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AÏNA SKJELLAUG ET RAPHAËL JOTTERAND
La longue séquence d’hier matin au Grand Conseil, accompagnée d’un semblant d’appel au calme des syndicats, a, semble-t-il, porté ses fruits. Vingt-quatre heures après la première manifestation visant à encercler le parlement vaudois pour protester contre les coupes, les manifestants sont revenus devant le parlement avec la même énergie. A une exception près. Les excès qui ont provoqué blocages, bousculades et interventions policières ne se sont pas reproduits hier soir. A la place, musique, vin chaud, torches, pancartes et un énorme paquet cadeau déposé devant l’entrée pour dénoncer les cadeaux aux riches.
Des événements «graves»
Il faut dire que les images de certains députés bousculés – dont l’écologiste Pierre Zwahlen ou l’UDC Valentin Christe – ont marqué. En préambule de cette longue journée sur le budget 2026, le président du Grand Conseil, Stéphane Montangero (PS), s’est fendu d’un message personnel: «Les événements qui se sont déroulés hier soir [mardi, ndlr] sont graves. Des employés de l’Etat ainsi que des députés ont été insultés et molestés. Avec le bureau, nous condamnons fermement de tels actes qui nuisent à l’image de l’institution mais aussi à celle des syndicats et des manifestants. Notre démocratie est un trésor, nous devons la préserver.» Celui qui dirige les débats a reconnu que certaines conditions à la tenue de cette manifestation, comme l’accès au parlement, n’ont pas été respectées: «J’en appelle à une prise de conscience de la part des organisateurs. De notre côté, nous nous employons pour que les choses se passent différemment aujourd’hui.»
Promesse tenue, les députés ayant tous pu circuler librement lors de la pause de 17 heures. Sur les côtés latéraux du Grand Conseil, les forces de l’ordre ont simplement bloqué l’accès aux manifestants avec des barrières et un dispositif policier renforcé. Des dizaines d’agents en uniforme et en civil ont permis que tout se passe bien, avec toujours la consigne d’agir calmement et sans violence. La protection des conseillers d’Etat a aussi été renforcée.
Hier matin, les élus réunis pour traiter du budget au Grand Conseil avaient chacun leur lecture des événements de la veille. «Ces manifestations sont la conséquence du refus de la présidente du Conseil d’Etat de négocier. Sans ambiguïté, je condamne toute forme de violence. J’étais là, je n’ai pas forcément tout vu. J’ai pu constater des bousculades et certains élus ont dû être escortés par deux policiers. Je n’ai rien vu de plus», commente Julien Eggenberger. «De ce que j’ai vu, l’ambiance m’a fait penser à une tribune un peu agitée de supporters», relativise-t-il.
D’un ton grave et solennel, Christelle Luisier, présidente du gouvernement, a remercié Stéphane Montangero pour son allocution avant d’appuyer cette position: «Les actes de violence sont intolérables. Dans ce contexte, si l’émotion politique est bien normale, elle ne saurait s’exonérer des règles élémentaires de respect des opinions et des femmes et des hommes politiques.» La ministre PLR a ajouté en réponse à l’extrême gauche «qu’une de nos collègues a été menacée de se faire planter. Je suis atterrée qu’on puisse en arriver là.» Finalement, Christelle Luisier a rappelé que «le débat peut être dur, peu importe, pour autant qu’il soit clair et loyal», précisant que le Conseil d’Etat n’est pas fermé au dialogue.
«Attisement de la haine»
Mathilde Marendaz, d’Ensemble à gauche, a ensuite livré sa version des faits. «On ne peut pas comparer quelques manifestants qui ont débordé mardi soir à des fascistes avec des armes à feu au Capitole», regrette-t-elle. En réprouvant le fait de «diaboliser» désormais ceux qui manifestent leur colère qu’on touche à leurs conditions de vie.
«Ce n’est pas habituel de se faire bousculer par la colère qui s’est exprimée devant nous. Nous déplorons les quelques actes d’intimidation, comme les syndicats les déplorent aussi. Nous appelons à réfléchir à leur cause», a plaidé l’élue de la gauche radicale. «La diabolisation des manifestants plutôt que de parler du fond de leurs revendications et d’entamer la négociation, on connaît cette stratégie: c’est celle de la diversion», selon Mathilde Marendaz.
«Mathilde Marendaz a été l’une des seules à avoir été acclamée par les manifestants, donc votre sortie n’a pas été très compliquée», rétorque Fabrice Moscheni, UDC. «Certains de mes collègues ont été agressés ad personam parce qu’ils appartenaient à l’UDC. Les syndicats ont mis quelques briquettes pour allumer le feu», dénonce-t-il. «La fonction n’est plus respectée par une partie de la population peut-être parce que certaines associations ou syndicats se prennent au jeu de la violence sociale», alerte l’élu UDC.
«J’ai eu l’impression d’assister à un attisement de la haine», a quant à elle raconté Joséphine Barnes Garelli, élue PLR. Son parti, l’UDC et Le Centre, formant l’Alliance vaudoise, se sont fendus d’un communiqué. «Des manifestants ont bloqué l’accès au parlement, insulté des élues et élus, les ont bousculés, et certaines députées ont même été agressées physiquement. Ce climat d’hostilité délibérée a cherché à empêcher des élus démocratiquement mandatés d’exercer leur fonction», dénoncent-ils.
«Une responsabilité du Conseil d’Etat»
De leur côté, les syndicats ont promis que de tels événements ne se reproduiraient pas dans la soirée. David Gygax, secrétaire syndical du SSP Vaud refuse toutefois de parler de «violence», mais évoque un «climat tendu». «Il y a eu quatre ou cinq bousculades alors qu’il y a 150 députés», corrige-t-il. «Ce n’est pas ce que l’on souhaitait, mais il y a aussi une forme de responsabilité du Conseil d’Etat qui continue à faire comme si la foule qui crie dans les rues depuis des semaines n’existait pas», lance-t-il.
En fin de matinée, après une heure et demie d’échanges, le parlement a voté en faveur (80 voix pour, 17 contre et 30 abstentions) d’une résolution déposée par Florence Bettschart-Narbel (PLR) au nom des groupes UDC, PLR et Vert’libéraux. Ce texte «invite le bureau du Grand Conseil à prendre les dispositions nécessaires pour garantir, lors des prochaines séances, des conditions de sécurité permettant aux députés de siéger sans intimidations et violences.»
Si le message semble passé, les députés ont déjà pris passablement de retard sur leur programme initial. Les longs échanges du jour, parfois hors sujet, laissent penser que mettre un budget sous toit avant la fin de l’année ne sera pas une mince affaire. Les députés sont prévenus. Pour y parvenir, ils devront trouver de bons compromis entre le premier et le deuxième débat ou renoncer à de nombreuses heures de sommeil.
«Nous condamnons fermement de tels actes, qui nuisent à l’image de l’institution mais aussi à celle des syndicats et des manifestants»
STÉPHANE MONTANGERO, PRÉSIDENT DU GRAND CONSEIL VAUDOIS
Copyright Le Temps SA Dec 4, 2025