Résumé
Dans cet article, nous nous intéresserons a deux difficultés concretes rencontrées dans le domaine de la traduction littéraire. Å partir de la traduction d'« Omphale, Histoire rococo » (1834), nouvelle de Théophile Gautier, et basée sur la traductologie (Mounin, 1955 ; Ladmiral, 1994), ainsi que sur deux travaux portant sur les difficultés de compréhension et/ou de traduction du français en portugais du Brésil (Rónai, 1976a/1976b), cette étude se penchera notamment (a) sur les technolectes et (b) sur les questions socioculturelles et historiques, en signalant plus particulierement leurs spécificités et les étapes nécessaires pour identifier les équivalents les plus adéquats pour ces mots et/ou tournures qui représentent potentiellement des obstacles a la traduction.
Mots-clés : difficultés de compréhension, traduction, technolectes, questions socioculturelles, Gautier (Théophile)
Resumo
Neste artigo, dedicar-nos-emos a duas dificuldades concretas encontradas no dominio da traduçâo literaria. A partir da traduçâo de "Omphale, Histoire rococó" (1834), conto de Théophile Gautier, e baseado na traductologia (Mounin, 1955 ; Ladmiral, 1994), bem como em dois trabalhos sobre as dificuldades de compreensāo e/ou de traduçâo do francés para o portugués brasileiro (Rónai, 1976a/1976b), este estudo debruçar-se-a notadamente sobre (a) os tecnoletos e (b) as questóes socioculturais e históricas, assinalando particularmente suas especificidades e as etapas necessárias para identificar os equivalentes mais adequados a essas palavras e/ou expressóes que representam a priori obstáculos a traduçâo.
Palavras-chave: dificuldades de compreensāo, traduçâo, tecnoletos, questóes socioculturais, Gautier (Théophile)
Abstract
In this paper, we will focus on challenges we faced in the field of literary translation. Founded on the translation of "Omphale, Histoire rococo" (1834), a short story by Théophile Gautier, and based on translation studies (Mounin, 1955; Ladmiral, 1994), as well as on works dedicated to difficulties of comprehension and/or translation from French into Brazilian Portuguese (Rónai, 1976a/1976b), this study will focus on (a) technolects and (b) sociocultural and historical issues, by pointing out their specificities and the steps necessary to identify them and to provide more adequate equivalents for those words and/or turns constituting a priori obstacles for translation.
Keywords: comprehension difficulties, translation, technolects, socio-cultural issues, Gautier (Théophile)
Introduction
Ce travail s'inscrit dans le cadre de deux laboratoires de recherche : As dificuldades de compreensâo e/ou traduçâo do francés para o portugués, dirigé par M. Robert Ponge a l'université fédérale du Rio Grande do Sul (UFRGS), et Literatura fantástica francesa e traduçâo, dirigé par l'auteure de cet article a l'université fédérale de Rio Grande (FURG). Ces deux laboratoires sont consacrés a l'étude des difficultés de compréhension et/ou de traduction du français en portugais du Brésil, étude menée par un examen théorique et une analyse des difficultés concretes identifiées et relevées lors de la pratique traduisante par les chercheurs participant a ces deux équipes (enseignants et/ou traducteurs).
En ce qui concerne plus spécifiquement le laboratoire portant sur la littérature fantastique, le corpus des textes examinés et traduits est composé de nouvelles publiées au XIXe siecle par des écrivains tels que Charles Nodier, Honoré de Balzac, Théophile Gautier ou Auguste Villiers de l'Isle-Adam. Il n'est pas possible ici de rendre compte de l'ensemble des analyses que nous avons réalisées jusqu'a présent et, pour cela, nous nous en tiendrons a l'une des nouvelles que nous avons traduites, « Omphale, Histoire rococo », de Théophile Gautier. Nous y avons recensé un grand éventail d'obstacles potentiels a la transposition de la langue de départ vers la langue d'arrivée et, dans cet article, nous en présenterons deux : (a) les technolectes et (b) les questions socioculturelles et historiques.
