Résumé
Dans cet essai, j'analyse Nadja de Breton afin de montrer que la complexité de sa structure et de son incipit vont de pair: l'une et l'autre faisant partie intégrante d'une conception innovatrice de l'écriture. Plus particulierement, l'auteur renonce a une idée standard d'incipit unique et ancré en début de texte en faveur d'une vision dynamique qui permet de le multiplier. Cette multiplication de l'incipit est liée a trois facteurs clefs : 1) une structure apparemment éclatée, fondée sur une interminable transformation (de style, de genre, de sujets traités, etc.) ou une continuité logico-temporelle est en partie abolie en faveur d'une progression discontinue et fluctuante ; 2) l'effacement des frontieres établissant un seul genre littéraire (Nadja étant a la fois un récit de vie, un roman, un journal, un traité philosophique, un manifeste théorique, le récit de la faillite d'un amour et un dialogue d'amour) ; 3) l'instauration d'un dialogue intertextuel entre Nadja et le Manifeste du Surréalisme permettant de plonger le sujet de l'énonciation aussi bien dans une prémisse théorique déja anticipée ailleurs, que dans le début d'un programme narratif indépendant. En définitive, la réitération du rite du commencement chez Nadja confirme la nécessité, selon Breton, de penser la littérature (et la vie) comme un réservoir inépuisable de possibilités ou rien ne peut etre donné comme évident et acquis une fois pour toutes, peine la mort littéraire, intellectuelle, morale.
Mots-clés : incipit, Surréalisme, écriture automatique, genres textuels, identité, oxymore
Abstract
In my essay, I analyze Nadja by Breton in order to show that the complexity of its structure and of its beginning go hand in hand: they are both integral parts of an innovative conception of a way of writing proposed by Breton. More particularly, the author gives up an idea of a sole beginning anchored at the start of the text in favour of a more dynamic conception based on its multiplication as the narration develops. This multiplication of beginnings is connected to three mains points: 1) an apparently broken up structure based on an interminable transformation (of style, genres, topics, etc.) in which a logical-temporal continuity is partly abolished in favour of a discontinuous, changing progression; (2) the removal of the frontiers establishing one and only kind of genre (Nadja is at the same time a life history, a novel, a diary, a philosophical treaty, a theoretical manifesto and a love conversation); (3) the establishment of an intertextual dialogue going on between Nadja and the Manifeste du Surréalisme which allows plunging the speaking subject both into a theoretical premise (already anticipated elsewhere) and into the beginning of a relatively independent narrative programming. Ultimately, the reiteration of the rite provided by the beginning in Nadja confirms the necessity, according to Breton, of thinking literature (and life) as an endless 'container' of possibilities where nothing can be taken for granted or acquired once and for all on pain of a literary, intellectual and moral death.
Keywords: beginning, Surrealism, automatic writing, textual genres, identity, oxymoron
Le titre de cette contribution pourrait sembler, a premiere vue, mystérieux ou provocateur. S'il est largement reconnu que les incipit sont des lieux stratégiques par lesquels le lecteur est introduit au cœur de l'univers sémantique du texte1, pourquoi dire alors que ceux de Breton ne commencent pas au début du texte ? Et pourquoi encore parler d'incipit au pluriel alors que mes réflexions vont se concentrer sur le seul texte Nadja2 ? Finalement, pourquoi est-ce que je focalise l'attention sur le 'je', la 'rencontre' et 'l'envie' de Breton ? Le mystere est moins obscur si je révele que ce sont les trois points thématiques autour desquels je vais développer mon analyse des incipit de Nadja. Il est sans doute dissipé si j'anticipe ici que la structure, particulierement sophistiquée, de Nadja est telle que la notion d'incipit unique et introductif perd sa consistance en faveur d'une dynamisation et prolifération de ses traits sémantiques tout au long du texte. Que Nadja d'André Breton soit un texte complexe est indiscutable et les nombreuses études et critiques littéraires le confirment3. Cette complexité est mise en relief non seulement par la difficulté de 'déchiffrer' ce texte de Breton qui, sémantiquement parlant, est sibyllin, mais aussi par l'impossibilité de le classer a l'intérieur d'un genre spécifique : le pastiche de genres caractérise Nadja des son début4, ce texte étant a la fois un récit de vie, un roman, un journal, un traité philosophique, un manifeste théorique, le récit de la faillite d'un amour et un dialogue d'amour. Cela parce que, afin de se conformer aux principes surréalistes et d'échapper a toute classification communément acceptée et historiquement consolidée, ce texte joue a brouiller les cartes. Bien évidemment, cette complexité n'est pas un aspect négatif, mais bien un avantage puisqu'elle rend le texte plus riche a l'intérieur d'une vision dynamique de la littérature : en effet, en faisant usage de stratégies textuelles et discursives différentes, la structure de ce texte est destinée a une série de transformations surprenantes. Et, comme dans les autres domaines de la réflexion de Breton, mise a part la manifestation de sa propre liberté créative, le but d'une structure fondée sur une interminable transformation est également de briser l'automatisation de chaque principe constructif et normatif, de miner les savoirs preconçus, de renouveler la vision du monde et de créer un effet de distanciation sur le lecteur lequel, bouleversé et alerté par cette nouvelle 'forme' littéraire, est obligé de lire avec plus d'attention et de reconsidérer ce qu'il donnait comme acquis et évident.
