Keywords: imaginary; linguistic ideal; norms; representations; discourse analysis
Defined later than other Romance languages, the Romanian language was in a position to assert and value its Latin origin in the context in which its formation took place at the intersection of several influences: Romanian, Slavic, Turkish, Greek, etc. The place of Latin cannot be fully established without examining the dynamic relationships between norms, representations, and linguistic ideals. The role of the linguistic imaginary intervenes in this type of research. It acts by combining internal and external factors, objective and subjective, socio-linguistic and political.
In this article, we will evoke some reference moments that, in the constitution of the national language and its norms, found in Latin an argument of an identity nature. Certainly, the chosen moments can only be incomplete, but through them we try to reconstruct a dynamic linguistic imaginary, which attests to the subjective relationship of the speakers with their language.
1.Un choix méthodologique : le modele de l'imaginaire linguistique
La place du latin dans la formation et la consolidation du roumain a travers le temps ne peut pas etre entiérement établie sans examiner les rapports mouvementés entre normes, representations et idéal linguistique. Plus précisément, ce qui nous importe, dans le présent travail, est de saisir dans un ensemble, forcément limité, de travaux d'histoire de la langue, les témoignages visant l'importance de la prise en compte de l'activité méta- et épilinguistique des sujets (historiens, chroniqueurs, linguistes) qui, au fil du temps, ont créé un certain type de discours sur la place et le rôle du latin concernant la constitution et l'évolution du roumain. Comme on va le voir, meme si empreintes de subjectivité, ces réflexions arrivent a influer non seulement sur l'évolution des mentalités et des representations concernant la souche latine de la langue, mais aussi sur le systéme linguistique lui-meme, soumis a une pression croissante (et parfois oppressive). Car, comme on le sait depuis A. Ray1 (1972), ce ne sont pas seulement les contraintes du systéme linguistiques celles qui imposent la norme. Comme l'ont pleinement témoigné les travaux de psycho-socio-linguistique, et les avancées des derniéres décennies en analyse du discours, pragmatique, sémiotique, théorie de la communication, le langage refléte une multitude d'attitudes subjectives, le sujet parlant s'étant revendiqué, aprés la vogue structuraliste de la deuxiéme moitié du XXe siécle, centrée sur la langue comme objet principal d'étude, une place qui allait devenir de plus en plus influente.
Voila pourquoi nous pensons que le modéle de l'imaginaire linguistique (dorénavant IL) proposé par Anne-Marie Houdebine (1998, 2002a, 2002b, 2009, 2014) nous offre une grille d'analyse concernant la problématique que nous mettons en discussion. Ainsi, ce modéle permet au chercheur d'associer et, finalement, de réconcilier deux perspectives, vues comme complémentaires : l'étude de la langue et du discours a travers les pratiques, individuelles ou collectives des sujets parlants, leurs attitudes, voire leurs sentiments linguistiques en évolution et en interaction historique et/ou personnelle, d'une part, et l'étude du systéme linguistique comme facteur objectif, d'une autre.
Comme on a pu le remarquer en examinant de prés la théorie le l'imaginaire linguistique, ces deux pôles de recherches ne sont pas toujours faciles a réconcilier. A suivre le modéle proposé par l'auteure et développé dans des études ultérieures, le concept de norme se redéfinit a la croisée de plusieurs facteurs entre lesquels des rapports tendus, sinon divergents, peuvent apparaitre. A côté des normes objectives (inhérents a la langue) on doit prendre en compte les normes subjectives (relevant des attitudes linguistiques des locuteurs). En réalité, ce sont ces derniéres celles qui rendent ls spécificité de l'imaginaire linguistique, puisque, selon les paroles de l'auteure, la recherche permettra de prendre en compte
ce rapport du sujet a la langue, la sienne et celle de la communauté qui l'integre comme sujet parlant - sujet social oů dans laquelle il désire etre intégré, par laquelle il désire etre identifié par et dans sa parole ; rapport enonçable en termes d'images, participant des représentations sociales et subjectives, autrement dit d'une part des idéologies (versant social) et d'autre part des imaginaires (versant plus subjectif). (2002a : 10)
Mais l'ensemble des normes subjectives est loin de se présenter comme homogéne, car on peut y distinguer des normes des plus diverses (évaluatives, fictives, communicationnelles, prescriptives, identitaires) (Houdebine 2002b : 1215), activées selon l'intention et le contexte dans lequel le sujet2 intervient. On va revenir, au fil de notre réflexion, sur la spécificité et l'impact de ces normes.
Valorisant, mais aussi dépassant la perspective strictement diachronique, le modéle propose par Anne-Marie Houdebine en 1975 est encore susceptible de nourrir la réflexion des linguistes. Nous pensons que Pintérét principal de sa méthode consiste dans la prise en compte de la subjectivité comme facteur déterminant de l'évolution d'une langue, ce qui revient a penser l'imaginaire comme causalité (cf. Houdebine 2002a, Fodor 1999).