Il convient préalablement de préciser que ce travail se veut avant tout une réflexion sur notre pratique traduisante (ses défis et ses démarches), meme si, pour ce faire, nous nous appuyons sur des concepts de la théorie de la traduction. Dans cette perspective, nous faisons appel a la conception de traductologie de Jean-René Ladmiral, qui préconise que cette science « ne peut se contenter d'appliquer la théorie linguistique ; il lui faut gérer une pratique, au jour le jour ; [la traductologie] est une praxéologie » (1994 : 162). C'est cet aspect praxéologique que nous chercherons principalement a faire émerger dans cet exposé. Nous signalerons également que notre but, dans la recherche des équivalents les plus adéquats, se base sur l'un des principes que Georges Mounin a traités dans Les Belles Infideles (dont la premiere édition date de 1955), a savoir l'importance de fournir une traduction ou « ses adjectifs, ses noms propres et ses noms techniques, ses noms de lieux n'ont qu'une couleur, et la meme couleur » (2016 : 101). Il s'agit de l'unité esthétique que Mounin reconnaît plus particulierement dans les traductions réalisées par Leconte de l'Isle, mais qu'il prône, d'une certaine façon, tout au long des Belles Infideles.
« Omphale, Histoire rococo » et les défis pour traduire le XIXе siėcle
Parue en 1834, « Omphale, Histoire rococo » (dorénavant « Omphale ») est une nouvelle racontant une singuliere histoire d'amour entre son protagoniste, un garçon de dix-sept ans installé chez son oncle, et une dame sortie comme par l'effet de forces surnaturelles d'une tapisserie murale : il s'agit de la marquise de T···, représentée sous les traits d'Omphale, reine légendaire de Lydie. La rencontre inattendue avec cette charmante revenante ne bouleverse l'adolescent qu'au premier abord et, apres l'avoir charmé, l'expérimentée marquise lui rend visite toutes les nuits en quittant sa tapisserie. Cette liaison dure jusqu'a ce que le chevalier de ···, l'oncle de notre protagoniste, fasse décrocher la tapisserie de la chambre de son neveu et renvoie celui-ci chez ses parents.
L'action se déroule dans une maison de style rococo, minutieusement dépeinte par le narrateur-protagoniste. C'est ce cadre spatial d'autrefois qui fait rever le jeune homme et qui le plonge dans un épisode assez durable et assez troublant qui le fait douter : l'a-t-il vécu ou bien l'a-t-il revé ?
Ce cadre spatial est également une source de difficultés de compréhension et/ou de traduction et il faut absolument en tenir compte étant donné l'importance que Gautier lui a attribuée en consacrant environ le quart de sa nouvelle a une description objective, voire plastique. Du jardin de la maison a la chambre du protagoniste, il est possible d'identifier une gamme d'espaces et d'objets précisément décrits par des termes relevant de la botanique, de l'architecture, des arts décoratifs et de la mode. Cette observation préalable nous permet de rappeler que, outre les obstacles que pose habituellement la traduction littéraire, les problemes engendres par la traduction technique peuvent, de meme, participer aux préoccupations du traducteur confronté a des écrits littéraires.
La traduction de termes techniques atteint un niveau élevé de complexité lorsqu'elle a comme objet des termes et des tournures appartenant a un contexte socioculturel éloigné de celui de la réception de l'ouvrage traduit, notamment en raison d'un décalage historique. Dans de telles circonstances, pour parvenir a une traduction réussie, il convient de mobiliser différentes compétences et de vastes connaissances qui vont bien au-dela de celles de nature strictement linguistique, parmi lesquelles les présuppositions culturelles de la langue de départ comme de la langue d'arrivée, ainsi que les conditions de production du texte original (Ladmiral, 1994 : 148 et passim). Dans ce sens, ne pas etre pleinement au fait des données socioculturelles et historiques présentes dans le texte-source peut occasionner un appauvrissement du texte-cible, raison pour laquelle les questions socioculturelles, dans leurs différentes manifestations, représentent peut-etre la plus grande des difficultés de traduction.
Dans cet article, lorsque nous traitons les technolectes et les questions socioculturelles séparément, nous le faisons, en premier lieu, pour des raisons pragmatiques et, en second lieu, parce que ces deux types de difficultés ne sont pas forcément associés, meme si, dans le domaine d'une traduction historiquement décalée par rapport a l'original, l'une peut découler de l'autre, comme nous l'avons signalé précédemment et comme nous le démontrerons. De plus, conclure que traduire le XIXe siecle constitue un défi n'implique pas que les considérations dégagées au long de ce travail ne puissent pas etre transférables a la traduction d'autres époques : plus nous serons historiquement éloignés du contexte de parution du texte-source, plus importantes seront les ressources dont nous aurons besoin pour surmonter les obstacles rencontrés pendant le processus traduisant.
