Abstract: This study is devoted to the question of the articulation of narrative and explanatory sequences in the history of the French language (from old French to pre-classical French). We consider that there is an intermediate level of structure between the sentence and the text, i.e. the level of macropropositions which in turn form sequences, and will accordingly analyse how these two sequential patterns function from a diachronic perspective. We will examine the interaction between the propositional (microstructure) and macrostructural levels and touch upon the concept of genre as well as the typology of the sequences in question. A diachronic perspective enables us to demonstrate how the styles of sequence articulation, the thematic progression and the textual structures evolve depending on the type of discourse they form part of.
Key words: diachrony, sequence, narration, explanation, microstructure, macrostructure, thematic progression.
1. Introduction
Nous nous proposons d'étudier les mécanismes d'articulation des séquences textuelles dans différents univers textuels se mettant en place au cours de l'histoire de la langue française (de la fin de la période médiévale au français préclassique). Nous montrerons que le changement des structures textuelles - tel qu'il est observable dans les textes de notre corpus - n'est pas un phénomène rapide et systématique, comparable à une réaction en chaîne commençant par des modifications au niveau syntaxique et se terminant par des modifications dans la structuration du texte2. Afin de montrer à quels mécanismes répond la mise en place de structures textuelles de plus en plus complexes, nous partirons de l'ensemble texte / phrase derrière lequel se profile une interrogation du couple cohésion - cohérence et donc des relations d'interdépendance qui s'établissent entre les éléments constitutifs de cet ensemble. La prise en considération de la notion de genre est pertinente pour l'analyse de la structure textuelle. En effet, on peut admettre que le texte s'accomplit dans la reproduction ou dans l'innovation du genre. Dans une étude qui s'attache à la diachronie du français, il convient de souligner l'importance des deux mouvements : d'un côté, la reprise de structures textuelles et séquentielles pratiquées depuis l'ancien français, et de l'autre, la complexification des séquences textuelles dans le cadre du mouvement d'innovation sous la forme de l'apparition du texte explicatif et, plus largement, informatif à partir de la période du moyen français.
Dans le cadre de la présente étude, nous nous intéressons plus particulièrement à ce mouvement d'innovation consistant dans le développement du texte explicatif rédigé en langue française. Il s'agit de montrer dans quelle mesure l'apparition d'un nouveau genre de discours réorganise le fonctionnement du « flux discursif ». Nous proposons d'étudier cette réorganisation du point de vue de l'identification des caractéristiques communes des séquences explicatives et de celui de l'hétérogénéité des formes de conduite explicative. Ces deux paramètres nous semblent pertinents dans la mesure où les stratégies discursives déployées dans les textes explicatifs doivent, d'un côté, permettre l'identification d'un acte de discours identique - celui d'expliquer - et de l'autre, laisser de la place pour des démarches « individuelles » (expliquer en racontant, en décrivant). Comme nous allons le montrer, l'explication de phénomènes représentatifs de savoirs de nature différente (médecine, agriculture, chasse, philosophie, etc.) va de pair avec la complexification des séquences textuelles mais tout en respectant les impératifs de lisibilité imposés par le couple cohésion - cohérence.
2. Le texte : une superstructure complexe
Le texte en tant que « suite signifiante (jugée cohérente) de signes entre deux interruptions marquées de la communication » (Weinrich 1973 : 13 et 198) possède la particularité de constituer une totalité dans laquelle des éléments de rangs différents de complexité entretiennent les uns par rapport aux autres des relations d'interdépendance. Ce qui fait texte ne se limite pas à la présence de marqueurs de connexité propositionnels ou phrastiques, mais peut et doit être appréhendé aussi par son organisation globale (sa textualité). En effet, au sein du discours, les phrases3 entretiennent des liens de cohésion qui contribuent à ce que M. A. K. Halliday et R. Hasan (1976) appellent sa texture. La mise en place de cette texture se manifeste dans des phénomènes qui dépassent le cadre phrastique (comme, par exemple, la progression thématique ou les reprises anaphoriques) et qui sont solidaires des plans d'organisation textuelle. Dans cette interaction qui s'établit entre le local et le global, la phrase doit être considérée comme un palier d'organisation situé entre signes et propositions, d'une part, et paragraphes, séquences et parties d'un plan de texte, d'autre part.
Pour Halliday et Hasan, c'est la macrostructure qui fait de chaque texte un texte de « nature spécifique - conversation, récit, chanson, correspondance commerciale, etc. » (ibid. : 324). Selon eux, chacune de ces sortes de textes possède sa propre structure discursive et ils entendent par là la structure globale « inhérente aux notions de récit, prière, ballade, correspondance officielle, sonnet ... » (ibid. : 326-327). Dans le cadre de sa théorie du texte, Teun A. van Dijk (1981, 1984) parle plutôt de superstructures en réservant la notion sémantique de macrostructure au thème ou topic global d'un énoncé4. J.-M. Adam reprend la notion de superstructure afin d'élaborer une typologie textuelle basée sur l'hypothèse de l'existence de schémas d'organisation des textes ou superstructures au sens de « syntaxe globale du texte en tant que tout » (van Dijk 1981 : 76). Depuis Les Textes : Types et prototypes (1992), J.-M. Adam abandonne la notion de « superstructure » qui recouvre, comme il l'explique5, des unités textuelles trop vagues.
Afin de rendre compte de la présence d'un continuum de complexité croissante, nous utiliserons les termes de micro- et macrostructure. Au niveau macrostructurel, il s'agit d'identifier les unités vi-lisibles (chapitre, paragraphe, titre, sous-titre ...) qui constituent la structure compositionnelle du texte et lui donnent une « orientation configurationnelle » (J.-M. Adam). Reprenant de Ricoeur la notion de configuration, Adam a fait dépendre l'effet de texte du passage de la séquence à la figure, c'est-à-dire, de la suite de propositions (ou dimension séquentielle), de type linéaire, à l'orientation configurationnelle (ou configuration pragmatique), d'ordre global : « Un texte est, d'une part, une suite linéaire de parties (paragraphes correspondant à des périodes ou séquences) formant une structure compositionnelle donnée, mais un texte est, d'autre part, un tout de sens sémantique ou pragmatique, une unité configurationnelle » (Adam 1999 : 68).
Comme l'a souligné A. Coutinho, « cette distinction a permis des développements importants, en termes de description textuelle - notamment avec l'identification de séquences prototypiques et de différentes possibilités d'organisation séquentielle » (2004 : 35). Toutefois, cette approche de la structure configurationnelle des textes se heurte à l'hétérogénéité textuelle fondamentale qui se répercute dans la définition du texte comme lieu où « apparaissent immédiatement une hétérogénéité et une complexité qui semblent constitutives des discours en langue naturelle » (Adam 1987a : 51). En effet, un texte n'est pas seulement que du narratif, du descriptif ou de l'argumentatif. Au niveau textuel, la combinaison des séquences est généralement complexe6. Afin de pouvoir isoler, dans le continu textuel véhiculant l'hétérogène et la complexité, un espace textuel où se donne à lire l'homogène, J.-M. Adam a revisité la notion de séquence en la définissant comme « structure hiérarchique » (1987b : 59) « constituée de paquets de propositions, les macro-propositions, à leur tour constituées de n (micro)propositions » (1990 : 85). Ces macropropositions entrent dans la composition de schémas séquentiels (prototypiques) (1992 : 28). Ce sont ces schémas d'organisation séquentiels qui constituent des espaces qui donnent à lire à l'intérieur de leurs frontières des régularités. Rappelons la « logique » macropropositionnelle d'une séquence narrative (situation initiale - noeud/déclencheur - réaction - dénouement/résolution - situation finale) face à la structure arborescente de la séquence descriptive qui - à la différence des autres types de structures séquentielles - ne comporte pas de regroupement préformaté des propositions en suites ordonnées de macropropositions.
Dans notre étude, nous nous proposons d'envisager la séquence comme lieu d'une tension entre l'homogène et l'hétérogène. Dans le cadre d'une recherche diachronique, la notion d'hétérogénéité doit être analysée dans son rapport avec l'apparition de nouveaux genres de discours qui, d'un côté, perpétuent des structures textuelles et des types de progression thématique pratiqués depuis la période de l'ancien français et, de l'autre, sont à l'origine de la complexification des structures thématiques et de l'apparition de nouvelles contraintes concernant la structure compositionnelle et, plus particulièrement, les plans de texte. J.-M. Adam réinvestit la notion de plan de texte pour sortir de l'impasse théorique résultant d'une conception du texte comme addition de séquences7 et pour élaborer une autre voie de conceptualisation de la totalité textuelle. Les plans de texte prennent en charge la structure globale des textes et sont liés aux genres de discours : « Les plans de texte sont généralement fixés par l'état historique d'un genre ou d'un sous- genre de discours » (Adam 1997 : 5).