Cette possibilité ouvre un immense champ de recherche et nous encourage, sans doute, dans la voie de recherche que nous proposons. Si on peut affirmer que, dans l'imaginaire linguistique roumain, une place de choix est réservée a l'affirmation de l'origine latine de la langue, vue comme source de prestige et idéal linguistique de beaucoup de générations, c'est grâce aux productions discursives de nature épilinguistique et métalinguistique qu'on pourrait recenser au fil du temps : glossaires, grammaires, études historiques sur l'origine de la langue roumaine3, etc. C'est un vaste territoire de réflexion, oů l'on voit surgir un imaginaire collectif basé sur l'idée d'une langue d'origine illustre, que l'on cherche a (re)affirmer, a récupérer et dont on est fier. On se rallie ainsi a l'option méthodologique exprimée par F. Fodor, dans sa these de doctorat dirigée par A.M. Houdebine, selon laquelle
l'analyse des discours sur la langue est le seul moyen de comprendre le choix de certaines formes dans la communication, en faveur des autres, et le rôle des ideologies linguistiques dans ce choix (Fodor 1999 :7).
Une analyse de l'imaginaire linguistique collectif des couches sociales dominantes pendant une époque donnée ne saurait ignorer, par conséquent, les textes fondateurs traitant des questions de langue, ce qui permet de dégager les éléments constitutifs des representations linguistiques d'époques révolues : « nous ne disposons d'aucun autre moyen qui nous permettrait de voir ce que nos ancetres pensaient de la langue qu'ils parlaient. Leurs représentations linguistiques influencent les nôtres » (Fodor 1999 : 8).
On va ainsi évoquer, dans le présent article, quelques moments de référence qui, dans la constitution de la langue nationale, ont trouvé dans la latinité un argument de nature identitaire, un idéal linguistique, tout en contribuant a forger une langue et ses normes. Certes, les témoignages recueillis ne peuvent etre que lacunaires, mais ils reconstituent, tant soit peu, a travers les reflexions de divers auteurs interrogés, un imaginaire linguistique toujours en mouvement.
2.Imaginaire linguistique et mythologies nationales. La naissance de la langue roumaine et l'origine du peuple roumain
Comme on l'a déja constaté, l'imaginaire linguistique propose un modele opérationnel censé permettre de dégager et de classer les représentations, les sentiments, les évaluations des sujets a travers les fictions puristes, prescriptives (bon/correct/incorrect) ou fictions esthétisantes (la belle langue) ou historisantes (le passé d'une langue) ou encore fonctionnelles (l'aspect communicationnel) (Houdebine 2002b : 12).
L'histoire de la naissance de la langue roumaine ne manque pas de telles représentations linguistiques, qui, en plus, ont un enjeu encore plus significatif : celui d'expliquer l'origine du peuple roumain et d'insister sur sa souche latine, qui, sans avoir été jamais méconnue ou contestée, a connu d'importantes nuances et évolutions dans le discours des chercheurs. On suivra de plus ce volet de la réflexion a travers lequel sera manifeste un certain effort d'argumenter ce caractere indubitable de la souche latine du roumain, vue, dans la plupart des cas, comme garantie de l'existence et de la continuité des Roumains sur les territoires actuels.
Avant de prendre en discussion quelques opinions émises sur origine de la langue roumaine, et l'IL qui s'en dégage, rappelons, premierement, le caractere tardif de l'apparition des attestations portant sur l'existence de la langue roumaine parlée et, ensuite, écrite. Nous nous rapportons a la situation des autres langues romanes qui jouissent de documents beaucoup plus anciens concernant leur constitution4. Cette circonstance « exteme » n'est pas sans rapport avec la creation d'un imaginaire linguistique particulier pour le roumain. En effet, la rareté de documents a meme d'attester l'existence du roumain comme une langue avec des caractéristiques propres a représenté et représente encore pour la philologie roumaine un véritable défi.
On se plait surtout a faire remarquer que, des les premiers témoignages, le roumain est associé au latin. Ainsi, les premieres sources historiques sont attribuées aux chroniqueurs byzantins autour du XIe siecle. Elles parlent de l'existence des colons « venus depuis longtemps d'Italie » (apud Niculescu 1965 : 5), sans qu'elles nous disent rien d'explicite concernant la langue de ces populations. Ce type d'information apparaît plus tard, en 1314, étant attribuée au Pape Pie II, qui, dans ses Commentarii rerum memorabilium, consignait, de façon lapidaire : « Les valaques parlent la langue italienne, mais dans une forme imparfaite et, en quelque sorte, altérée » (ibidem)5.
On assiste donc a une tentative de définir les caractéristiques de cette nouvelle langue en la rapprochant d'une autre, beaucoup plus connue et prestigieuse a l'époque, qui fonctionne, dans ce cas, comme norme devaluation. Ce témoignage est doublé d'un autre, qui apparaît au XVe siecle, attribué a l'érudit Andreas (André) Brentius de Padoue, lequel aurait identifié, sur le territoire de la Scythie sarmate « une cité noble et toute puissante dans laquelle résonnent des mots comme les nôtres » (apud Niculescu 1965 : 8). Dans une note, l'auteur nous laisse un commentaire de nature évaluative, laissant sous-entendre une norme communicationnelle, tout en éno^ant l'opinion selon laquelle « rien n'est plus beau que de les entendre [ces habitants] parler selon les anciennes habitudes romanes » (ibidem). On lit, en creux, l'étonnement, mais aussi le bonheur de ces témoins a avoir trouvé une langue qui, sans etre ni du pur latin, ni de l'italien, langue considérée comme héritiere de plein droit de l'empire, possede, malgré son caractere impur, des sonorités semblables.