Les technolectes
Les technolectes peuvent etre définis comme « l'ensemble des termes spécifiques d'une technique » (Dubois et al, 2007 : 477). Le Trésor de la langue française (dorénavant TLFi), définit succinctement le technolecte comme un « vocabulaire technique ». Nous considérons comme synonymes de « technolecte » les termes de « vocabulaire spécialisé » et « vocabulaire technique ». Une fois établie la définition de technolecte, il convient de l'exemplifier pour montrer dans quelle mesure cette catégorie de mots peut occasionner des difficultés de compréhension et/ou de traduction dans le champ de la traduction littéraire, et plus précisément lorsqu'un laps de temps assez important la sépare de son original.
Dans « Omphale », nouvelle datant du début du XIXе, traduire les technolectes s'est avéré une tâche laborieuse. Les événements narrés se déroulent dans les années 30 et 40 du XIXe siecle, et pourtant « il est évoqué dans le récit, d'une façon subliminaire, un temps encore plus distant dont les éléments distinctifs tiennent dans l'architecture et dans les objets de style rococo ornant la chambre ou le protagoniste s'est installé » (Silva, 2017 : 117). Ce style architectural et décoratif remonte au XVIIIe siecle, comme le révele le narrateur-protagoniste lorsqu'il décrit la maison ou il a vécu pendant quelques mois de sa jeunesse :
une espece de gros pot á feu avec des effluves rayonnantes formait la decoration de l'entrée principale; car, au temps de Louis XV, temps de la construction des Délices, il y avait toujours, par précaution, deux entrées [...] L'intérieur n'en était pas moins rococo que l'extérieur, quoiqu'un peu mieux conservé. Le lit était de lampas jaune á grandes fleurs blanches. Une pendule de rocaille posait sur un piédouche incrusté de nacre et d'ivoire [...] L'ameublement, comme on voit, n'était pas des plus modernes. Rien n'empēchait que l'on ne se crÛt au temps de la Régence, et la tapisserie mythologique qui tendait les murs complétait l'illusion on ne peut mieux[...] Le dessin était tourmenté a la façon de Van Loo et dans le style le plus Pompadour qu'il soit possible d'imaginer. (Gautier, 2007 : 67-70, c'est nous qui soulignons).
Dans cet extrait, nous pouvons dégager des termes et des expressions appartenant aux technolectes de l'architecture, de la décoration et des arts se rapportant au style de la maison dépeinte (rococo, rocaille, temps de la Régence, dessin a la façon Van Loo, style Pompadour). Dans la mesure ou nous ne sommes pas spécialiste dans ces domaines, il nous a fallu procéder a des recherches dans le dessein de comprendre les spécificités de ce style en vogue sous Louis XV (1710-1774) pour les transposer de la façon la plus adéquate possible dans notre traduction. Pour illustrer les deux grandes étapes de la recherche d'un équivalent en langue cible, a savoir la compréhension puis la traduction, prenons l'exemple de « rocaille », parmi les termes techniques relevés plus haut.
Dans le cadre de l'étape de la compréhension, nous avons consulté l'article « rocaille » dans trois dictionnaires de référence de la langue française (DAF, Robert et TLFi), ainsi que dans le Dictionnaire des arts décoratifs de Paul Rouaix. Listons ci-dessous les définitions que nous y avons rencontrées :
Comme on peut le constater dans les sources analysées, il existe un consensus a propos de la définition de « rocaille ». Nous en offrons done une synthese : « rocaille est un style décoratif en vogue sous Louis XV, caractérisé par la representation d'éléments de la nature (coquillages, roches, etc.) ».
