*** Autour de la retraduction. Perspectives littéraires européennes, sous la direction d'Enrico Monti et Peter Schneyder, Orizons, 2011, 478 p., ISBN 978-2-296-08811-5*.
Cet ample ouvrage collectif portant sur la retraduction et les nouvelles perspectives littéraires européennes réunit les meilleures contributions du Colloque international et pluridisciplinaire organisé par l'Institut de Recherche en langues et littératures européennes à l'Université de Haute-Alsace, du 2 au 5 décembre 2009. La retraduction, phénomène de plus en plus présent dans la littérature contemporaine, est abordée dans ce volume dans une perspective théorique et pratique à la fois, afin d'offrir une image exhaustive de ses enjeux au XXe et XXIe siècle. Les coordinateurs du recueil mettent le vaste mouvement de la retraduction en relation avec le projet d'une «Bibliothèque idéale », réunissant des contributions où sont analysées les modalités de cette pratique répandue dans la littérature contemporaine et dont le rôle est de former les canons littéraires : la retraduction.
Avec un avant-propos signé par Enrico Monti et Peter Schneyder et une introduction où le premier constate la précarité d'études complexes recouvrant toute la problématique de la retraduction, le volume compte vingt-six contributions qui recouvrent une aire littéraire vaste et portent sur des auteurs et oeuvres très divers. À cela s'ajoute une bibliographie qui constitue un important outil de travail pour le chercheur en traductologie ou en littérature comparée et ouvre la voie vers de nouvelles recherches.
La remarquable introduction d'Enrico Monti synthétise dans seulement quelques pages la problématique engendrée par la retraduction, à partir de la définition du domaine de recherche, en passant par les motivations de la publication du volume, par des réflexions concernant l'âge d'une traduction et jusqu'à la visibilité de la retraduction dans cette série ouverte entraînée par les retraductions successives. Enrico Monti insiste notamment sur l'objectif fixé par la publication de ce volume, soit l'élargissement du débat scientifique par les cinq sections autour desquelles sont regroupées les contributions : « Théorie et histoire de la retraduction », « Retraducteurs à l'oeuvre », « Roman et nouvelle », « Poésie et théâtre », « Enjeux sociologiques ». Nous pouvons estimer que cet objectif est atteint par les auteurs des articles, qui, tout en observant la (re)traduction d'ongles différents, contribuent à une image complexe de ce phénomène.
Dans la première section, les réputés traductologues Jean-René Ladmiral et Yves Gambier reprennent et approfondissent le débat théorique sur la retraduction, leurs études étant suivies par une réflexion historique sur le rapport entre écriture, traduction et retraduction, appartenant à l'helléniste André Hurst. Jean-René Ladmiral esquisse les enjeux terminologiques et conceptuels liés à une définition de la retraduction avec des renvois au nouveau domaine de recherches qu'est l'histoire des traductions, tout en analysant les raisons qui engendrent une nouvelle (re)traduction. Ce dernier aspect est lié, comme le montre l'auteur, à la relativité supposée par la notion de « vieillissement », par rapport à laquelle Ladmiral manifeste une certaine réticence que nous partageons : ce n'est pas la traduction qui a « vieilli », ce n'est même pas la langue, mais ce sont nos usages linguistiques qui se sont éloignés et qui font que le texte nous paraît suranné. Qu'en est-il des « grandes traductions » qui ne vieillissent pas? Quand apparaît le besoin de retraduire ? Ce sont des questions auxquelles l'auteur formule des réponses pertinentes et inédites, dont nous retenons l'idée que la retraduction ne relève pas toujours d'un « travail du négatif », mais le désir de retraduire peut surgir également en vertu d'une identification positive aux traducteurs précédents.