Å l'intérieur de ce meme principe dynamique - ou tout ce qui s'arrete, s'ancre et se pétrifie est mortifere - l'incipit ne fait pas exception. Si généralement l'incipit est considéré comme un élément unique positionné au début du texte, dans Nadja les incipit - et, par conséquent, les explicit5 - se multiplient au fur et a mesure que la lecture avance6. En premier lieu, parce que ce texte est un triptyque ou chaque partie - tout en participant a la composition d'un ensemble poétique et extra-ordinaire - garde sa propre autonomie sémantique et formelle. En deuxieme lieu, parce qu'a mon avis Nadja n'est pas un texte autonome, en soi, mais une sorte de dialogue incessant qui s'instaure entre sa propre réalisation poétique et le programme théorique exposé dans le premier Manifeste du Surrealisme7 qui le précede chronologiquement. Bien que la critique considere, a juste titre, Nadja comme un concentré de la poétique de Breton, il faut tenir compte du fait qu'il est aussi un texte dont la finalité est de mettre en 'pratique' et a l"épreuve' la pensée théorique de l'auteur. En d'autres termes, Nadja est un manifeste a l'intérieur duquel, sous une forme poétique, s'affirme la théorie (artistique, existentielle, sociale) de Breton. De ce point de vue, plus que dans le véritable début d'un programme narratif a construire, les incipit de Nadja plongent le sujet de l'action et de l'énonciation directement dans le processus de realisation d'une prémisse théorique déja anticipée ailleurs : la structure du texte, la narration et les thématiques abordées montrent que le programme théorique de Breton déja exposé dans le Manifeste se camoufle sous le délicat tissu poétique, rhétorique et figuratif. C'est la raison pour laquelle non seulement Nadja invoque sans cesse le premier Manifeste mais devient lui aussi 'manifeste' et 'traité théorique' en montrant ainsi que, chez Breton, la dichotomie théorie / poésie doit etre atténuée. Et puisque justement chez Breton théorie et poésie, programme philosophique et application artistique se melent et se lient entre eux de maniere inextricable, il faut renverser le point de vue commun et analyser les Manifestes comme s'il s'agissait d'une œuvre artistique qui met en scene intuition et pensée sous forme poétique8 ; parallelement, on doit analyser Nadja - une œuvre reçue par les critiques surtout en tant qu'artistique - comme si elle contenait des dispositifs sémiotiques ou les cristallisations poétiques subsument la pensée théorique et les concepts philosophiques. Ce va-et-vient entre ces deux textes correspond, d'ailleurs, au présupposé de fond du Surréalisme : etre toujours dans le devenir et jamais dans la condition d'immobilité (intellectuelle, morale, esthétique et conceptuelle) qui tue la surréalité et la poétique de l'existence. Pour Breton, rien ne peut etre fini ou achevé : peu importe que ce soit un chapitre de son existence ou de sa production artistique. En effet, tout au long de sa vie, il ne se borna pas a publier un seul manifeste mais il en écrivit quatre9, chacun apportant des réflexions théoriques (en partie ou totalement) renouvelées. Sur la base du meme principe, il sut en outre souvent revenir sur ses pas et abandonner des pratiques artistiques acclamées. C'est le cas, par exemple, de l'écriture automatique. Apres l'enthousiasme initial de tout le mouvement, ce fut Breton lui-meme, en premier, qui sut admettre que, a la longue, l'usage de cette technique d'écriture faisait courir au mouvement le risque de se contenter de lieux communs, d'expressions banales, de répétitions, bref, d'etre réduit a une stérilité artistique10. Finalement, toujours pour se conformer au meme principe de dynamisme, tous les incipit de Nadja n'ouvrent pas sur un programme narratif fermé en soi mais continuent le programme théorique de Breton en fonctionnant ainsi de renvoi déictique au premier Manifeste avec lequel ils instaurent un fort lien intertextuel. De la meme maniere, les explicit ne doivent pas non plus etre perçus comme des clôtures traditionnelles mais comme des ouvertures vers des situations ultérieures, des livres futurs et une existence a venir11.