Apres avoir délimité la signification de « rocaille », nous sommes passée a l'étape de la traduction. Pour ce faire, nous avons examiné ce que proposent comme équivalents de ce terme quatre dictionnaires bilingues français-portugais (nous en présentons deux de portugais européen, marqués d'un astérisque, et deux de portugais du Brésil) :
Pour ce qui est des équivalents de « rocaille » exposés dans le tableau ci-dessus, considérons trois aspects :
I. en accord avec les définitions présentées dans les sources monolingues, nous avons trois dictionnaires bilingues sur quatre qui évoquent des coquillages (conchas) et des roches (pedras). Toutefois, ces solutions ne se rapportent pas nécessairement a l'acception de « rocaille » sur laquelle nous nous penchons, c'est-a-dire celle liée au style architectural en vogue sous Louis XV ;
II. Porto comme Rónai off rent estilo rococó comme équivalent de « style rocaille ». Il ne s'agit pourtant pas d'une solution adéquate parce que, comme le signale le Dictionnaire des arts décoratifs, la rocaille est un motif ornemental du style rococo. Le TLFi, de son côté, définit le rococo comme « voisin du style rocaille, et caractérisé par une ornementation surchargée, ahondante en volutes, guirlandes, etc. ». Autrement dit, la rocaille a des caractéristiques particulieres et constitue un genre a part, meme si elle est engendrée par le rococo ; dans ce sens, nous ne pouvons pas les traiter comme des synonymes. Ce constat nous rappelle par ailleurs que le manque de précision de certains dictionnaires bilingues peut conduire le traducteur inexpérimenté a de mauvais choix ;
III.Larousse est la seule source bilingue offrant l'équivalent rocalha et, comme ce dictionnaire a les Brésiliens comme public cible, il nous engage dans une sous-étape consistant a consulter ce terme dans trois dictionnaires de référence de la langue portugaise du Brésil :
L'examen d'Aurélio, de Caldas Aulete et d'Houaiss démontre que la définition de rocalha présentée dans ces dictionnaires est pleinement en accord avec celle repérée dans les dictionnaires français analysés ; pour cette raison, nous avons finalement retenu rocalha au détriment de rococó. Une fois identifié un équivalent pour « rocaille », nous avons opté, de surcroît, pour expliquer dans notre traduction ce que signifie rocalha par le moyen d'une note de bas de page :
Nous avons recouru a une note explicative parce que nous comprenons que le sens de « rocaille » / rocalha accorde une valeur esthétique importante a la description offerte par le narrateur-protagoniste, étant donné que ce style décoratif est caractérisé par l'exubérance et par la fantaisie, ce qui est en accord avec l'univers littéraire fantastique auquel « Omphale » appartient, mais aussi dans la mesure ou, s'agissant d'un technolecte, il n'est aucunement connu de la majorité des lecteurs brésiliens.
Les questions socioculturelles et historiques
Dans le domaine de la traduction et de ses difficultés, les questions socioculturelles recouvrent, du mot a la phrase, un ensemble tres diversifié de phénomenes linguistiques : les anthroponymes (noms de personnes), les toponymes (noms de lieux), les connotations des mots appartenant a des cultures différentes, les locutions idiomatiques - types de difficultés répertoriés par Paulo Rónai dans « As armadilhas da traduçao » (1976a : 28 et passim) - n'en fournissent que quelques exemples. Le contexte historique joue également un rôle déterminant, car il integre l'ensemble de ces différents phénomenes, comme nous l'avons constaté au sujet des technolectes.
Toujours a propos de la description de l'espace fictionnel telle qu'elle est faite par Gautier dans « Omphale », nous avons été confrontée a une autre difficulté dans le champ de la compréhension, puis dans celui de la traduction. Il s'agit d'un terme relevant d'un contexte socioculturel et historique spécifique, remarqué dans un extrait ou le narrateur dépeint Omphale, sa maitresse séduisante, sur la tapisserie : « sa bouche se plissait et faisait une délicieuse petite moue ; sa narine était légerement gonflée, ses joues un peu allumées; un assassin, savamment placé, en rehaussait l'éclat d'une façon merveilleuse » (Gautier, 2007 : 70, c'est l'auteur qui souligne).
La traduction du terme « assassin », mis en relief par l'auteur, a posé probleme. Concernant la compréhension de celui-ci, nous avons certes écarté des le début des acceptions tournant autour du champ sémantique de « crime ». Le contexte a permis de comprendre a peu pres ce que pourrait etre un « assassin [savamment placé sur le visage] », mais il fallait néanmoins réaliser des recherches lexico-sémantiques pour s'en assurer. Pour ce faire, nous avons consulté le DAF, le Robert et le TLFi :
A partir du collationnement exposé ci-dessus, nous synthétisons la definition suivante : « assassin est une mouche noire, imitant le grain de beauté, que les femmes plaçaient autrefois au-dessous de l'œil ».
