jointe par téléphone, Christelle Luisier, présidente du collège, a été informée mardi soir de cette décision: «C’est un choc, beaucoup de tristesse. Nous perdons un pilier du Conseil d’Etat, quelqu’un d’extrêmement loyal avec qui des liens d’amitié se sont noués.» Elle salue aussi le fait que Rebecca Ruiz reste à son poste jusqu’à l’entrée en fonction de son successeur. Quant aux critiques sur la bonne marche du gouvernement, la présidente soupire: «Ce que nous avons vécu est une période très exigeante, qui a induit un travail supplémentaire. Il serait toujours préférable qu’on puisse se passer de ce type d’interférences. Maintenant, nous sommes confrontés à un nouveau défi et nous n’avons pas d’autres choix que de tout faire pour le surmonter.»
Nuria Gorrite, sa seule collègue de parti à siéger au Conseil d’Etat, se dit «infiniment triste», la gorge nouée. «C’est avec beaucoup d’émotion que j’accueille cette décision. On a partagé des moments forts ensemble et aujourd’hui c’est l’être humain qui parle. On mesure à quel point cette fonction peut être exigeante et parfois cruelle.» Celle qui a présidé la dernière législature se dit prête à faire face aux tensions actuelles et à rester debout malgré des circonstances difficiles. Quant à sa position, elle qui arrivera en 2027 au terme de sa troisième législature, il est trop tôt pour en parler: «Il y a un temps pour tout. Ce n’est pas de moi qu’il s’agit aujourd’hui.»
Hospitalisation durant l’été
Cette démission est inattendue mais ne constitue pas une surprise totale. Elle s’inscrit dans la lignée d’un second semestre 2025 compliqué. En août, Rebecca Ruiz avait dû se mettre en retrait pendant près d’un mois, à cause d’une dysautonomie et une pathologie gynécologique nécessitant une surveillance.
Peu avant son retour aux affaires, l’absence de Rebecca Ruiz a suscité un certain nombre de rumeurs au sein de son parti et auprès de son administration. Le Temps révélait en septembre dernier que plusieurs membres du Parti socialiste vaudois ne lui avaient pas pardonné les lettres envoyées cet été aux hôpitaux vaudois pour annoncer 20 millions de coupes dans leurs budgets respectifs. Même si le gouvernement est depuis revenu en arrière, la communication de la ministre a laissé des traces. Et des cicatrices, peut-être plus profondes que ce que l’on pouvait imaginer.
«Je souhaite pouvoir continuer à m’engager au service du bien commun, sous d’autres formes»
REBECCA RUIZ
Copyright Le Temps SA Nov 27, 2025