Ainsi, comme le résume J.-J. Richer, « par le biais du concept de plan de texte, la notion de genre trouve-t-elle place dans la conceptualisation de la textualité de J.-M. Adam où, [...], le genre se voit doté de six caractéristiques : sémantique (thématique), énonciatif, pragmatique, compositionnel, longueur, stylistique » (1997 : 5). Le niveau compositionnel qui représente une des composantes de la notion de genre permet - à travers la notion de plan de texte conventionnel - de théoriser l'organisation globale des textes. Le plan de texte constitue le facteur unifiant et obligatoire des structures compositionnelles. Dans la mesure où le genre impose des contraintes compositionnelles, en particulier des contraintes de disposition - qui définissent la figure du texte - la notion de plan de texte implique donc d'être éprouvée par une analyse de textes appartenant à des genres de discours diversifiés. Pour la perspective diachronique qui est la nôtre, il s'agit de souligner l'importance de la prise en considération de textes non narratifs caractérisés par une complexité de plus en plus grande des structures thématiques : des enchaînements locaux, de phrase en phrase, pratiqués surtout dans les textes narratifs en ancien français, on passe, à partir de la période du moyen français, à des enchaînements plus globaux reliant des portions de textes de dimensions différentes. La portion de texte à laquelle nous nous intéresserons dans le cadre de cette étude est celle de la séquence. C'est justement à ce niveau d'agencement transphrastique des unités linguistiques (appelé niveau séquentiel) que se situent les faits de régularité dits « récit », « description », « argumentation », « explication » ou « dialogue ». Afin de mettre en relief l'idée d'interdépendance entre structure compositionnelle, organisation séquentielle et genre, nous comparerons le type « récit » au type « explication ».
2.1. La séquence narrative - un espace textuel complexe
Comme nous venons de le souligner, les faits de régularité sont observables à un palier de traitement moins élevé dans la complexité compositionnelle, autrement dit au niveau séquentiel. Les séquences sont des structures préformatées de regroupements typés et ordonnés de paquets de propositions. Le qualificatif « préformaté » convient particulièrement à la séquence narrative qui a une forte caractérisation séquentielle car elle est articulée autour des mêmes moments - ou macropropositions - bien connus : situation initiale ou orientation (= macroproposition narrative Pn1) - noeud ou déclencheur (Pn2) - ré-action (Pn3) - dénouement ou résolution (Pn4) - situation finale (Pn5). Dans Les textes : types et prototypes, J.-M. Adam s'appuie - afin de justifier la structure de ce schéma séquentiel - sur la notion de « scansion d'événements » dont parle Umberto Eco (1985 : 50) et la conception aristotélicienne de « tout d'une action ».
Les textes de la période de l'ancien français appartiennent essentiellement au type narratif, qu'il s'agisse des oeuvres de fiction ou des chroniques. Dans son article intitulé « Évolution des structures thématiques en moyen français », B. Combettes, avant d'examiner la situation en moyen français, insiste sur la spécificité de la problématique du dynamisme communicatif dans les textes d'ancien français dont l'appartenance au type narratif :
[...] explique et justifie sans doute la tendance à donner la priorité, dans ce type d'écriture, à des liaisons interphrastiques à courte distance, qui s'appuient sur la redénomination immédiate des référents saillants. C'est en effet dans le type narratif, avec la prédominance des séquences renvoyant à une succession d'événements, que vont dominer la progression à thème constant et la progression linéaire. (2007 : 36)
En ancien français, la conception de la cohérence textuelle est assez « resserrée », ce qui se traduit au niveau de la structure textuelle par un enchaînement étroit des micropropositions à l'aide de particules comme si ou or. Les structures phrastiques sont simples et correspondent au découpage Thème + Verbe, avec rejet des éléments « nouveaux » à la suite du verbe. Le verbe apparaît ainsi comme un élément intermédiaire, souvent introducteur, d'ailleurs, de ces groupes rhématiques. Cet agencement correspond parfaitement à la structure « à verbe second », structure simple qui recouvre en fait ces deux grands types d'enchaînements textuels caractéristiques du type narratif : enchaînement par thème constant ou thème linéaire.
Dans la mesure où il s'agit de mettre au premier plan la séquence explicative, nous nous contenterons d'étudier à titre d'exemple pour le type séquentiel narratif et les types d'enchaînements qui y sont pratiqués quelques extraits de La Mort le Roi Artu, roman faisant partie du vaste ensemble intitulé le Lancelot - Graal et datant de la première moitié du XIIIème siècle. Ce roman est particulièrement intéressant du point de vue de l'organisation de sa texture. Dans l'introduction à son édition de la Mort Artu , Jean Frappier analyse la composition du texte et souligne la « contexture serrée » (1996 : XIII) du roman. Dans la première partie du texte, l'emploi de l'entrelacement8 va de pair avec une chronologie précise des aventures ; ensuite l'action devient plus simple, presque rectiligne, et, par des crises successives, s'accélère vers la catastrophe inéluctable. Cette accélération se réalise au sein de structures narratives complexes qui permettent à l'action de progresser (succession d'événements) tout en opérant une mise en intrigue (réalisation de procès transformationnels). Le schéma séquentiel narratif prototypique en tant qu'espace homogène lie les deux composantes - temporelle et transformationnelle - en introduisant une problématisation par le biais de deux macropropositions narratives - noeud (Pn2) et dénouement (Pn4) - extrêmement importantes, insérées entre la situation initiale et le début du procès et entre le procès et la situation finale. Cet agencement est à la base de la mise en intrigue et donc de la transformation de la simple suite linéaire et temporelle des moments du procès en récit.
La séquence narrative proposée à l'analyse est celle de la nef funèbre qui aborde sous la tour du palais à Kamaalot. Dans cette nef, on trouve le corps de la demoiselle d'Escalot, morte depuis peu, et une lettre où elle reproche à Lancelot d'avoir causé sa fin prématurée en ne répondant pas à son amour loyal :
(1) 70. [Pn1 situation initiale] A l'endemain que cil apiax fu fez avint endroit eure de midi que une nacele couverte de trop riches draps de soie arriva desoz la tour a Kamaalot. Li rois avoit mengié atout grant compaignie de chevaliers, et estoit as fenestres de la sale, et regardoit contreval la riviere, et estoit moult pensis et maz por la reïne car (...). [Pn2 noeud] Quant li rois qui a ceste chose pensoit vit arriver la nacele qui tant estoit bele et riche, il la moustra a monseigneur Gauvain et li dist : « Biaus niés, veez la plus bele nacele que ge onques mes veïsse. Alons veoir qu'il a dedenz. - Alons », fet messire Gauvains. [Pn3 action] Lors descendent del palés, et quant il sont venu aval, il voient la nacele si cointement apareilliee qu'il s'en merveillent tuit. « Par foi, fet messire Gauvains, se ceste nacele est aussi bele dedenz com dehors, ce seroit merveilles ; (...) ». La nacele estoit couverte a volte, et messire Gauvains soulieve un pan del drap et dist au roi : « Sire, entrons dedenz, si verrons que il i a. » Et li rois i saut meintenant et messire Gauvains après, et quant il furent enz entré, si trouverent enmi la nef un lit moult tres bel, apareillié de toutes les riches choses dont biax liz puet estre apareilliez ; et dedenz cel lit gisoit une damoisele morte nouvelement, qui moult avoit esté bele au semblant que ele avoit encore. (...) Assez la regarderent longuement, et quant messire Gauvains l'a bien avisee, si connoist que ce est la bele damoisele que il requist d'amors, cele qui dist qu'ele n'ameroit ja se Lancelot non ; et lors dist au roi « Sire, ge sai bien qui ceste damoisele fu. (...) - Sire, fet messire Gauvains, ce est cele dont nos parlons. (...) - Certes, fet li rois, ce poise moi ; si savroie volentiers l'achoison de sa mort, car je croi qu'ele soit morte de doel. »
71. [Pn4 dénouement] Endementres que il parloient de ceste chose, messire Gauvains regarde encoste la damoisele et vit pendant une aumosniere moult riche a sa ceinture ; mes ele n'estoit mie vuide par semblant ; et il i mist la main et l'uevre meintant et en tret unes lettres ; si les baille au roi (...) ; si trueve que les lettres dient einsi : « A touz les chevaliers de la Table Reonde mande saluz la damoisele d'Escalot. (...) Et se vos demandez por cui amour ge ai souferte engoisse de mort, je vos respont que ge sui morte por le plus preudome del monde et por le plus vilain : ce est Lancelos del Lac, (...). » Itex paroles disoient les letres ; [Pn5 situation finale] et quant li rois les ot leües oiant monseigneur Gauvain, il li dist : « Certes, damoisele, voirement poez vos bien dire que cil por qui vos estes morte est li plus vilains chevaliers del monde et li plus vaillanz ; car (...). Fesons la a grant enneur enterrer en la mestre eglise de Kamaalot et metons desus la tombe les letres qui tesmoignent la verité de sa mort, si que cil qui vendront après nos l'aient en remembrance. » Et messire Gauvains respont que il s'acorde bien a ceste chose.