Ce n'est pas sans raison qu'en dépit de leur caractere lapidaire les preuves mentionnées ci-dessus ont été investies d'un pouvoir testimonial important, voire exacerbé. Attestant la parenté avec le latin d'un certain parler assez isolé, rencontré par hasard dans un coin éloigné de l'Europe, ces documents sont ainsi chargés non seulement de valeur scientifique, mais aussi d'un poids affectif indéniable, tendance subjective qui se conserve dans les representations ultérieures de la langue et du peuple roumain et qui influe fortement sur son imaginaire linguistique.
Force nous est donc de constater qu'on assiste a la naissance d'un espace imaginaire, presque mythique, qui recupere la latinité pour la transformer, peu a peu, dans un enjeu non seulement linguistique, mais aussi identitaire. La naissance et la consolidation du roumain comme langue romane seront perçues comme des phénomenes linguistiques qui accompagnent et légitiment la naissance, l'évolution et la modernisation du peuple roumain, depuis le début, a partir de la conquete romaine (et meme avant, car on dit qu'on parfait le latin a la cour des rois Daces6...) jusqu'a l'époque actuelle, quand la souche romane représente un argument d'autorité des plus forts pour ľaffirmation de l'identité européenne des Roumains. L'imaginaire linguistique engendré par cette problématique complexe s'inscrira, par conséquent, dans une démarche visant la découverte et la perpétuation des normes identitaires, vu que les langues et leur usage ont aussi une fonction identitaire relevant des normes fictives.
La fiction et le mythe reposent souvent sur des structures imaginaires semblables. Il est certain que la mythification de l'histoire est un processus inévitable, la difficulté étant de donner une définition complete, mais aussi opérationnelle du mythe. Ce type de représentations collectives ne fait pas la part entre une réalité « vraie » ou « fausse », mais range la substance de l'imaginaire selon une logique propre. Comme construction imaginaire, le mythe est voué a mettre en évidence « l'essence des phénomenes cosmiques et sociaux, en étroite liaison avec les valeurs fondamentales de la communauté, dont ils assurent la cohésion » (Boia 2017 : 66). Leur sens est profondément symbolique et la visée en est de dégager une vérité essentielle. Les rapports entre mythe, image et imaginaire sont, soulignons-le encore, indéfectibles.
Un exemple éclairant de discours national qui joue sur des images afin de légitimer l'idée de nation est offert par Constantin Rădulescu-Motru, personnalité marquante de la culture roumaine et homme politique du XIXe siecle : « Le Roumain a une belle langue. Il a une literature importante et un avenir politique brillant, parce que, avant tout, il est d'origine latine » (1999 : 2).
On remarque que l'énoncé portant sur la beauté de la langue (norme esthétique), de meme que l'origine latine (norme identitaire) de la langue se transforment, dans l'intention de l'auteur, dans une preuve irrefutable qui conduit non seulement a faire accepter l'idée d'excellence culturelle et politique, idée sans rapport évident avec la genese d'une langue, mais, aussi, comme apportant une contribution a la cohésion collective du peuple roumain. Comme voix autoritaire dans la société de son temps, Rădulescu-Motru parle, par métonymie, a tous les Roumains et fait appel, de façon symbolique, a leur conscience nationale. Forme de conscience collective, la « conscience nationale » s'integre dans le « mental collectif », vu comme ensemble d'expériences et de réactions qui menent « a la coagulation de la conscience d'appartenance a un groupe » (Ivancu 2013 : 81). On est face a un paradigme rhétorique qui mise sur l'excellence du latin qui se transforme en caution pour la « beauté » d'une langue héritiere (fiction esthétisante). Sans doute, la découverte des origines du peuple roumain dans « la glorieuse Rome antique » (Rădulescu-Motru 1999: 52) a été un moment capital qui a permis aux habitants des villages d'aspirer a une vie nouvelle et de gagner une conscience nationale.
C'est surtout l'expérience de l'altérité, la perception qu'on a du binóme nous / les autres qui assure la cohésion du groupe et engendre des images et des mythes. Dans ce sens, l'origine latine du peuple roumain devient un concept mythique qui, a côté d'autres mythes nationaux, offrent des explications pour le devenir d'une nation, en mettant en avant ses valeurs communes et ses idéaux.
Prenons comme exemple les clichés identitaires véhiculés a l'égard des Roumains, ou que les Roumains adoptent pour parler d'eux-memes, qui sont souvent attachés a une « romanité » qu'il faut reconnaître et actualiser. Chansons populaires, proverbes, tout un ethos national de la latinité se perpétue jusqu'aujourd'hui. En voici un seul exemple, éloquent a nos yeux, de refrain populaire tres connu : « Noi suntem Români/ Noi suntem Romani/ Noi suntem urmaşi/ De-ai lui Traian »7. Le caractere presque homophone des mots români (« Roumains »), respectivement romani (« Romains ») y est étalé avec un orgueil qui sous-tend, parfois, un processus de stéréotypage qui a au centre l'étalage d'une image de soi valorisante.