Concernant cette curieuse acception d'« assassin », il est interessant de remarquer que, dans le DAF, nous ne l'avons rencontrée que dans sa 6e edition (1835). Nous signalons que, dans sa 8e édition (1935), nous avons repéré « mouche assassine » dans l'article « mouche » (il n'y a pourtant pas de renvoi a « mouche » dans l'article « assassin », ce dernier n'exploitant pas le sens auquel nous nous consacrons). Dans sa 7e édition (1878) et dans sa 9e édition (actuelle/en cours d'achevement), il n'existe aucune référence a « mouche assassine » ni a « assassin » dans le sens auquel nous nous intéressons.
Le Robert nous en propose une définition claire et concise et le TLFi, de son côté, ne présente pas de définition d'« assassin » dans le sens de « mouche assassine », mais il la mentionne et y renvoie a l'article « mouche » ou nous trouvons une explication plus détaillée que celles du DAF et du Robert. Il est important d'expliciter que, dans l'article « mouche » du TLFi, on ne repere la référence au terme « assassine » que dans l'un des exemples fournis :
C'est au XVIе siécle que vint d'Italie la mode de colier sur le visage de petits morceaux d'étoffe noire, taffetas ou velours, pour rehausser l'éclat du teint et que l'on nomma mouches par leur ressemblance avec l'insecte [...] Les grandes s'appelaient enseigne du mal de dent. Les petites mouches s'appelaient des assassines. Sous Louis XIV, certains élégants portérent des mouches comme les femmes. (Leloir, 1961 apud TLFi, c'est nous qui soulignons).
L'exemple apporté par le TLFi, pris du Dictionnaire du costume de Maurice Leloir, est éclairant et nous aide a mieux saisir la signification du terme « assassin », ainsi qu'a le situer socioculturellement et historiquement, ce qui corrobore notre hypothese préalable que ce terme appartient a un contexte tres particulier. Notons également que le manque d'homogénéité de traitement des termes « assassin » et « mouche assassine » dans les dictionnaires français a rendu notre recherche moins aisée que nous l'avions supposée au début de nos démarches, d'ou notre difficulté a les comprendre totalement des le premier abord. L'étape de la comprehension résolue, passons a celle de la traduction.
Grâce aux connaissances acquises dans l'étape précédente, nous nous sommes rendu compte que la quete d'un équivalent dans les dictionnaires bilingues devrait tenir compte des articles « assassin » et « mouche » et c'est ainsi que nous avons donc procédé :
Comme on peut l'observer, aucun des dictionnaires bilingues consultés n'a présenté de traduction pour l'acception du terme auquel nous nous appliquons dans l'article « assassin » proprement dit. En ce qui concerne l'article « mouche », seuls les dictionnaires de portugais du Portugal en ont offert des équivalents (pinta, malha, sinal).
Malgré l'absence d'un équivalent pour notre acception d'« assassin » dans la plupart des dictionnaires bilingues, fait dÛ probablement a son caractere daté, nous avons réussi a traduire ce terme apres avoir réalisé des recherches lexicosémantiques. Ce qui en ressort est qu'« assassin », dans l'acception présentée dans « Omphale », est plus une difficulté de compréhension qu'une difficulté de traduction et, une fois sa signification comprise, nous avons pu identifier un mot adéquat pour le transposer en portugais : pinta.
Bien que nous ayons abouti a un résultat a priori acceptable, il nous semblait que nous commettrions une sous-traduction, c'est-a-dire que nous donnerions une solution in fine peu satisfaisante en éliminant, par le biais du choix de pinta, une valeur existant dans le terme « assassin », probablement issue de l'une de ses acceptions au sens figuré signifiant « [ce] qui trouble, qui excite les sens » (TLFi). Pour compenser cette perte sémantique, nous avons ajouté l'adjectif qualificatif fatal (en fr., « fatale ») a pinta et nous les avons mis en italique dans notre traduction, en accord avec ce qu'a fait Gautier dans le texte-source :
L'utilisation de l'un des termes proposes dans les dictionnaires bilingues, pinta, suivi d'un adjectif qualificatif, fatal, pour éviter une sous-traduction semble une solution opportune, puisqu'en portugais du Brésil des tournures comme mulher fatal (en fr., « femme fatale ») et olhar fatal (en fr., « regard fatal »), associées a la seduction, sont attestées et usuelles. L'adjectif qualificatif portugais assassina (en fr., « assassine »), en revanche, n'y serait pas une solution possible, différemment du syntagme français la « mouche assassine ».