Yves Gambier analyse le phénomène du point de vue des variables sociologiques et textuelles qui entraînent le besoin d'une réactualisation. La question autour de laquelle Gambier construit son intervention est « Une retraduction est-elle une nouvelle traduction ? » (p. 52), soulignant ainsi le degré d'ambiguïté qui caractérise chaque initiative de retraduction. Retour à l'original, traduction d'une autre traduction faite en une langue différente, traduction dans une même langue d'un même texte de départ, version révisée d'une traduction déjà existante, ce sont autant d'acceptions comportées par la retraduction et qui sont reprises par l'auteur de l'article. Gambier conclut sur les raisons qui entraînent une retraduction : le statut du texte original, les erreurs lexicales, sémantiques, syntaxiques, la demande d'un éditeur, la curiosité d'un nouveau lectorat, voire l'évolution des langues. Nous retenons dans son étude la volonté de répertorier les théories et terminologies proposées par des auteurs tels Anthony Pym, Antoine Berman, voire la théoricienne roumaine Irina Mavrodin.
L'initiative d'André Hurst s'inscrit dans une réflexion sur la confrontation des langues et lettres anciennes au monde moderne, par la traduction. Pour l'auteur, il y aurait un double geste de traduction : d'une part, la mise par écrit de la tradition orale, d'autre part, la traduction proprement dite. L'étude d'André Hurst, qui traite moins de la retraduction et plus de la lecture comme « traduction » en fonction du moment où elle est faite, est cependant une remarquable étude historique portant sur la traduction.
La section qui attire le plus l'intérêt du lecteur avisé est la deuxième, où quatre retraducteurs provenant d'espaces culturels différents réfléchissent sur les enjeux de leur travail, ainsi que sur les rapports avec les traductions précédentes. Ainsi, Véronique Béghain met en évidence l'apport d'une retraduction contemporaine du roman Villette de Charlotte Brontë, qui s'inscrit, d'après la traductrice, dans le renouveau critique dont fait objet l'oeuvre de l'écrivaine britannique. Dans la contribution de Véronique Béghain, qui devient un argumentaire plaidant en faveur de la retraduction, l'auteure met notamment en discussion le problème de la traduction des références culturelles, le plurilinguisme et la polyphonie du texte, ou le binarisme lexical.
Dans « Les errances d'Ulysse, ou Ulysses Astray », Bernard Hoepffner s'interroge sur les raisons d'une retraduction en français du roman de Joyce en 2004, soixante-quinze ans après la première traduction. Mais le débat s'ouvre sur les arguments de la retraduction des classiques en général, et surtout sur les enjeux de l'entreprise d'une traduction collective. Bernard Hoepffner, un des neuf traducteurs qui ont travaillé à la retraduction d'Ulysse, considère que par la retraduction le texte acquiert une existence de plus en plus forte. Dans le cas du roman de Joyce, Hoepffner conclut sur un élément central autour duquel a été organisée la retraduction : l'oralité qui caractérise cet ouvrage.
Ida Porfido aborde un cas particulier de retraduction : la (re)traduction de Flaubert en italien. L'auteur compare deux versions d'Un coeur simple, dont la dernière appartient à l'écrivaine, Lalla Romano, initiative qui s'inscrit dans un projet éditorial d'écrivains traduits par des écrivains. Les conclusions qu'Ida Porfido, elle-même traductrice de Flaubert, tire après une analyse rigoureuse, montrent que la retraduction signée par l'écrivaine adhère davantage au texte de départ. Chiara Montini illustre dans sa contribution un de ces cas où la retraduction n'est pas désirable, mais elle devient nécessaire, étant donné que les premières traductions ont été peu attentives à la poétique de l'auteur. C'est le cas exemplaire de la traduction en italien de l'oeuvre de Samuel Becket, qui a demandé une retraduction plus ouverte et plus respectueuse, dans le sens bermanien, éthiquement et esthétiquement. Ainsi, la retraduction devient, comme le montre admirablement l'auteure dans les conclusions, une façon de militer contre des préjugés culturels et politiques qui déterminent des critères dépassées ou figés.