Ainsi, l'idée de l'origine romaine, considérée comme « illustre », de meme que la latinité de la langue perpétuent un ensemble de croyances d'arriere-plan, pas toujours sous-entendu, qui, tel les structures mythiques, est actualisé périodiquement. Tout ce discours sous-jacent plaide en faveur de l'aristocratie, de la finesse culturelle roumaine, du génie et de la subtilité des Roumains, construit un ethos du peuple roumain et conserve, dans les milieux populaires, la conscience fiere du caractere latin de la langue roumaine.
Grigore Ureche, un des premiers chroniqueurs roumains, a laissé, au XVIIe siecle, un témoignage qui nous semble révélateur pour l'imaginaire linguistique qu'on attache a la latinité, menacée, selon lui, par le croisement linguistique spécifique a son héritier, le roumain : « Aşişderea şi limba noastră din multe limbi este adunată şi ne este amestecat graiul nostru cu al vecinilor de primprejur, măcar ca de la Râm8 ne tragem »9 Ureche (2004 : 11)
Nous avons souligné la derniere partie afin de mettre en évidence un énoncé qui est devenu un leitmotiv pour ceux qui ont proclamé, en différentes occasions, la latinité du peuple roumain, sans se référer a l'ensemble du texte, qui suggere aussi le caractere métissé de cette langue encore jeune...
Les témoignages dont nous nous sommes occupée ci-dessus montrent que la « romanité » et la langue latine auraient donc, dans l'acception mythologisée, une origine presque divine, offerte exclusivement aux Roumains, qui s'en sont servis pour moderniser leur culture et leur société. En termes d'imaginaire linguistique, on peut déja dégager une attitude marquant une certaine insécurité linguistique, qui accompagne l'élaboration de l'identité ethnique. L'amour de la « belle langue », pour les Roumains, va de pair avec ľaffirmation de la latinité et gagne tantôt des accents puristes, tantôt pathétiques10.
3.Entre Orient et Occident. De l'insécurité linguistique
Le sentiment d'insécurité linguistique concernant l'origine du roumain accompagne celui d'insécurité nationale, et parfois identitaire, d'un peuple qui se forme et s'impose comme nation dans un contexte de tension perpétuelle entre Orient et Occident. S'étant défini relativement tard par rapport a d'autres langues romanes, le roumain s'est trouvé toujours tiraillé entre les circonstances historiques de sa formation (au carrefour de plusieurs influences : romane, slave, turque, grecque, etc.) et le désir d'affirmer et de valoriser, avant tout, son statut de langue de souche latine. L'évolution, a l'écart de l'Occident, du latin devenu roumain, le rôle joué par le milieu non latin avoisinant donnent naissance, dans le discours sur la langue, a un imaginaire particulier, dont nous allons surprendre quelques traits dans ce qui suit.
Tout d'abord, on s'avise que les études ne manquent pas de signaler le caractere paradoxal du latin conservé en roumain. Il est pur et mélangé, fidele et infidele en meme temps, a son ancetre ! Ces caractéristiques contribuent a accentuer cette image de singularité, de langue « différente », que le roumain avait déja, suite a son développement périphérique, dans un milieu linguistique, social et culturel non latin, et, insiste-t-on, dans une période de romanisation relativement réduite, de seulement 150 ans (entre 106 et 271), la plus breve de toutes les occupations romaines.
En prenant en compte les autres langues romanes, on aboutit, au début du XXe siecle, a la conclusion que le roumain conserve, d'une certaine maniere, des caractéristiques plus « pures ». Acceptant l'évidence historique qu'elle était une langue parlée par les colons venus ex toto orbe romano (témoignage dÛ a Eutrope), la recherche a aussi accentué, a tort ou a raison, son caractere « inférieur », du point de vue culturel et social, par rapport aux langues qui se sont formées dans le reste de l'Empire romain. On pratique un discours de nature justificative, voué a expliquer et a renforcer l'idée de « singularité » du roumain, reposant sur la mise en action des normes fictives, subjectives. Cette representation s'appuie sur une autre norme, de nature objective, invoquant les normes systémiques et statistiques a travers des recherches sur le lexique d'origine latine dans la langue roumaine.
Sans trop insister la-dessus, rappelons la nature archai'que, « rustique » des termes latins transplantés en Dacie. Il s'agit des termes populaires, moins abstraits, tels lingula, furca, veteranus, pavimentum. En échange, des mots présents dans toutes les autres langues romanes, tels amor, causa, laborare, mater, pater, villa, forum, strata sont absents en roumain. Ces mots, considérés comme savants et/ou « littéraires » n'étaient pas connus ou employés par une population avec un niveau culturel réduit, rudimentaire, rustique, comme le constate S. Puşcariu (1938). Dans cette situation, l'imaginaire linguistique sous-tend la stratification sociale des locuteurs, car c'est elle qui impose une sélection du matériel linguistique.
On sait encore que ce latin a caractere populaire était, en meme temps, séparé du latin de l'Occident, et a évolué loin de lui, en cohabitation avec d'autres idiomes. Dans ce sens, parler de dynamique aréale du roumain permet de comprendre l'évolution d'une langue située, géographiquement, loin de la langue latine qui lui a servi de noyau. Situé au sud-est de l'Europe et encadré par les zones civilisationnelles qui émergent de la Péninsule Balkanique, ce territoire a favorisé un mélange linguistique particulier qui s'est manifesté durant les siecles qui ont été source d'études documentées, mais aussi de représentations linguistiques et culturelles des plus diverses.