(La Mort Artu, § 70, lignes 1- 60, et §71, lignes 1-46)
Dans son étude consacrée à l'Articulation des phrases narratives dans la Mort Artu, J. Rychner a montré que « trois relations fondamentales structurent (le) texte par le truchement de ses diverses articulations phrastiques : la relation temporelle, la relation dramatique, la relation prédicative » (1970 : 235). L'enchaînement des macropropositions dans la séquence proposée se réalise selon la relation temporelle qui utilise deux articulations : en proposition circonstancielle (Pn1, Pn2, Pn4, Pn5) et en adverbe temporel (Pn3). L'importance textuelle des circonstancielles varie selon qu'elles précèdent ou suivent la principale. Dans le premier cas, « elles jouent un rôle textuel et phrastique en vue, car elles font attendre l'événement qui va surgir ; la circonstance est alors inaugurante » (Rychner 1970 : 225). Les circonstances inaugurantes sont « plus ou moins libre[s] vis-à-vis de l'action précédente » (ibid. : 226). Dans le cas de notre séquence, la référence à l'action précédente est établie par des reprises anaphoriques (cil apiax, ceste chose, les) renvoyant à un élément impliqué dans le procès de la microproposition précédente. Le rapport de la circonstance avec l'action qui précède devient plus étroit lorsque la proposition circonstancielle en perpétue le sujet (le pronom personnel il de la Pn4 reprend les deux protagonistes de l'action décrite dans la macroproposition 3). L'articulation temporelle en adverbe (Pn3, lors) définit le moment qu'elle inaugure par rapport à ce qui vient de se passer. Lors rapproche le nouveau moment (début de l'action) du précédent (déclencheur) jusqu'à la contiguïté la plus immédiate, tout en l'en détachant. Ce type d'articulation est donc pris entièrement dans l'action et tout relatif à elle.
Dans la première macroproposition (situation initiale), le narrateur annonce l'arrivée de la nef funèbre dans le cadre d'un tour impersonnel (...avint endroit eure de midi que une nacele couverte de trop riches draps de soie arriva). La complétive introduite par que a donc un contenu rhématique précisant la nature de l'événement qui s'est produit endroit eure de midi, desoz la tour a Kamaloot. Nous notons l'indication d'une autre circonstance temporelle (endroit eure de midi), mais, cette fois-ci, la circonstance occupe une place plus modeste car elle « est ajoutée à l'événement comme un commentaire accessoire » (ibid. : 228). Après l'introduction du référent nacele dans le discours, ce dernier progresse, dans un premier temps (Pn1 - Pn2 - première partie de la Pn3, jusqu'à : La nacele estoit couverte à volte) par des enchaînements à thème constant. Ce type d'enchaînement s'effectue à travers la « vision » d'un personnage qui sert d'intermédiaire. On remarquera dans cet extrait l'importance des verbes de perception qui introduisent les éléments rhématiques. En effet, le lecteur découvre la nef à travers le regard du roi Arthur et de celui de Gauvain. Cette découverte va de pair avec la mise en place d'une séquence descriptive, dominée par la structure narrative car insérée dans cette dernière.
La cohésion est maintenue par l'application du principe de continuité et donc le maintien du topique de la nacele. Ce principe de continuité se manifeste aussi dans l'emploi de l'article défini la et du déterminant démonstratif ceste qui actualisent le terme fonctionnant comme topique. Les différents attributs associés au référent qui se trouve au focus de la description (bele et riche / si cointement apareilliee que ... / aussi bele dedenz com dehors / couverte a volte) représentent les commentaires à travers lesquels la description progresse.
Dans la macroproposition 3, des phases d'action et de description sont entrelacées : le procès de descendre est à l'origine d'un « mieux voir » et donc d'un autre bref fragment descriptif (La nacele estoit couverte a volte). Le passage à l'action est marqué par une attaque en et + sujet nominal. L'action du nouveau sujet (et messire Gauvains soulieve un pan del drap) s'exerce sur l'objet qui mobilisait l'attention dans la proposition précédente.
J. Rychner a signalé que certaines articulations du type et + sujet nominal instaurent une relation dramatique (1970 : 17) au sein des structures textuelles. Comme le montre l'exemple suivant, la mise en place d'une relation dramatique correspond à l'interruption d'une continuité temporelle par des articulations dramatiques opposant les personnages les uns aux autres :
(2) 65/1. Quant li autre entendent ceste parole, si dient a leur compaignon : « Vos avez trop mal esploitié (...) ». Lors s'en tournent fuiant au travers de la forest. Et Lancelos, qui fu remés a la fonteinne trop durement navrez, tret la saiete hors de sa cuisse a grant peinne et a grant engoisse et voit la plaie grant et parfonde (...) Si trenche meintenant un pan de sa chemise por estanchier la plaie (...) Et quant il l'ot estanchiee au mieuz que il pot, il vient a son cheval (...) ; si s'en vet a quel que peinne a l'ermitage (...) Et quant li preudom le vit si navré, si en fu moult esbahiz ; si li demanda qui ce li avoit fet. « Je ne sei, fet il, quel pautonnier m'ont issi atorné (...) ». Lors li conte comment il a esté navrez et par quele achoison. (La Mort Artu, §65, lignes 1-26)
Cet extrait reproduit la situation finale de la séquence narrative « Lancelot blessé par un chasseur du roi ». La texture de ce passage témoigne du jeu qui s'installe entre articulations temporelles et dramatiques. En effet, une phase de l'action, tenue par des articulations temporelles relatives à l'action elle-même, « Quant li autre entendent, Lors s'en tournent fuiant », est interrompue par l'attaque dramatique « Et Lancelos », qui inaugure une nouvelle phase pourvue à son tour de son propre temps : « et quant il l'ot estanchiee, Et quant li preudom le vit, Lors li conte ». Cette rupture intervient à l'intérieur de la séquence narrative proposant le récit de la blessure de Lancelot et inaugurée par le complément circonstanciel de temps : « Trois jorz devant l'assemblee apela Lancelos son escuier » (§64/7). Ces articulations dramatiques sont le reflet discursif de la conception proprement dramatique que se fait l'auteur de l'action ; « il la voit comme un jeu où s'affrontent plusieurs acteurs qu'il fait agir successivement ; un jeu sans décor, (...) où la part de la description est réduite à rien ; un jeu très actif, où les situations ne retiennent jamais longuement l'attention » (ibid. : 241).
Revenons à notre premier exemple où l'articulation et + sujet nominal (La nacele estoit couverte a volte, et messire Gauvains soulieve un pan del drap) apparaît à l'intérieur de la structure phrastique. Tout concourt à faire ici de l'articulation en et + sujet nominal une articulation coordonnant deux micropropositions, c'est-à-dire sans portée inaugurante. Il s'agit ici moins d'une rupture que d'une démarcation de deux fragments (descriptif et narratif). Ce qui réunit les deux sujets en un ensemble phrastique complexe, c'est à la fois l'orientation prospective de la première proposition (découverte/ description de la nacele en cours) et l'orientation rétrospective que donne l'anaphore drap au second. Dans la macroproposition « action » de notre premier exemple, la description et l'action sont étroitement liées, même si la première semble se dissoudre assez rapidement dans les structures narratives dominantes et, plus particulièrement, dans les actions accomplies par les acteurs de l'intrigue. Ici cette absorption de la description par l'action (et sa narration) s'observe dans le glissement d'un type de verbes à un autre et d'un type de progression thématique à un autre. En effet, les verbes de perception - introducteurs de propos ayant statut de rhème caractérisant un thème identique (progression à thème constant) - sont remplacés progressivement par des verbes d'action (si trouverent enmi la nef un lit moult tres bel (...) et dedenz cel lit gisoit une demoiselle morte nouvelement, qui ...) insérant le regard des protagonistes dans un contexte dominé par l'action et une nouvelle découverte. L'action progresse selon le principe de l'enchaînement linéaire : chaque proposition débute par un thème qui reprend le rhème ou une partie du rhème de la proposition qui précède. Comme nous pouvons le constater dans notre exemple, ce changement de statut s'accompagne de modifications au niveau de l'emploi des déterminants (un lit - cel lit ; une demoisele - la bele demoisele).