Quatre des genres littéraires les plus importants occupent un espace assez équilibré dans le recueil. Ainsi, le roman, la nouvelle, la poésie et le théâtre font chacun le sujet d'analyse de la partie centrale du volume, où sont réunies quinze contributions qui croisent différentes langues et cultures d'Europe. Dans un premier temps, nous retrouvons des études de cas de retraductions de contes (le cas de la retraduction de Cendrillon en anglais, illustré par Martine Hennard Dutheil de la Rochelle), d'auteurs tels Marcel Proust ou Marguerite Duras, (re)traduits en polonais (Joanna Górnikiewicz et Joanna Jakubowska-Cichon), les traductions françaises du roman espagnol de Miguel Delibes (Felipe Aparicio Nevado), ou de l'écrivain italien Dino Buzatti (Cristina Vignali-De Poli). La traduction d'une retraduction (Tania Collani), la traduction de textes « féministes » (Rotraud Von Kulessa), ou la traduction intemporelle (Françoise Wuilmart) complètent un ample tableau de la retraduction de la prose.
Globalement, les analyses fournies par les auteurs cités plus haut retrouvent les lignes générales proposées par les premiers théoriciens de la retraduction, dont Paul Bensimon et Antoine Berman semblent être les plus cités. La démarche suivie par la plupart des auteurs est l'analyse comparative des traductions, qui entraîne des conclusions différentes, en fonction de la nature du texte et des raisons qui ont demandé la traduction. Si Martine Hennard Dutheil de la Rochelle montre que par la retraduction en anglais du conte de Perrault, l'oeuvre de l'auteur devient plus orientée vers le public jeune, réactualisant ainsi le conte et sa morale, la contribution de Joanna Górnikiewicz met en évidence le rôle du (re)traducteur en tant qu'auteur.
Dans les contributions est également signalé l'échec de différentes traductions qui circulent à présent, aspect qui réitère le besoin d'une retraduction. Tel est le cas des deux traductions en polonais du roman L'Amant de Marguerite Duras, montré par Joanna Jakubowska-Cichon. C'est autour du même problème que se construit la contribution de Felipe Aparicio Nevado, qui porte sur les traductions françaises du roman El Camino, ou la contribution de Cristina Vignali-De Poli, qui, après une analyse comparative des traductions et retraductions des écrits de Dino Buzzati, attire l'attention sur le besoin de retraduire pour réapprendre à lire cet auteur. La retraduction en tant que relecture est associée par Françoise Wuilmart (« Traduction et prise de sens... Effi Briest aux mains de trois générations ») au problème du vieillissement d'une traduction.
Dans la section suivante du recueil sont analysés les enjeux de la (re)traduction de la poésie et du théâtre. Le défi de (re)traduire le poète autrichien Georg Trakel en français offre à Peter Schneyder la possibilité d'observer que traduire la poésie équivaut à l'interpréter. Les différentes traductions des poèmes baudelairiens en polonais représentent pour Jerzy Brzozowski (« Cette Passante qui revient toujours : les joies et les chagrins de l'anthologiste ») autant d'expériences créatives, d'autant plus que l'auteur de la contribution observe un aspect qui échappe souvent aux chercheurs : la dialectique créée entre la (re)traduction et les tendances dominantes de la poésie contemporaine. L'abondance des (re)traductions représente un continuel chemin vers l'accomplissement. C'est l'idée bermanienne reprise par Franca Buera dans sa contribution portant sur les nombreuses traductions des poèmes d'Apollinaire en italien. La faillite d'une traduction est un thème abordé par Fabio Regattin dans son étude portant sur les trois traductions de Cyrano de Bergerac en italien.
Étant donné que dans le cas des poèmes la meilleure traduction semble être celle donnée par le poète lui-même, Peter André Bloch illustre le cas du poète alsacien André Weckmann, qui traduit ses propres poésies en français et en allemand. De nombreux aspects intéressants sont soulevés par l'auteur de cet article : les langues vernaculaires, le trilinguisme, l'autotraduction, etc.