La formule Byzance apres Byzance, qui provient du titre de l'ouvrage écrit en français par Nicolae Iorga, souligne le rôle particulier de la Nouvelle Rome pour la culture et la continuité romaine des Roumains, un rôle qui se prolonge bien apres la chute du Constantinople, en 1453, y compris par l'intermede de l'église orthodoxe. Mais, malgré ce rôle censé apporter de l'unité et du progres, le Byzance connaît aussi des représentations moins favorables dans l'imaginaire roumain, qui se prolongent jusqu'aujourd'hui. On qualifie de « byzantine » une attitude malhonnete, une personne paresseuse ou intrigante11. Cet imaginaire culturel stéréotypé est accompagné d'un autre, a travers lequel on considere que l'élément latin de la langue roumaine se trouve écrasé sous le poids du processus massif d'acculturation byzantino-slave qui lui impose des modeles et fait de sorte que « l'âme latine » soit « emprisonnée dans une langue slave » (Cartojan 1940)12.
Ce qui est certain, disons-le d'emblée, est que c'est seulement le latin qui garde le statut de langue d'excellence dans l'imaginaire du roumain, tandis que la perception, concernant d'autres influences apportées par les autres langues a connu des fluctuations (valorisantes ou dévalorisantes).
Cette situation de croisement linguistique et d'interrelation continuelle entre des langues différentes, sommairement décrite ci-dessus, engendre un sentiment d'insécurité linguistique, d'ou surgit un imaginaire particulier. Nous avons en vue les tendances des chercheurs a accentuer, en dépit de ce mélange diffus de langues ayant, toutes, contribué a la constitution du roumain, la permanence du caractere latin de la langue. L'interaction du latin avec les autres langues non-latines a été souvent décrite comme un combat que le premier a dÛ mener : ainsi, la latinité aurait été obligée de lutter avec les éléments alloglottiques (Iordan 1970) ; on apprend aussi que « la structure du roumain est latine et [...] sa latinité a toujours vaincu » (Niculescu 1978 :18), que l'absorption des éléments non romans a augmenté la force du latin, tandis que les locuteurs la parlaient avec la conscience de la continuité, étant convaincus que leur langue est différente d'autres langues sud-est européennes.
D'autre part, il faut aussi gérer l'évidence que le lexique roumain contient des types qui ne sont pas communs avec le reste de la Romania, évidence pour laquelle la position excentrique a fonctionné souvent comme une justification : « la grande difference entre le trésor lexical du roumain et celui des langues romanes d'Occident est constituée par la quantité de mots nouveaux qui, au cours des siecles, se sont ajoutés aux mots héréditaires : les sources qui ont enrichi les langues occidentales sont toute autres que celles ou a puisé le roumain » (Puşcariu 1938 : 42). Mais, encore une fois, l'élément latin, plus fort, plus prestigieux, remporte la victoire, du point de vue historique, linguistique et symbolique a la fois. On le voit, encore plus radicalement, dans la réflexion d'autres auteurs concernant cette problématique. Selon A. Graur, par exemple, le roumain est « résistant » aux influences étrangeres, aux éléments allogenes, ce qui s'explique par « la stabilite des éléments traditionnels et le caractere éphémere des éléments dus a des influences étrangeres ». Meme si les tendances latines ont été affaiblies a un certain moment, nous dit l'auteur, « elles ont repris pied chaque fois que des circonstances nouvelles le permettait » (Graur 1975 : 36).
Nous identifions dans ces fragments une conception qui contribue pleinement a imposer le mythe du latin comme garant d'un héritage intangible, sacré, toujours vainqueur face aux influences de toutes sortes qui ne peuvent etre qu'« éphémeres ». F. Fodor en résume tres bien les raisons, en remarquant l'apparition d'un mouvement semblable dans d'autres langues :
Dans la civilisation occidentale, les langues classiques anciennes (l'hébreu, le grec, le latin) disposent, pendant tres longtemps, de privileges démesurés. La sacralisation du langage provient d'une conception ontologique de la parole selon laquelle les mots ne sont pas des désignations conventionnelles, mais c'est le verbe de Dieu qui a constitué le monde. De meme la richesse culturelle, dont ces idiomes sont porteurs, conduit a leur idéalisation (Fodor 1999 : 120).
Un autre aspect concernant l'imaginaire qui ressortit de ce contact - et combat - du roumain avec les langues avoisinantes, est constitué par les rapports entretenus avec le slave. Sans trop s'y attarder, notons que la recherche est unanime a reconnaitre, mise a part le latin, l'influence slave dans tous les domaines de la langue roumaine. On sait qu'elle s'est exercée par le contact direct des populations slaves qui s'étaient établies, au VIIe siecle, a l'est de l'Europe, et étaient venus en contact avec la population romanisée. Il y a eu aussi une voie de contact par filiere culte et liturgique, a travers le slavon, langue de l'église et de l'administration dans les pays roumains, ce qui fait que son influence se prolonge jusqu'au XVIIIe siecle, étant aussi entretenue par le contact avec les langues avoisinantes, toutes d'origines slaves, sauf le hongrois.