Les deux types de progression thématique se rejoignent dans une caractéristique commune : les enchaînements se font bien d'une microproposition sur l'autre, charpentés par des relations temporelles et dramatiques. Les séquences narratives sont conçues comme des jeux dramatiques, se décomposant en situations / actions particulières (macropropositions) plus ou moins étendues inaugurées par des articulations mettant en valeur le caractère temporel des événements narrés (articulations temporelles) ainsi que la transformation des procès dans le cadre d'une intrigue (relations dramatique et prédicative). Les différents types d'articulations et progressions thématiques ne s'excluent pas les uns les autres, mais collaborent souvent à l'organisation de la même action et donc à la mise en place de la texture de la même séquence narrative. Le schéma séquentiel dominant est celui représenté par la séquence narrative. En effet, la Mort Artu est d'abord une action dramatique, une action qui progresse à l'intérieur d'une structure séquentielle complexe. Cette complexité se manifeste dans l'exemple (1) par l'insertion - déjà commentée - de fragments descriptifs, mais aussi par la présence de séquences dialogales enchâssées dans le schéma narratif (Pn2, Pn3, Pn4 et Pn5) ainsi que de passages explicatifs introduits par le marqueur car (Pn1, Pn3, Pn5). Aussi bien le dialogue que les fragments explicatifs introduits par car s'inscrivent dans le récit et sont donc dominés par le schéma séquentiel narratif. Il est à noter que des relations logiques du type hypothèse, cause, concession, conséquence ou but, ne jouent qu'un rôle infime dans l'enchaînement des procès principaux. Ces relations se subordonnent aux relations fondamentales - même si la relation explicative ou « vérificative » exprimée par car joue un rôle considérable dans un texte comme la Mort Artu (vu la fréquence de car) puisque « ce recours à la vérification de fait, "en fait, en effet", appuie l'immanence de la narration » (Rychner 1970 : 236). Les relations logiques s'inscrivent au sein des micropropositions et donnent de la profondeur psychologique aux protagonistes, à leurs pensées et actions. Dans l'exemple suivant, la relation causale insérée dans le flux discursif de la narration ne joue aucun rôle au niveau des articulations phrastiques qui structurent la séquence :
(3) 12/27 A ces paroles vint leanz li chevaliers qui a l'assemblee devoit aller. Et quant il vit Lancelot, si li fist moult bel semblant, por ce que preudons li sembloit, et li demande qui il estoit. (La Mort Artu, §12, lignes 27-30)
Cet extrait constitue la macroproposition ré-action (Pn3) de la séquence narrative « Lancelot chez le vavasseur d'Escalot ». Après avoir demandé au vavasseur d'Escalot de porter les armes de ses fils au tournoi de Wincestre, Lancelot rencontre l'un des deux fils qui - comme son père - réagit favorablement à la demande de Lancelot auquel il propose en plus - puisqu'il voit dans Lancelot un homme de valeur - qu'ils se rendent ensemble au tournoi. Cette relation causale n'est pour rien dans la situation textuelle de la proposition, qui doit sa place aux relations temporelles.
Nous avons déjà souligné l'importance de la période du moyen français pour l'évolution des structures textuelles et la complexification des structures thématiques. Tandis que le discours narratif en ancien français se caractérise par une conception assez resserrée de la cohérence textuelle, le moyen français voit apparaître des structures textuelles avec des enchaînements plus globaux reliant des portions de textes de dimensions différentes. Cette évolution va de pair avec la mise en place de nouveaux univers discursifs, dominés par des séquences explicatives et / ou argumentatives. Ceci ne signifie pas que la complexification des structures textuelles et les modifications de la conception même de l'organisation informationnelle sont dues à la démarche explicative et/ou argumentative. Pour comprendre cette évolution, il faut prendre en compte les changements de l'ancien au moyen français qui correspondent à une évolution des principes mêmes de la perspective fonctionnelle de l'énoncé. La syntaxe à verbe second de la langue médiévale implique une certaine conception de l'organisation thématique de l'énoncé. On peut considérer que cette conception s'appuie essentiellement sur une dichotomie relativement simple qui distingue le thème propre et la zone rhématique, le verbe fonctionnant comme une sorte de démarcateur entre les deux composantes. En moyen français, on assiste à une réorganisation des diverses zones de l'énoncé qui « libère » des places en début de phrase. Cette évolution qui va de pair avec la formation de prédications secondes de type « appositions » ou « constructions détachées » a un impact, non seulement sur l'ordre des éléments, mais, de façon plus profonde, sur la conception même de l'organisation informationnelle. A la cohérence « étroite » du texte du type narratif en ancien français, caractérisée par des enchaînements à courte distance, succède une cohérence beaucoup plus large, qui suppose un marquage moins explicite de la portée des prédications. Des changements importants interviennent également, au niveau textuel, dans les progressions thématiques. La phrase à ordre S - V - X peut s'insérer dans une séquence textuelle à thèmes dérivés, le référent nouveau auquel renvoie le syntagme sujet constituant l'une des sous-parties d'un ensemble plus large. Les nouvelles fonctions des schémas syntaxiques (propositions thématiques / rhématiques dérivées ; ruptures thématiques) se développent essentiellement dans le courant du XVème siècle et se rencontrent souvent dans le texte explicatif et / ou argumentatif. Le discours explicatif / argumentatif, qui ne se développera vraiment que durant la période du moyen français, nous sert donc de témoin car il enregistre les changements qui se produisent entre l'ancien et le moyen français.
Dans la dernière partie de notre étude, nous nous intéresserons plus particulièrement au type explicatif, sa structure séquentielle et son rôle dans l'organisation macro- et microstructurelle.
2.2. La séquence explicative - fonctionnement macro- et microstructurel
Avant de passer à l'analyse de séquences qui répondent à l'étiquette «explicatif », il nous semble qu'une petite mise au point terminologique concernant les qualificatifs informatif, explicatif et expositif s'impose. Dans Le texte informatif, aspects linguistiques, B. Combettes et R. Tomassone reconnaissent que tout texte est, à un certain degré, informatif et que « le terme d'expositif serait sans doute meilleur que celui d'informatif, relativement vague » (1988 : 6). Même si les auteurs décident de s'en tenir à un terme couramment utilisé, ils distinguent nettement le type informatif-expositif du type argumentatif, qui vise à modifier des croyances, des représentations, alors que le texte informatif-expositif vise moins à transformer des convictions qu'à apporter un savoir. Combettes et Tomassone opèrent également une distinction entre informer-exposer, d'une part, et expliquer, d'autre part :
Expliquer nous semble constituer une intention particulière qui ne se confond pas avec informer ; le texte explicatif a sans doute une base informative, mais se caractérise, en plus, par la volonté de faire comprendre les phénomènes : d'où, implicite ou explicite, l'existence d'une question comme point de départ, que le texte s'efforcera d'élucider. Le texte informatif, en revanche, ne vise pas à établir une conclusion : il transmet des données, certes organisées, hiérarchisées [...], mais pas à des fins démonstratives. Il ne s'agit pas, en principe d'influencer l'auditoire, de le conduire à telle ou telle conclusion, de justifier un problème qui serait posé. (ibid. : 6)
Pour J.-M. Adam, Combettes et Tomassone n'osent franchir le pas décisif qui consiste à « considérer le texte informatif-expositif comme un genre de discours encyclopédique fondé sur des enchaînements séquentiels de type soit descriptif, soit franchement explicatif » (1992 : 158). Cette prise de position va de pair avec l'exclusion du type dit expositif du classement des séquences prototypiques. Nous retenons pour notre étude la distinction fondamentale opérée par Combettes et Tomassone entre le type informatif-expositif et le type explicatif et considérons avec Grize (1981 et 1990) l'opérateur POURQUOI9comme le critère de l'explication. Mais, en dehors de l'identification de l'opérateur, il faut repérer les séquences discursives qui sont explicatives. Cette identification se fait, comme l'a clairement écrit M.-J. Borel, à différents niveaux :
Cette identification s'opère à différents niveaux, extérieurs ou intérieurs au texte : reconnaissance de l'autorité, du savoir du locuteur, et d'une intention de neutralité et d'objectivité ; de la légitimité et de l'intérêt de la question ; de l'existence du fait à expliquer ; de la présence dans le texte de formes comme 'parce que', ou de métatermes comme 'expliquer', 'cause', 'raison', etc. (Borel 1981 : 41)
