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RAPHAËL JOTTERAND
Qui doute encore que, dans le sport, tout peut basculer en un instant? Les supporters du Stade Rennais planent sur un petit nuage depuis plus d’un mois. Leurs joueurs, dont l’avant-centre de l’équipe de Suisse Breel Embolo, sont invaincus depuis le 29 octobre dernier et restent sur quatre succès consécutifs, série en cours. Avant ça, Les Rouge et Noir végétaient à une triste 10e place (11 points en neuf journées), indigne de leurs ambitions et des moyens alloués par leur propriétaire, le milliardaire François Pinault.
Fin octobre, le coach Habib Beye, un ancien joueur de l’OM très apprécié pour ses analyses dans les médias mais qui devait encore faire ses preuves comme entraîneur, était assis sur un siège éjectable. La presse sportive hexagonale l’annonçait déjà sur le départ après une défaite contre Nice (2-1). Et puis, contre toute attente, le président, Arnaud Pouille, n’a pas voulu jouer la carte du «choc psychologique». Bien lui en a pris. Rennes, qui se déplace samedi au Parc des Princes pour y affronter le PSG, est désormais cinquième de la Ligue 1, à 7 points du leader surprise Lens.
Seul aux commandes
Dans les coulisses du Roazhon Park, un homme prépare cette rencontre avec soin. Sébastien Bichard est le bras droit du médiatique Habib Beye depuis le 30 janvier 2025. Quelques jours plus tôt, il buvait encore son café à Conthey, se remettant tout juste de la fin forcément abrupte de sa première expérience en tant qu’entraîneur principal en professionnel, au Clermont Foot 63, un club détenu par l’homme d’affaires zurichois Ahmet Schaefer. Au pays des volcans, le Franco-Suisse avait d’abord secondé l’entraîneur Pascal Gastien, véritable héros local, engagé dans la lutte contre la relégation. La mission échoue et, comme convenu, Sébastien Bichard se retrouve seul aux commandes du CF63 en Ligue 2. Le journal L’Equipe le décrit comme «un jeune technicien, déjà connu par certaines directions de club de l’élite comme étant un profil à suivre». Le magazine So Foot lui offre même une grande interview où il raconte comment les joueurs et le staff se sont coupé du monde pendant deux jours et demi, à la découverte de l’Auvergne. C’est ça la recette Bichard. Soigner le détail jusqu’à la perfection et «donner du sens à ce que l’on fait.» Même si l’expérience ne dure que dix matchs. Devant son café à Conthey, l’ancien joueur du Stade Nyonnais ne s’en formalisait pas. Il aurait voulu plus de temps pour mettre en place ses idées et sa créativité, voilà tout.
Adjoint de Bernard Challandes
A Rennes, dans l’un des plus beaux écrins du football français, il tente d’instaurer sa patte, son style. «Notre méthode est basée sur la performance. Nous travaillons au quotidien avec des exigences qui se situent au-dessus de ce qu’on peut vivre durant les matchs. Car même quand tu travailles dur, ce n’est pas sûr que tu atteignes tes objectifs à ce niveau-là.»
Celui qui a fait ses gammes avec les espoirs du Team Vaud et le FC Sion pèse chacun de ses mots. Il est imperturbable, ne dévie pas de sa ligne et n’est pas du genre à glisser une pointe d’humour pour casser l’armure. Son approche rappelle celle de Lucien Favre, entraîneur pour qui le football est moins une passion qu’une mission. Sébastien Bichard ne cesse de le répéter: la quête de sens est omniprésente dans son quotidien. Et le football, justement, «donne un sens» à sa vie. «C’est quelque chose de vital», assuret-il.
A Rennes, il dirige la plupart des séances, en collaboration avec le reste du staff. Les deux hommes se sont rencontrés en 2023. A l’époque, le coach sénégalais est à la tête du Red Star, en banlieue parisienne, un club historique du football français mais qui joue alors en troisième division. Sébastien Bichard sort, lui, d’une expérience très enrichissante comme adjoint de Bernard Challandes, puis d’Alain Giresse, à la tête de l’équipe nationale du Kosovo. «Je suis arrivé dans une période où le Kosovo avait besoin de sang neuf, peut-être aussi de nouvelles personnes. Ces années ont été fantastiques. Elles m’ont beaucoup apporté.» Après trois ans au Kosovo, il envisageait un poste de numéro un. «Des opportunités se sont ouvertes en France, dont celle de premier adjoint au Red Star.» Le coup de foudre avec Habib Beye a été instantané et réciproque. «Quand j’ai garé ma voiture dans le centre d’entraînement du Red Star, j’ai senti que j’allais travailler ici, que j’allais vivre dans cet environnement. A l’entretien, on a passé sept heures à parler foot avec Habib. On s’est mis d’accord avec le club et c’est parti.» Pari réussi, les Parisiens ont été promus en Ligue 2.
Depuis cette rencontre, le coup de cœur amical tient toujours. C’est aussi peut-être cette force qui leur a permis de tenir quand le tourbillon médiatique s’est emparé de Rennes en octobre dernier. «Dans le sport de haut niveau, les entraîneurs sont devenus des experts en gestion de crise, décrypte Sébastien Bichard. Il y a toujours quelque chose qui nous manque: le temps et les résultats.» Pour sortir de cette tourmente, pas de recette miracle mais quelques ingrédients: «Il faut essayer d’être dynamique et joyeux, avec un état d’esprit conquérant. Le coach doit aussi enlever la pression aux joueurs et donner la priorité au jeu et au plaisir de jouer.»
A 42 ans, Sébastien Bichard fait partie de cette gamme d’entraîneurs prometteurs qui ne cessent d’innover. Outre ses inspirations tirées du rugby, il a repris des études universitaires à 39 ans. Certaines rencontres l’ont aussi marqué à l’image de Régis Le Bris, actuel entraîneur de Granit Xhaka à Sunderland, qu’il a pu rencontrer à Lorient, ou Roberto De Zerbi, l’entraîneur de l’OM, vu à Brighton. Samedi, au Parc des Princes, il croisera la route du maître Luis Enrique. Avec un seul objectif: prolonger le renouveau rennais, et continuer à tracer, dans l’ombre et avec humilité, son propre chemin.
«Le coach doit aussi donner la priorité au plaisir du jeu»
SÉBASTIEN BICHARD, ENTRAÎNEUR ADJOINT DU STADE RENNAIS
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