Il est ainsi établi que le roumain a beaucoup emprunté au slave populaire13, surtout des mots qui font partie de son fonds principal : ceas « heure », dragoste « amour », a iubi « aimer », muncă « travail », prieten « ami », prost « sot », a sfârşi « finir », a trăi « vivre », vorbă « parole ». Grâce a cette richesse d'éléments lexicaux slaves repris par le roumain durant une période si longue, certains chercheurs, tels S. Puşcariu, ont considéré que l'élément slave est celui qui fait la difference entre le roumain et les autres langues romanes. Le fait que le slave intervienne aprěs que le roumain s'est fixe comme langue a part, ayant des particularités propres, a été prouvé en examinant l'intervention des lois phonétiques sur ces emprunts. On a conclu que les changements qui agissent sur le fonds latin n'affectent pas ces mots provenus de slave. Par exemple, la transformation de a en position nasale en â/î, comme dans lat. lana > roum. lâna « laine », ne s'est pas produite dans les emprunts slaves tels hrană « nourriture », blană « fourrure », rană « blessure » < sl. hrana, blana, rana. Ce sont des arguments qui relevent des normes objectives mais qui influent aussi sur le mental linguistique des locuteurs.
Il est certain que la discussion autour du slave et de son influence sur le roumain a constitué depuis toujours un chapitre a part dans la réflexion des historiens de la langue, mais aussi des écrivains, des philosophes qui ont créé, autour de l'interférence entre ces deux langues, un espace symbolique non sans lien avec la naissance d'un imaginaire linguistique particulier. De façon métaphorique, on considere la partie slave du roumain comme un « trésor » qu'il ne faut pas oublier, comme un élément essentiel qui exprime les « profondeurs » de l'âme roumaine14, mis en rapport avec le côté oriental du peuple entier.
D'autre part, comme on l'a vu, la tendance qui se manifeste dans les discours sur la langue est de valoriser, avant tout, le latin et la latinité. Dans le mental collectif des Roumains se sont figées des syntagmes qui, a force d'etre intensément exploités, fonctionnent comme une sorte de marqueurs de l'identité latine/romaine par rapport a l'influence, considérée moins importante, de l'élément slave. Par exemple, on se plait a se désigner souvent, non sans fierté, comme : « une enclave de latinité dans une mer slave » (syntagme mise en circulation par N. Iorga, s'étant définitivement installé dans le mental collectif des Roumains). Les linguistes et les historiens des langues insistent, eux aussi, en mettant en valeur les normes systémiques qui rapprochent le roumain plutôt du latin que de la structure des langues slaves.
Quoi qu'il en soit, les interactions avec le slave et les influences qui en découlent sont une réalité qui marque profondément la conscience linguistique des Roumains, leur propre mythologie, perpétuée a travers le temps par toutes sortes de représentations culturelles suggérant non seulement la cohabitation, mais aussi le duel perpétuel entre latin/roman (representant le côté occidental) et slave/slavon (représentant la partie orientale)15.
4.En guise de conclusion : idéal linguistique et modernisation de la langue roumaine. Le latin « densifié »
S'étant séparé du latin aux VP-VIP siecles, le roumain reste « fidele » a son illustre ancetre et réintegre la romanité par des moyens divers, premierement indirects. La culture polonaise aux XVIe et XVIIe siecles, les cultures austro-hongroise, russe et grecque moderne au XVIIP siecle ont été les intermédiaires non latins d'une latinité jamais oubliée. La langue et la culture roumaines modernes, dans leur quete de l'occident roman, rencontrent, plus tard, l'Italie et la France, découvertes qui ont un impact majeur sur ce qu'on a appelé la relatinisation du roumain.
Le moment ou l'on s'avise que le roumain n'est pas seulement une langue romane, mais aussi le porteur d'une culture romane coincide avec le processus d'« occidentalisation romane de la langue et de la culture roumaine moderne » (Niculescu 1978 : 330). Ce mouvement de relatinisation concerne la remise a l'honneur du latin comme langue de prestige impliquée fortement dans la genese du roumain.
Le phénomene de cette densification latine du roumain connaît un apogée a partir de 1830, quand l'élite intellectuelle roumaine « se jette dans les bras de la France » (Boia 2017 : 303), la « grande sœur latine » de l'Ouest. Le mythe français va exercer son influence sur la société roumaine pour plus d'un siecle et s'est imposé a travers le français comme langue de la culture, remplaçant le grec. La langue roumaine connaît ce qu'on avait appelé (a tort ou a raison) une deuxieme latinisation, car les néologismes d'origine française, massivement adoptés, remplacent une partie du vocabulaire slave.
Nous pensons aussi a la contribution d'un courant culturel illuministe qui, malgré les fantasmes puristes de la langue idéale qui animent certains de ses représentants, a le mérite d'avoir engagé, pour la premiere fois, une réflexion de systématisation et de normalisation dans la langue roumaine. C'est au XVIIIe siecle qu'on assiste a la mise en emphase de la langue et de la culture latine en Transylvanie. Le mouvement illuministe s'impose en meme temps avec la découverte de l'esprit européen occidental, étant stimulé par l'action missionnaire catholique. On fonde des « écoles latines », ou les jeunes apprenaient le latin dans un cadre monacal.