Comme nous pouvons le constater, l'organisation de la séquence explicative est moins rigide dans la mesure où son identification peut se faire à partir d'indices extérieurs ou intérieurs au texte. Autrement dit, la structure peut être elliptique. Pour J.-B. Grize, la « structure générale d'une séquence explicative » (1990 : 107) est la suivante : un premier opérateur [pOurquOi] fait passer d'une schématisation initiale S-i, qui présente un objet complexe (O-i), à une schématisation S-q, qui fait problème (objet problématique O-q), puis un second opérateur [pArce que] permet de passer de S-q à une schématisation explicative S-e (O-e). La séquence explicative de Grize se présente donc de la façon suivante :
C'est en tenant compte de cette schématisation initiale que J.-M. Adam propose dans le numéro 56 de Pratiques (1987b : 72) le modèle suivant de la séquence explicative prototypique :
Dans cette dernière partie de notre étude, nous nous interrogerons sur la mise en place de schémas séquentiels explicatifs dans la littérature scientifique / technique de la fin du Moyen Âge. Nous avons souligné à plusieurs reprises l'importance de la prise en compte de textes non narratifs, représentatifs des différents types de savoirs, pour l'étude de la structure textuelle et des stratégies discursives qui y sont déployées. Nous irons à la recherche du discours explicatif dans un univers discursif qui témoigne de la capacité d'adaptation et de création d'une langue - le moyen français et le français de la Renaissance - à un savoir qu'elle doit pouvoir exprimer et expliquer. En effet, l'écriture scientifique en langue vernaculaire met en évidence la variété des domaines de connaissances et des conceptions du monde. C'est l'omniprésente volonté de rendre compréhensible (explication) et de convaincre (argumentation) qui structure et ordonne la construction du texte scientifique et technique. Même si les savoirs évoluent et la science progresse (médecine, physique, mathématiques, etc.), le souci de la clarté au niveau aussi bien de l'expression (vocabulaire) que de celui de l'organisation du discours reste constant. La force illocutoire du texte scientifique se fonde à la fois sur sa cohérence interne et sur la prise en charge énonciative par un sujet personnel dont la parole est garantie par une compétence reconnue et par son appartenance à la communauté scientifique. Tandis que le texte explicatif en ancien français est majoritairement le résultat d'une traduction d'un discours originel en latin, réalisée par des auteurs capables d'écrire en latin et en français et dissimulant leur identité derrière la voie des autorités convoquées, les oeuvres de divulgation du savoir en moyen français ou en français préclassique accordent plus de place à la parole du je qui s'affirme en tant que source de vérité. Le mouvement de vulgarisation devient plus intense dans le passage au français si l'on considère que le public pour qui il se fait est moins instruit non seulement du latin mais aussi des concepts philosophiques et des jeux des allégories produits dans cette langue. A l'inverse du discours explicatif et argumentatif en latin, les encyclopédies en langue française ne jouent pas des allégories mais empruntent leur cadre spatio-temporel au monde et à la vie des hommes. Cette insertion du placere dans le docere revêt divers aspects selon les époques, le degré d'avancement du savoir dans un champ donné et la personnalité supposée des lecteurs. Au niveau textuel, cette évolution se traduit par des relations d'insertion ou de mélange de séquences. L'insertion du narratif dans l'explicatif ou le didactique, par exemple, ne relève pas du seul souci ornemental ; ils participent plutôt d'un souci argumentatif plus général qui produit ainsi des structures textuelles plus complexes.
C'est surtout le discours médical (et donc un type de savoir profondément enraciné dans la culture du Moyen Age - aussi bien du point de vue de l'enseignement institutionnel que de celui de la transmission du savoir sous forme de textes écrits par les autorités dans le domaine), qui nous permettra d'examiner ce phénomène de la complexification des structures textuelles, en général, et de la mise en place de schémas séquentiels explicatifs dominants, en particulier. Comme nous l'avons souligné, ce type de discours nous sert de témoin pour les changements complexes de l'ancien au moyen français.
La complexification des structures textuelles s'observe aux niveaux macro- et microstructurels. Comme nous allons le montrer, la mise en place de schémas séquentiels explicatifs concerne aussi bien les données macrostructurelles (explication de l'organisation du discours) que des composantes précises du savoir exposé et expliqué. En effet, un des enjeux majeurs du texte savant est de rendre claire et lisible la progression des idées et la cohérence du savoir. Dans le traité de chirurgie d'Henri de Mondeville (XIVème siècle)10, chirurgien de Philippe le Bel, les principes structurants sont annoncés dans le prologue, lui-même subdivisé en 28 paragraphes sous forme de propositions numérotées. Pour rendre compte à ses élèves des réalités multiples qui le captivaient dans l'exercice de son métier de chirurgien, Mondeville procède « successivement et en ordre ». L'objet complexe qu'il propose de traiter de cette façon est la chirurgie ou, plus exactement, le savoir chirurgical transmis par les autorités et acquis par l'expérience pratique :
(4) 3. Je Henri de Mondeville, cyrurgien du très noble sire roy devant dit, estudiant et demourant en la très clere cité de Paris, [et] très excellent estuide, quant a présent, c'est a savoir en l'an mil .ccc. et .vi., pourpose a ordener briement et a moustrer publiquement, sensiblement et [es] escoles, selonc ma possibilité, toute l'opération de cyrurgie manuel.
Ceste cyrurgie contendra .v. traitiés (...). (Prologue, §3)
Ce troisième paragraphe du prologue représente la schématisation initiale (macroproposition explicative 0), autrement dit le fait à expliquer (toute l'opération de cyrurgie manuel). La question du pOurquOi n'est pas explicitement posée, mais le prologue est constitué essentiellement de macropropositions explicatives qui expliquent et justifient la démarche du chirurgien et la structure de l'ouvrage, constitué de cinq traités :
(5) 14. Et o toutes les choses devant dites je mousterai ce que je ai peu assembler par experrience et par doctrine de tous mes mestres que j'ai euz en chascun lieu et especiaument de mon mestre, mestre Jehan Pitart, très certain et très esprouvé en l'art de cyrurgie, le quel est aussi cyrurgien de nostre sire le roy devant dit, et tout selonc ce que j'ai oï de leur doctrine et selonc ce que je les ai veus ouvrer en pratique. (Prologue, §14)
(6) 15. Atant ceux qui s'entendent, especiaument li letré qui veulent aprendre cyrurgie, soient liés et esjoïssans de ce, especiaument ceux qui ont conneu les principes de médecine et qui entendent les paroles de l'art; car pour eulz est ordenee ceste oeuvre. (Prologue, §15)
(7) 21. Et pour ce que parole mal entendue fait aucune fois meserrer cil qui l'ot, laquel chose est moult redoutable especiaument en cors humain plus qu'en nul des autres cors, comme que il soient touz composés et faiz de .IIII. elemens, si comme il apert par l'auctorité Galien [...] comment sus la première proposicion d'aufforime Ypocras, sus la partie : « experiment est decevable ». Il est dit la que, se .i. experiment est fait en bois ou en cuir ou en chose semblable et il i a mesprison autre qu'el ne doit, ce n'est pas moult grant dommage, car il puet estre amendé en cel meisme bois ou en autre semblable; ce ne puet pas estre fet en cors humain, se l'experiment i prent mal. Car se toute la bûche ou le cuir est corrumpu, l'en trueve de legier autre bûche ou autre cuir semblable, de quoy l'en puet faire ce que l'en voloit faire en la bûche ou en cuir corrompu. Mes se l'en ostoit a aucun homme le piè ou aucun membre, en quelque meniere que ce fust, le piè ne le membre d'un autre ne li soufiroit, ne ne pourfiteroit. (Prologue, §21)
(8) 22. Et pour ce que experiment ou oevre de cyrurgie, quant il sont defectis, especiaument en cors humain, sont perilleus, je conseil que nous n'athouchons les maladies espouentables, quant nous n'i avon presumption de bonne, ferme santé.
Et ce raconte Albuksim eu proeme de la première et de la segonde partie de sa cyrurgie, le quel Albuksim et Johan Mesué dient en lour proemes, sous l'auctorité de Galien : « Ne vuilliez pas recevoir en cure les fés de mauveses maladies, que vos ne soies nommés mauves mires et que les envieux ou le commun ne puissent dire blasme de vous, et gardés que convoitise de gaaing ne vous maint a ce, mes créés Galien (...) ». (Prologue, §22)
(9) 26. Ne soit pas ennui aus auditeurs de cest proeme du segont traitié faire plus brief qui est tel. Et pour ce que ceux d'ore s'esjoïssent de brièveté, car brieves choses sont plus tost dites et plus legierement comprises et plus fermement mises en mémoire, je desclereroi eu segont traitié lez diz choses plus plainement qui sont desclairies communément es proemes des autres cirurgiens. (Prologue, §26)
(10) 27. Le premiers est de quel manière doivent estre les ouvriers de cest art a ce qu'il viengnent a la fin de leur entente.