Une seule étude de cette section aborde la (re)traduction du genre théâtral, avec une analyse de la double traduction/ adaptation : « Ubu roi en polonais : traduction, adaptation et retraduction ». Justyna Lukaszewicz étudie avec finesse l'évolution de l'approche sur la pièce de Jary, avec des renvois aux références polonaises et aux particularités de cette pièce : l'absurde, la parodie, l'humour. Dans le cas du théâtre, traduction et adaptation s'entrelacent souvent, engendrant des procédés divers, en fonction du public auquel est destinée la pièce : le public lecteur ou le public spectateur.
Enfin, les enjeux sociologiques du phénomène complexe qu'est la retraduction sont considérés par des auteurs provenant de trois espaces socio-culturels : la Pologne et la France (« Les littératures peu revisitées : le cas de la littérature polonaise », « Le Petit Prince et ses douze (re)traductions polonaises ») et l'Espagne et la France (« La retraduction active du Don Quijote en France au XXème siècle »). Même si les problèmes sur lesquels se penchent les auteurs de cette section, notamment les traductions canoniques en tant que piège à une nouvelle traduction, sont très bien illustrés, nous remarquons le fait que l'aire socio-culturelle n'est pas assez recouverte et il aurait été intéressant d'observer tous ces aspects également dans d'autres espaces géographiques.
Ce stimulant et complet ouvrage paru en 2011 résume et complète les études parues ces dernières années concernant un phénomène de plus en plus fréquent et analysé : la retraduction en tant que moteur d'une littérature et en tant que point crucial d'une problématique plus vaste de la littérature européenne. Les études de cet ouvrage, notamment celles de Jean-René Ladmiral et d'Yves Gambier, renvoient à un changement de point de vue sur la retraduction, ce phénomène toujours ambigu « dans sa teneur, dans sa visée, dans ses ambitions » (Yves Gambier, « La retraduction : ambiguïtés et défis », p. 52). À la fin de l'ouvrage le lecteur trouvera un choix critique des contributions importantes sur la retraduction publiées jusqu'au moment de la parution de l'ouvrage. Sans prétention d'exhaustivité, cette bibliographie élaborée par Enrico Monti répertorie les essais parus dans les revues scientifiques ou les volumes consacrés à cette thématique, proposant un état des études sur la retraduction pour les chercheurs en traductologie et en littérature comparée.
Contribution publiée dans le cadre du programme CNCSIS PN-II-IDEI-PCE-2011-3-0812 (Projet de recherche exploratoire), Traduction culturelle et littérature/ littératures francophones: histoire, réception et critique des traductions, Contrat no. 133/2011.
Anca-Andreea Chetrariu
Université « §tefan cel Mare », Suceava
Roumanie
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Copyright "A. Philippide" Institute of Romanian Philology, "A. Philippide" Cultural Association 2012
Abstract
La retraduction, phénomène de plus en plus présent dans la littérature contemporaine, est abordée dans ce volume dans une perspective théorique et pratique à la fois, afin d'offrir une image exhaustive de ses enjeux au XXe et XXIe siècle. C'est autour du même problème que se construit la contribution de Felipe Aparicio Nevado, qui porte sur les traductions françaises du roman El Camino, ou la contribution de Cristina Vignali-De Poli, qui, après une analyse comparative des traductions et retraductions des écrits de Dino Buzzati, attire l'attention sur le besoin de retraduire pour réapprendre à lire cet auteur. Même si les problèmes sur lesquels se penchent les auteurs de cette section, notamment les traductions canoniques en tant que piège à une nouvelle traduction, sont très bien illustrés, nous remarquons le fait que l'aire socio-culturelle n'est pas assez recouverte et il aurait été intéressant d'observer tous ces aspects également dans d'autres espaces géographiques. Contribution publiée dans le cadre du programme CNCSIS PN-II-IDEI-PCE-2011-3-0812 (Projet de recherche exploratoire), Traduction culturelle et littérature/ littératures francophones: histoire, réception et critique des traductions, Contrat no. 133/2011.
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