Connu sous le nom d'« Ecole transylvaine » (Şcoala Ardeleană), ce courant a fortement contribué, par ses représentants, a la standardisation de la langue. Ses représentants engagent la question linguistique de la latinité dans la lutte pour l'émancipation nationale. Les droits du peuple roumain étaient légitimés par ses origines latines et par la continuité des Roumains en Dacie. Le latinisme se transforme en arme de combat, devient le plus fort argument en faveur des aspirations et des idéologies nationales. Un véritable plan d'attaque est mis en œuvre. Premierement, la langue roumaine, considérée, a ce moment, comme assez pauvre au niveau du lexique, incapable d'exprimer des contenus scientifiques, doit etre enrichie par des emprunts au « latin correct », mais aussi « aux sœurs de notre langue, l'italien, le français, l'espagnol » (cf. Petru Maior, Istoria besericei românilor, Buda, 1813, apud Rosetti, Cazacu & Onu 1971 : 450). Deuxiemement, cette langue devait obéir aux normes, avoir donc une autonomie structurale. Le concept de norme commence, peu a peu, a prendre contour, a travers le développement de la grammaire et des dictionnaires. On écrit, pour la premiere fois, une grammaire avec des lettres latines, en latin et en roumain (Elementa linguae daco-romanae sive valachicae, de Samuel Micu Clain, parue a Vienne en 1780).
A la différence de l'époque précédente, quand les représentations liées aux rapports du roumain avec le latin passaient par des normes plutôt subjectives, fictives, pendant cette époque on entre dans l'époque des normes prescriptives et communicationnelles. Ainsi, les Roumains devront prendre conscience de leur origine « brillante » et seront convoités a écrire en roumain, afin qu'ils puissent, ensuite, faire connaitre ces textes a tous les Roumains. Evidemment, les normes identitaires sont, elles aussi, a l'œuvre, a travers la construction d'une historicité nécessaire a l'existence d'une communauté linguistique. Et aussi, dans un arriere-plan, mais assez visiblement, on évoque un certain sentiment de culpabilité linguistique, critiquant le désintérét des Roumains pour leurs origines et pour leur langue...
Le prescriptivisme extreme mene aussi a des exagérations, un exemple étant l'adoption d'un systeme orthographique étymologisant, qui a été, partiellement, allégé dans la deuxieme édition de la Grammaire, quand il se rapproche de l'écriture phonétique actuelle. L'abandon du principe étymologique nous fait penser que les érudits transylvains ont assumé avec plus de courages les normes communicationnelles, a travers lesquelles le peuple devrait étre stimulé a apprendre et a parler une langue plus facile a employer.16.
Des exces puristes ne manquent pas a l'époque, tout au contraire. Petru Maior était convaincu qu'on pourrait éliminer les mots slaves du roumain. L'amour pour « la belle langue », fantasme qui se retrouve dans toutes les langues dans un moment ou autre de leur évolution, se concrétise, pour Maior, dans le désir de rendre pure, de « nettoyer » la langue roumaine des éléments étrangers qui, d'ailleurs, dit-il, sont facilement perçus comme étrangers par les locuteurs. Il y a des continuateurs du courant latiniste qui ont réussi a mettre en œuvre cette proposition d'épuration de la langue, tentative qui s'est soldée par un échec, puisque la langue qu'ils avaient créée était artificielle, sans aucune valence expressive (Rosetti, Cazacu & Onu 1971 : 460).
La notion d'« idéal linguistique » avec laquelle opere la théorie de l'imaginaire linguistique, que nous avons essayé d'examiner a travers les rapports entre le latin et le roumain, un de ses héritiers, trouve, dans la pensée de ces représentants transylvains, la meilleure expression. Le fantasme de la langue idéale / idéalisée se trouve ici caractérisé par des tensions entre deux pôles et, corrélativement, entre deux types de normes : prescriptive et communicationnelle, la derniere relevant d'une langue communicante sans prescription, « acceptant les variétés, le plurilinguisme d'une langue, inter- et surtout intra-linguistique [...] sans oublier le multilinguisme des idiomes en co-présence » (Houdebine 2014 : 63)
Il n'est donc pas étonnant qu'on assiste, a travers les differentes époques de l'évolution du roumain, au développement d'une attitude protectrice a l'égard de la langue, et, notamment, de sa genese latine. Ainsi, l'idée que la langue nationale garantit l'identité du peuple roumain et qu'elle doit etre protégée a tout prix devient de plus en plus forte et répandue, comme conséquence de l'émergence d'un imaginaire toujours en mouvement, qui nourrit l'idée de filiation directe avec le latin, le meilleur garant du prestige et de la pérennité.
1 Opinions largement partagées par Anne-Marie Houdebine dans tous ses travaux concernant l'imaginaire linguistique.
2 Notre visée est, dans ce travail, d'observer un corpus de textes fondateurs écrits, de privilégier donc la dimension culte de la langue, puisque, pour la période de référence, les attestations des variantes populaires d'une langue encore naissante sont assez pauvres. On comprendra donc par sujet/locuteur, de façon pragmatique, l'intervention de la voix subjective dans le discours, celle qui assume les évaluations, les jugements, les prescriptions au sujet du latin.