Le segont, de quel manière doivent estre les paciens.
Le tiers... (Prologue, §27)
(11) 28. Et pour ce que chascun puisse trouver legierement en procès toutes les choses dont il a besoing, j'escrirai devant chascun traitié ou doctrine tous les titres ou les rebriches de tous leur chapitres, et procéderai es traitiés selonc l'ordre qui sera proposé eu proeme. (Prologue, §28)
Cette série de macropropositions explicatives extraites du prologue de la Chirurgie de Mondeville contient les « ingrédients » nécessaires à l'identification d'un schéma séquentiel explicatif : la reconnaissance de l'autorité, du savoir du locuteur (les ex. 4 et 5 présentent Mondeville respectivement comme chirurgien du roi et comme disciple de maître Jehan Pitart) ; la légitimité et l'intérêt de la question (exemple 6 : Mondeville signale l'intérêt de son ouvrage pour un public particulier : ceux qui connaissent les principes de la médecine ; exemples 7 et 8 : Mondeville avertit ses lecteurs en expliquant ce qu'une mauvaise explication des faits de chirurgie et une mauvaise pratique entraînent pour le patient) ; la présence de connecteurs explicatifs (exemples 6 : car pour eulz est ordenee ceste oeuvre ; 7 : pour ce que ; 8 : pour ce que ; 9 : car brieves choses sont plus tost dites et plus legierement comprises ; 11 : pour ce que ) et de métatermes comme moustrer (au sens de « montrer et expliquer » - exemples 4 et 5), desclarer (exemple 9).
Les macropropositions explicatives du prologue appuient et justifient la structure de l'ouvrage, constitué de cinq traités. La présentation de cette structure est faite sous la forme d'une progression à thème dérivé. L'éclatement de l'hyperthème « cinq traités » en sous-thèmes11 rend apparente la structuration du texte, en explicitant les éléments constitutifs de cette somme chirurgicale et, en même temps, les différentes étapes du raisonnement du chirurgien de Philippe le Bel dont l'objectif était de réunir la somme des connaissances chirurgicales de son temps.
Même si la démarche explicative est dominante, le prologue contient aussi des fragments argumentatifs et narratifs, insérés dans la grille explicative. Ainsi la macroproposition 16 est-elle inaugurée par un connecteur concessif s'inscrivant dans une démarche argumentative qui vise à justifier la prise en considération de l'expérience des praticiens qui exercent la médecine sans avoir fait des études à l'université :
(12) 16. Toutevoies je ne met pas hors du tout en tout ceux qui ne sont pas letrés (...) (Prologue, § 16)
On relève également de brefs fragments narratifs, condensés car ne reproduisant que la situation initiale, l'action proprement dite et une évaluation finale :
(13) 24. Or viennent aucune fois les paciens aus mires et leur requièrent qu'il leur prametent certaine cure dedens certain temps, ou autrement il ne se metraient pas en sa main, aus qûiex l'en ne doit riens prometre, fors si comme il est possible d'ouvrer en eulz loiaument, en metant tout le remanant de negosse de fortune sus les malades (...) (Prologue, §24)
La mise en place d'une démarche explicative ne se manifeste pas uniquement en appui de la macrostructure, mais également au niveau microstructurel, c'est-à-dire au sein des macropropositions constitutives du savoir chirurgical qui se présente justement comme une somme. Ainsi au deuxième chapitre du traité d'anatomie consacré aux « choses entrans en la composicion du cors humain qui sont dites superfluites des membres », Mondeville explique- t-il le statut particulier des dents par une énumération d'explications qui appuient sa démonstration :
(14) 115. Des autres superfluités et des dens ne semble pas grant doute qu'il ne soient superfluités. La .1. raison est que il ne sont pas de la premiere commistion des humours, si comme sont espoir les mouelles. La .2., car ils chieent et sont rengendrees, la mouelle non. La .3., car il croissent continuelment, la mouelle non (...). La .4., car il sont ostees sans corruption de leur sougiet, la mouelle non (...) (Anatomie, § 115)
Le dénombrement et la numérotation des propositions énoncées tiennent dans la Chirurgie un rôle qui dépasse leur fonction de repérage mnémotechnique. Le comptage des subdivisions de son ouvrage permet à Mondeville de mettre en évidence la charpente de ce dernier et d'appuyer la vérité de son discours par une logique formelle, celle des nombres. Mais elle nécessite, comme nous l'avons constaté, une explication, autrement dit une justification qui précède celle des composantes du savoir proprement dit. Avec l'évolution des techniques du discours et du savoir, les auteurs conservent à titre de principe structurant l'idée d'un savoir équivalant à une somme, mais se livrent de moins en moins à ce « dénombrement obstiné des propositions » (Pouchelle 1983 : 53). Ce procédé caractéristique des textes savants d'origine scolastique est encore attesté dans les deux adaptations du Compendium de epidemia (1348)12. La disposition textuelle de l'adaptation A répond encore à ce que le discours scientifique, autrement dit le genre explicatif issu d'un milieu universitaire, prévoit pour ce type de texte : parler par ordre, organiser des plans textuels en fonction des paramètres structurants annoncés et expliqués dans la partie introductive :
(15) 6. En la premiere somme seront .III. chapitres, pour ce que de ceste epydimie sunt .II. causes dont l'une est remote et lontaigne, car elle vient des corps celestieux de lassus, et l'autre est prochaine qui vient des corps terrestres de cha jus et se depent de la premiere de lassus, si que le premier chapitre sera de la premiere cause universele et remote, le secunt sera de la cause prochaine et particulière, le tiers sera de pronostication et des signes, lequel sera annexé a l'un et a l'autre chapitre. (Compendium de epidemia, adaptation A, cité par S. Bazin-Tacchella 2001 : 133)
Cette macroproposition contient deux propositions explicatives reliées et hiérarchisées par des connecteurs. La première, introduite par l'opérateur pour ce que, s'inscrit dans la démarche explicative visant à présenter la structure globale du texte ; la seconde, inaugurée par le connecteur explicatif car, est subordonnée à ce premier niveau d'explication car elle se rattache à une composante du savoir convoqué (la prise en compte de l'influence des corps célestes) pour justifier l'organisation macrostructurelle. Les connecteurs introduisent une hiérarchie et un mouvement qui assurent, à la fois, le lien des propositions et la progression de la macroproposition vers une fin - la présentation des trois chapitres - et l'orientation explicative de l'ensemble. L'articulation dynamique des propositions se fait à travers la mise en place d'un effet de parenthésage : la première série de parenthésages se termine par l'identification de la nature lontaigne de l'une des deux causes de l'épidémie (explication introduite par pour ce que). L'information introduite après l'opérateur pour ce que fonctionne en même temps comme phénomène expliquant, répondant à la question pourquoi III chapitres ? , et phénomène à expliquer [pourquoi cause « lOiNgTAiNe » ?]. La seconde série de parenthésages se charge donc à expliquer la nature lointaine de l'une des deux causes. Elle s'achève sur l'explication de la cause prochaine. Les marqueurs d'intégration linéaire l'une et l'autre situent les deux causes au même niveau hiérarchique. On note cependant une différence au niveau du marquage du mouvement explicatif : l'explication de la seconde cause est réalisée dans une subordonnée relative, en l'absence de tout opérateur explicatif explicite. Un troisième niveau de parenthésage est introduit après la locution conjonctive si que. Cette locution à valeur consécutive introduit une explication-synthèse qui associe les éléments de la macrostructure aux différents types de contenu qui sont à l'origine de l'organisation textuelle mise en place par l'auteur.
Les auteurs de la fin du Moyen Age s'éloignent des techniques de dénombrement et de la numérotation des propositions. La mise en place d'un discours structuré et cohérent reste cependant une exigence primordiale. Nos derniers exemples montreront que le discours explicatif est omniprésent dans la littérature scientifique / technique de la fin du Moyen Age. Les auteurs introduisent des passages explicatifs - soit sous forme de séquence soit sous forme de périodes à l'intérieur d'une macroproposition d'orientation argumentative ou descriptive - afin d'élucider les différentes composantes d'un savoir complexe.
Dans l'extrait suivant du Livre d'Ethiques d'Aristote (N. Oresme, 1340), des passages explicatifs sont insérés dans un discours d'orientation argumentative :
(16) Et felicité est des operacions parfaictes. Item, pour ce, afin que tele operacion ne soit empeechiee, celui qui est beneuré a mestier d'avoir les biens de corps et les biens de hors et de fortune. Car, combien que les Stoyciens dient que celui qui est tourné et cheü en tres grans infortunes soit beneuré se il est bon, telz gens ne dient rien de voir, vueillent ou non.