En guise de conclusion
Dans cet article, nous nous sommes penchée sur deux types de difficultés de compréhension et/ou de traduction du français en portugais du Brésil : (a) les technolectes et (b) les questions socioculturelles et historiques. Dans ce dessein, nous avons essayé, d'une part, de les caractériser brievement pour déterminer dans quelle mesure ils peuvent faire obstacle au processus traduisant et nous avons pris, d'autre part, un exemple concret de chacun de ces types de difficultés - « rocaille » et « assassin » - dans le but d'exposer les deux grandes étapes de la transposition de la langue source (le français) vers la langue cible (le portugais du Brésil) : I - la compréhension et II - la traduction a proprement parler.
Pour ce qui est de la compréhension, nous avons observé que les technolectes, catégorie lexicale qui n'est pas absente de la littérature, ainsi que les questions socioculturelles et historiques, peuvent se révéler incompréhensibles si le traducteur n'en est pas spécialiste et/ou s'il ne procede pas a des recherches lexico-sémantiques avancées. L'examen détaillé des dictionnaires généraux de la langue française, ainsi que des dictionnaires spécialisés nous a prouvé que saisir la signification adéquate d'un terme n'est presque jamais simple, d'ou la nécessité d'attacher de l'importance a l'analyse de différentes sources.
Pour ce qui est de la traduction, nous avons constaté encore une fois qu'il faut toujours manier les dictionnaires bilingues avec prudence, a cause de leur manque de consensus par rapport aux équivalents de certains termes et, plus encore, de leur manque de précision, ce qui peut engendrer des erreurs ou des contresens dans le texte-cible. L'étape de la comprehension est, dans ce sens, la plus importante, car elle nous permet de confirmer ou d'infirmer nos hypotheses préalables et de pouvoir juger de l'efficacité des sources bilingues (notamment des dictionnaires non specialises). Quant au processus traduisant, nous avons également noté qu'il est parfois nécessaire de faire usage de stratégies compensatoires pour aboutir a un résultat plus satisfaisant.
Pour conclure, meme si nous avons traité ces deux exemples concrets, « rocaille » et « assassin », dans des rubriques différentes, nous avons pu démontrer qu'ils sont associés dans la mesure ou, en raison d'un décalage historique entre le texte-source et sa traduction, l'une des difficultés découle de l'autre. L'une des conclusions les plus importantes est par voie de conséquence que traduire ce qui releve de la culture et de l'histoire (soit un terme technique ou un mot du vocabulaire courant) peut s'avérer une tâche épineuse et qui nécessite un travail qui ne peut s'en tenir a une approche superficielle des termes a traduire.
Gabriela Jardim da Silva, titulaire d'un doctorat en littérature française par l'université fédérale du Rio Grande do Sul (UFRGS)- Porto Alegre, RS, Brésil, est enseignante-chercheuse a l'université fédérale de Rio Grande (FURG)- Rio Grande, RS, Brésil. Spécialiste en littérature fantastique et en traduction littéraire, elle s'intéresse également a la didactique du français langue étrangere (FLE). Actuellement, elle dirige le laboratoire de recherche intitulé « Literatura fantástica francesa e traduçao » et sa production bibliographique porte notamment sur les difficultés de compréhension et/ou traduction du français en portugais du Brésil, que ce soit dans le contexte littéraire ou dans le domaine du FLE.
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Abstract
Dans cet article, nous nous intéresserons a deux difficultés concretes rencontrées dans le domaine de la traduction littéraire. Å partir de la traduction d'« Omphale, Histoire rococo » (1834), nouvelle de Théophile Gautier, et basée sur la traductologie (Mounin, 1955 ; Ladmiral, 1994), ainsi que sur deux travaux portant sur les difficultés de compréhension et/ou de traduction du français en portugais du Brésil (Rónai, 1976a/1976b), cette étude se penchera notamment (a) sur les technolectes et (b) sur les questions socioculturelles et historiques, en signalant plus particulierement leurs spécificités et les étapes nécessaires pour identifier les équivalents les plus adéquats pour ces mots et/ou tournures qui représentent potentiellement des obstacles a la traduction.