3 Le discours épilinguistique peut se produire aussi « a distance », dans la tentative de normaliser la langue, d'objectiver les lectes d'agir sur les pratiques communicationnelles : « Le discours des linguistes est en effet toujours marqué par la fluctuation intersubjective propre a l'activité épilinguistique » (Canut 2000 : 77).
4 La Lettre de Neacşu, le plus ancien document écrit roumain retrouvé date de 1521, tandis que Le Serment de Strasbourg, par exemple, considéré comme l'acte de naissance de la langue française, date de 842.
5 C'est nous qui traduisons cette citation du roumain, ainsi que les suivantes.
6 Voir, a ce sujet, Iorga (1968). Il ya aussi une discussion concernant l'inscription latine « DECEBALUS PER SCORILO », datée de la fin du Ier siecle, retrouvée a Grădiştea Muncelului, qui prouverait que les Daces employaient le latin. Mais il faut prendre avec précaution ce genre de témoignages, dont l'interprétation reste, de nos jours encore, controversée. Nous les avons mentionnés tout simplement pour suggérer une premiere étape de la construction d'un mythe linguistique (norme fictive).
7 Nous sommes des Roumains / Nous sommes des Romains / Nous sommes les successeurs / Du roi Trajan. (notre traduction, ici et a la suite).
8 Râm est l'ancien nom de Rome en roumain, dérivé du mot slave Римъ Rimū.
9 « Notre langue elle aussi est formée de plusieurs langues et notre parler est mélangé avec celui de nos voisins, si bien que nous descendions de Rome ».
10 On a meme affirmé que l'identité est devenue une vraie hantise pour les Roumains, comme si une circonstance historique et géographique particuliere pouvait garantir, en soi, une origine noble. Imaginaire et invention sont ici en jeu, et certains ont déclaré, d'une maniere un peu trop catégorique, qu'« on pourrait dire que la caractéristique principale des Roumains est l'obsession de leur propre identité » (Boia 2017 : 246).
11 bizantin - definiţie şi paradigmă | dexonline.
12 En 1940, N. Cartojan lance dans son Histoire de la langue roumaine ce syntagme qui connait ensuite une rapide circulation et qui se constitue comme point de référence pour la prise de conscience linguistique des Roumains.
13 Le dernier temps, la question de l'influence slave sur le roumain est réévaluée ; on affirme meme qu'elle a été surévaluée. A voir, par exemple, Paliga, Teodor 2009 : 277: « La simple presence d'un mot en roumain et dans les langues slaves (dans certaines langues slaves et memes dans toutes les langues slaves !) n'est pas forcément un indice que ce mot est emprunté du slave au roumain » [notre traduction]. D'autre part, la notion meme de « slave » est soumise a des controverses. Comme le montre F. Curta (2006), elle revetait, au début, un concept politique byzantin, par lequel on nommait les populations du nord du Danube dont l'influence, avant le IX-eme siecle, a été réduite (p. 346). Cette discussion dépasse, néanmoins, le cadre de l'analyse proposée par cette réflexion.
14 « Que resterait-il de de notre identité apres avoir fini par détruire l'Orient en nous? » [Dar ce-ar rămâne din identitatea noastră după ce am termina de distrus Orientul din noi?] se demande O. Paler, écrivain roumain. (Aventuri solitare. Două jurnale şi un contrajurnal, e-book, Polirom, Iaşi, 2006).
15 Anne-Marie Houdebine a, d'ailleurs, bien pressenti les tensions surgissant des représentations de la dualité slave/latin au niveau de l'imaginaire linguistique roumain dans une conférence donnée en 1997 a Iaşi et reprise ensuite dans Houdebine-Gravaud (1998). La linguiste lance, děs le début, un défi a ses interlocuteurs, donnant apparemment raison a ceux qui affirment que le roumain est une langue slave. Elle savait d'avance que les réactions de rejet auxquelles on pouvait s'attendre de la part d'un public majoritairement roumain seront une bonne illustration de sa these portant sur VIL. Puisqu'il ne faut pas oublier qu'avant tout, l'IL ne peut pas étre expliqué en dehors de la réaction émotionnelle du locuteur lui-méme, des sentiments éprouvés a l'égard de sa langue (p. 10).
16 Par exemple, on adopte la forme populaire de l'indicatif présent du verbe « étre » (a fi), (eu sent, noi sentem, voi senteţi, ei sent), et non la forme latinisante (sunt, suntem, etc.) (Rosetti, Cazacu & Onu 1971 : 454).
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Abstract
Defined later than other Romance languages, the Romanian language was in a position to assert and value its Latin origin in the context in which its formation took place at the intersection of several influences: Romanian, Slavic, Turkish, Greek, etc. The place of Latin cannot be fully established without examining the dynamic relationships between norms, representations, and linguistic ideals. The role of the linguistic imaginary intervenes in this type of research. It acts by combining internal and external factors, objective and subjective, socio-linguistic and political. In this article, we will evoke some reference moments that, in the constitution of the national language and its norms, found in Latin an argument of an identity nature. Certainly, the chosen moments can only be incomplete, but through them we try to reconstruct a dynamic linguistic imaginary, which attests to the subjective relationship of the speakers with their language.
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1 Université « Vasile Alecsandri » de Bacău, Roumanie