Item, pour ce que felicité a mestier des biens de fortune, il semble a aucuns que felicité et fortune soient une meïsme chose. Mais fortune n'est pas felicité; car quant elle est superexcellente, elle empeeche felicité. Et par aventure, tele superexcellence n'est pas justement appellee bonne fortune. Car quant a felicité, tele fortune a certain terme.
Item, ce que toutes choses et bestes et hommes parsivent et quierent delectacions, c'est un signe que delectacion est tres bonne chose aucunement (...) (Oresme 1340 : 405-406, in DMF)
L'objectif de l'auteur de ce texte est de convaincre ses lecteurs de la véracité de la thèse « celui qui est beneuré a mestier d'avoir les biens de corps et les biens... de fortune » et de réfuter, en même temps, la position des stoïciens. Les différents faits-arguments sur lesquels repose l'édifice argumentatif sont introduits par les opérateurs car (dont la force argumentative ressort dans sa relation oppositive avec combien que), item (introducteur d'un nouveau fait-argument), mais (réfutation d'une conclusion erronée). Les trois fragments (propositions périodiques) explicatifs, insérés dans la séquence argumentative, fonctionnent comme garanties pour les faits-arguments donnés. Ils interviennent donc à un niveau inférieur par rapport au flux argumentatif principal (... pour ce que felicité a mestier des biens de fortune, il semble a aucuns que felicité et fortune soient une meïsme chose. Mais fortune n'est pas felicité ; car quant elle est superexcellente, elle empeeche felicité. // tele superexcellence n'est pas justement appellee bonne fortune. Car quant a felicité, tele fortune a certain terme. ) La troisième garantie introduite par l'opérateur car est mise en avant par le marqueur de topicalisation quant à marquant un foyer thématique, en l'occurrence un élément constitutif, déjà cité, de la stratégie argumentative. Comme le montre cet exemple, au niveau textuel, la combinaison des séquences est généralement complexe. Le cas le plus fréquent est le mélange des séquences. C'est le cas de l'exemple (16) fonctionnant selon le principe de la dominante séquentielle, autrement dit selon un mode de combinatoire qui fait apparaître une forme d'enchâssement régulier entre la séquence dominante et la séquence dominée. La séquence dominante, déterminée ici par la séquence enchâssante, est à l'origine de la mise en place d'un effet de typification globale ; c'est cet effet qui a pu faire croire à l'existence de types de textes. L'exemple proposé est extrait d'un traité de philosophie morale. Dans cet ouvrage, Aristote se propose de démontrer que le sens de la vie humaine est le bonheur. La stratégie argumentative mise en place consiste à trouver des arguments-preuves qui démontrent la thèse selon laquelle le bonheur consiste dans l'opération de la vertu, mais a cependant besoin de la présence de biens extérieurs, qu'on appelle les biens de fortune, parce que, très souvent, c'est fortuitement que l'homme les reçoit ou les perd. Que l'on démontre ou réfute une thèse, le mouvement argumentatif est le même : on part des prémisses (données) qu'on ne saurait accepter sans admettre aussi telle ou telle conclusion. Entre les deux, le passage est assuré par des démarches argumentatives qui prennent l'allure d'enchaînements d'arguments-preuves correspondant soit aux supports (étayages), soit à des mouvements argumentatifs enchâssés. Afin de faciliter au destinataire l'accès à un argument, il faut que ce dernier soit étayé, c'est-à-dire développé ou illustré. En effet, tout texte scientifique est pris dans une vaste chaîne de textes préalables sur le même sujet, il est lisible comme objection à un autre texte ou à d'autres textes ou comme écart par rapport à d'autres textes. La démarche argumentative et les arguments-preuves utilisés doivent donc permettre de situer le texte dans cette chaîne. Parmi les différents procédés utilisés pour étayer les arguments on trouve l'accumulation, l'anecdote, la comparaison, la description ou l'explication. Tandis que la manifestation linguistique de l'accumulation, qui consiste à utiliser plusieurs éléments pour servir une même preuve, est la mise en place de séries énumératives, celle de la comparaison, l'insertion d'éléments introduits par des opérateurs de comparaison (comme, comparé à, de la même façon ; à l'opposé de, à la différence de), l'enchâssement de fragments explicatifs dans une séquence argumentative, permet de questionner des arguments-preuves problématiques et de passer ensuite du problème à sa solution-explication. Au niveau du traitement discursif, ce passage suit une procédure de démarcation sous la forme de l'introduction d'opérateurs explicatifs du type par ce que ou car. L'explication-réponse fournie après l'opérateur devient la condition nécessaire pour la validation de l'argument-preuve par le lecteur et le passage à l'argument suivant, introduit dans l'exemple analysé par l'organisateur textuel item, ou à la conclusion.
Dans l'exemple suivant, extrait de l'ouvrage de Ch. Estienne L'agriculture et maison rustique (1564), le fragment explicatif / justificatif est à nouveau dominé, mais cette fois-ci par une description procédurale :
(17) À l'entree de vostre verger à l'endroit du jardin ferez d'un costé la pepiniere, et de l'autre la bastardiere, et au milieu l'ordre des arbres parcreuz et entez.
Et au bout d'embas planterez par rayons vostre ozeraye qui pourra recevoir pour sa commodité la frescheur et humidité du petit ruisseau.
Le portail du costé du pré pour vostre entree particuliere sera garny de deux chevrons sur une architrave sans plus, et quatre ou cinq creneaux au dessus, et fermee d'un huis fort : car par là vous entrerez en vostre maison, et en sortirez à secret quant vous semblera sans le sceu de voz gens, ny avoir la mauvaise odeur des estables et de vostre grande court.
(Estienne 1564, in DMF)
Le fragment discursif introduit par l'opérateur car a une fonction métatextuelle de retour sur la fin de l'énoncé qui précède et, plus particulièrement, sur le syntagme nominal huis fort. Ce mouvement à gauche, amenant à considérer rétrospectivement une portion plus ou moins grande du contexte antérieur comme objet sur lequel porte l'explication, a donc une portée limitée. La segmentation graphique et la présence du connecteur car donnent au lecteur une instruction de découpage-empaquetage des propositions et ponctuent ainsi le regroupement de propositions en unités hiérarchiques de rang supérieur. Elles signalent le début d'une proposition périodique qui expose les raisons d'être de cette porte.
Nous terminons notre étude par un exemple extrait d'un traité inédit d'autourserie et de fauconnerie en moyen français (XVème s.). Le traité est composé de six chapitres dont le troisième est consacré au régime alimentaire des oiseaux de proie. Les macropropositions constitutives de ce chapitre ont une visée explicative :
(18) III.2. Oultre plus a vous donner congnoissance lesquelles viandes sont bonnes pour vostre oyseau : premierement buef comme devant est dit, et donques porc, le maigre dudit porc sans gresse, c'est la meilleur char que vous puissiez donner a vostre oiseau aucune fois quant vostre oiseau est bas et maigre, car il lui fera bien digerer sa viande et si remontera bien vostre oiseau. Aussi il fera vostre oiseau bien esmeutir, car c'est char lasche et celle est bonne pour vostre oyseau. (cité par Lagae 2005 : 88)
Les informations et les explications fournies dans ce chapitre permettent de constater que l'alimentation octroyée à l'oiseau pouvait être extrêmement variée. L'objectif était de garder l'oiseau ni trop gras, ni trop maigre. Le traité indique les viandes qui sont bonnes pour l'oiseau et explique pourquoi. L'objet complexe (la schématisation initiale) de la macroproposition reproduite est donc l'alimentation (les viandes) de l'oiseau. Le problème ou la question du pourquoi certaines viandes sont meilleures que d'autres, n'est pas explicitement posée mais elle se profile derrière la macroproposition qui explique pourquoi la partie maigre du porc est la meilleure chair pour le régime alimentaire de l'oiseau. Cette macroproposition est, quant à elle, constituée de deux micropropositions contenant chacune l'opérateur car et fournissant les explications qui thématisent l'objet expliqué le maigre dudit porc. La partie finale de la dernière macroproposition du troisième chapitre reprend l'objet complexe « alimentation » et ratifie les explications fournies pour les meilleures viandes par la répétition et donc la mise en avant de ces viandes excellentes sur le plan alimentaire
(19) III.6. (...) Mais buef vault mieulz (...), le porc sangler est bonne char pour reconforter et remonter vostre oyseau. Aussi est le porc privé ne plus ne mains une des meilleurs viandes que vous lui donnez au monde. (cité par Lagae 2005 : 89)
3. Conclusion
Au centre de notre étude se trouvait l'objet complexe texte et l'évolution des structures textuelles dans une perspective diachronique (de l'ancien français au français préclassique). Concernant la perspective diachronique qui était la nôtre, nous avons insisté, plus particulièrement, sur l'importance de la période du moyen français. Deux faits justifient cette attention particulière accordée au moyen français : la complexification des structures textuelles et des types de progression thématique et l'apparition de textes du type explicatif qui va de pair avec une autre conception de la cohérence discursive. Afin d'avoir accès au domaine thématique, aux articulations séquentielles et aux conceptions de la cohérence discursive en ancien et moyen français, nous avons examiné l'interaction qui s'établit entre le niveau propositionnel (microstructure) et le plan macrostructurel en passant par le concept de genre ainsi que la typologie des séquences.
En effet, l'unité texte est beaucoup trop complexe et bien trop hétérogène pour présenter des régularités linguistiquement observables, du moins à ce niveau élevé de complexité. C'est en inscrivant notre recherche dans le cadre des théories de J.-M. Adam sur les textes et les genres discursif, que nous avons cherché les faits de régularité à un palier de traitement moins élevé dans la complexité compositionnelle d'un texte : le niveau d'agencement séquentiel.
La plupart des genres discursifs fixent le type compositionnel dominant. Ainsi le genre du roman est-il narratif, enchâssant des segments descriptifs et/ou dialogaux. C'est en étudiant la structure narrative d'un roman du XIIIème siècle que nous avons constaté que le fait de parler, de façon réductrice, de « texte de type narratif » revient à gommer la complexité spécifique de la séquence en question. La séquence en tant qu'espace textuel se transforme dans la plupart des cas en lieu de l'hétérogénéité discursive (du descriptif dans le narratif, du narratif dans l'explicatif, etc.). C'est dans le dosage des relations entre ces divers constituants compositionnels que chaque séquence construit ses effets de sens et sa logique interne. L'hétérogénéité discursive est une caractéristique générale des schémas séquentiels narratif et explicatif dans les textes en ancien et moyen français. Tandis que cette caractéristique unit les deux types de séquences étudiés, les articulations séquentielles et les progressions thématiques pratiquées diffèrent en fonction du genre et surtout de la période linguistique : d'un côté, « mises en phrase » à l'aide de formes (type d'articulations) relativement peu nombreuses et prépondérance de la progression à thème constant ou thème linéaire dans la narration en ancien français et, de l'autre, des enchaînements plus globaux et la diversité de plus en plus grande de la structure compositionnelle des textes en moyen français dont le représentant le plus pertinent est le texte non narratif.
2 « Une vision trop simplificatrice consisterait sans doute à envisager, dans une sorte de réaction en chaîne, que les changements syntaxiques conduisent à des modifications du niveau thématique, modifications qui entraîneraient ensuite une évolution dans la structuration du texte » (Combettes 2007 : 45).
3 Nous utiliserons le terme de « phrase » pour mettre en avant le point de vue formel de notre analyse : il s'agit d'identifier et de décrire le fonctionnement des éléments constitutifs d'un ensemble (le texte). En même temps qu'elles s'enchaînent, les unités élémentaires s'emboîtent dans des unités plus vastes. Dans l'analyse des relations de dépendance que les unités constitutives de la superstructure texte entretiennent entre elles se mêlent les points de vue logique et syntaxique. Dans la grammaire traditionnelle, la phrase est en effet envisagée comme pouvant s'analyser en un nombre entier de propositions. Le terme de « proposition » désignait à l'origine toute construction minimale porteuse d'un jugement : l'association d'un sujet et d'un prédicat. Nous utiliserons le terme de « phrase » (simple ou complexe) pour désigner les unités constitutives élémentaires, les paliers de construction de l'objet complexe texte. Cet objet est formé d'espaces textuels à l'intérieur desquels les phrases doivent être envisagées comme unités constituantes d'une unité de rang hiérarchique supérieur. Elles deviennent ainsi micropropositions et intègrent des macropropositions.
4 « Les superstructures sont des structures globales qui ressemblent à un schéma. À la différence des macrostructures, elles ne déterminent pas un 'contenu' global, mais plutôt la 'forme' globale d'un discours. Cette forme est définie, comme en syntaxe, en termes de catégories schématiques » (1981 : 26).
5 « Van Dijk parle en effet de "superstructure" aussi bien à propos du récit et de l'argumentation (1984 et 1981) que du sonnet (1984). Je suis partiellement sa première définition des superstructures : "Les macropropositions, au moins celles d'un niveau assez élevé, seront organisées par les catégories schématiques de la superstructure, par exemple le schéma narratif" (1981 : 26-27). Je suis également sa conception des superstructures comme structures textuelles 'superposées' aux structures grammaticales (1984 : 2285). Toutefois, la confusion entre simple plan de texte (responsable de la segmentation vi-lisible du texte écrit en parties (chapitres, sections, paragraphes)) et superstructure introduit trop de confusion. Van Dijk considère, en effet, un sonnet comme une "superstructure prosodique" et un récit comme une "superstructure sémantique" » (1992 : 23).
6 « Toutefois il faut reconnaître que ces zones textuelles où se perçoit l'homogénéité séquentielle n'apparaissent bien souvent qu'en situation scolaire, après segmentation dans le continu textuel de passages actualisant de façon typique la séquence choisie, car, même à ce niveau parcellaire du texte qu'est la séquence, l'hétérogène peut venir brouiller le délinéament de la séquence [...] » (Richer 2004 : 122).
7 « Mes propositions théoriques relatives aux (proto)types séquentiels ont pu laisser croire que tout texte était exclusivement réglé par ce second principe de composition (c'est-à-dire la structuration séquentielle), mais il faut bien voir que les textes sont, en fait, très souplement structurés et que l'importance des plans de texte est essentielle » (Adam 1996 : 34).
8 « Le procédé de l'entrelacement consiste dans le parallélisme d'une double ou d'une triple action : chaque épisode, gardé provisoirement en suspens, laisse la place à un autre, qui est lui-même interrompu à son tour pour permettre la continuation de l'épisode antérieur (...) » (Frappier 1996 : XIII).
9 « La distinction à opérer entre exposition et explication passe par la différence entre pourquoi ? et comment ? La plupart des séquences en comment ne sont pas explicatives » (Adam 1992 : 159).
10 Le traité, écrit entre 1306 et 1320 par Henri de Mondeville, fut traduit en 1314, peut-être par un jeune écolier normand qui commençait ses études médicales à Paris.
11 3. [...] Ceste cyrurgie contendra .V. traitiés.
Le premier sera de l'anathomie, aussi com du fondement de cyrurgie, abregie tant comme il appartient a l'estrument de cyrurgie (...).
Le segond traitié sera de la cure universel et particulier de plaies et de contucions et de ulcerations (...).
Le tiers traitié sera des cures de toutes maladies qui ne sont plaies ne ulceracions ne passions d'os (...).
Le quart sera de la cure des froisseures, des dislocations, des torsions et des plications des os.
Le quint sera l'antidotaire (La proheme de ceste cyrurgie, p. 2-3).
12 Le traité est daté du mois d'octobre 1348. Il a été écrit juste avant que la capitale fût atteinte par l'épidémie de la peste. Le texte officiel, rédigé en latin par les membres de la Faculté de Médecine de Paris, a été adapté en français au milieu du XIVème siècle. L'adaptation A est considérée comme une traduction « fidèle », voire « savante ». L'adaptation B, quant à elle, est devenue un simple Régime pour lequel le terme de traduction n'est plus valable.
Références bibliographiques
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Textes cités
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Mondeville, H. de, La Chirurgie de Maître Henri de Mondeville, trad. contemporaine de l'auteur ; publ. d'après le ms. unique de la BN par A. Bos, 1897-1898.
Oresme, N. (c.1340), Le Livre de Ethiques d'Aristote, DMF (http://www.atilf. fr/dmf).
Sabine Lehmann1
1 Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Laboratoire MoDyCo UMR 7114 ; sabine. [email protected].
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Copyright University of Oradea 2015
Abstract
This study is devoted to the question of the articulation of narrative and explanatory sequences in the history of the French language (from old French to pre-classical French). We consider that there is an intermediate level of structure between the sentence and the text, i.e. the level of macropropositions which in turn form sequences, and will accordingly analyse how these two sequential patterns function from a diachronic perspective. We will examine the interaction between the propositional (microstructure) and macrostructural levels and touch upon the concept of genre as well as the typology of the sequences in question. A diachronic perspective enables us to demonstrate how the styles of sequence articulation, the thematic progression and the textual structures evolve depending on the type of discourse they form part of.
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