Revenons a la structure interne de Nadja. On a déja dit qu'elle est tripartite. Exclue la partie centrale de Nadja (qui, suivant le modele d'un journal intime, garde une structure plus classique), la premiere et la troisieme parties sont caractérisées par une accumulation progressive de différents blocs textuels (séparés par un blanc typographique). En suivant le principe de la libre association des pensées (et, par conséquent, de l'écriture automatique), ces blocs textuels (ou anecdotes, comme les définit Beaujour12) semblent se juxtaposer de maniere désordonnée et apparemment déliée. Toutefois, malgré ce soi-disant 'éclatement' du texte, il y a une structure plus générale de base qui donne un nouveau type d'unité au livre tout entier (en le constituant comme un texte spécial et hors de toute classification possible). Sous couvert de discontinuité et de désordre se tisse en effet une structure en forme de toile d'araignée13 de maniere a ce que chaque mot, chaque action, chaque lieu et chaque rencontre acquierent une importance fondamentale pour la constitution et la révélation d'un nouveau ordre inhabituel, capable de transformer la vraie vie en poésie14. En effet, les diverses anecdotes peuvent etre reconduites - par continuité narrative et discursive - a cinq macro-séquences plus ou moins autonomes a l'intérieur du texte englobant, Nadja. Du point de vue du pastiche des genres mis en œuvre, chacune de ces cinq séquences interpelle un genre spécifique tout en lui apportant des éléments novateurs et déstabilisateurs : (1) la 'prémisse théorique' ou 'manifeste artistique' ou sont élaborées les lignes du projet littéraire de l'œuvre (cette séquence va de la question initiale « Qui suis-je ? » jusqu'a l'avertissement au lecteur d'une narration « sans effort »15 pour reprendre, vers la fin du volume, avec un discours récapitulatif sur les intentions artistiques du texte16) ; (2) le 'récit de vie' ou, si l'on veut, l"autobiographie' sélective qui raconte des faits de la vie du narrateur d'une maniere discontinue et tres lacunaire (cette partie s'ouvre avec un soi-disant incipit « je prendrai pour point de départ [...] »17, se clôt temporairement pour faire place a l'histoire de la rencontre du narrateur avec Nadja et s'ouvre a nouveau juste apres le journal) ; (3) le 'journal' de la rencontre avec Nadja qui relate au jour le jour une attraction fatale entre les deux personnages et qui, d'un point de vue temporel, est encadré a l'intérieur d'une période étonnamment breve18 si l'on considere que Nadja est le personnage central, celui autour duquel tourne la vision philosophique de ce texte19 (cette partie est racontée en utilisant le présent simultané, typique de l'écriture des journaux intimes) ; (4) le 'récit' de l'échec de l'amour entre Breton et Nadja, positionné immédiatement apres le journal et avant le 'chapitre' final (cette séquence est séparée de la précédente par des points de suspensions et est racontée en utilisant des canons plus classiques, tels que le passé narratif ayant une continuité logico-temporelle plus marquée par rapport aux deux premieres séquences et a la derniere) ; finalement, (5) on a le 'dialogue d'amour', vers la fin du volume, avec un personnage présent dans le texte sous la forme du simple appellatif « toi » (toute cette partie est racontée suivant a nouveau une narration 'par intermittence' ou les pensées et les considérations éparses s'alternent sans suivre un fil conducteur logico-consécutif)20.
En définitive, en ayant recours a ce type de structure en apparence éclatée, il est possible d'affirmer que non seulement chacune de ces macro-séquences, mais aussi chaque anecdote en soi a son propre début et sa propre fin. Or, vu que l'analyse exhaustive de chacun de ces incipit (et, en contrepoint, de ces explicit) serait impossible a réaliser dans l'espace accordé pour cette contribution, je me bornerai a passer en revue les trois incipit qui, d'une maniere plus 'classique', se trouvent au début de chacune des parties du triptyque. Pour rappeler le titre de mon intervention, les thématiques abordées dans ces trois incipit sont : 1) la mise en forme du 'je' de Breton et la recherche de son identité ; 2) la 'rencontre' avec Nadja, personnage central du texte non seulement parce que formellement positionné au centre du triptyque mais parce que figure emblématique de la philosophie surréaliste ; 3) le sentiment d"envie' manifesté ironiquement par le narrateur a l'égard de tous ceux qui considerent un livre comme une entité qu'il faut soigneusement construire et dont il faut suivre la réception chez le public21.
Mais procédons en bon ordre et analysons, un par un, les trois incipit en question. Dans la premiere partie - qui sert a introduire « l'entrée en scene de Nadja »22 - la mise en forme (et la mise en question) du 'je' est abordée. Cette premiere partie est organisée a la maniere d'une autobiographie un peu hors-genre, présentée sous forme d'une accumulation désordonnée de pensées et d'épisodes épars, qui semblent ne pas suivre un fil conducteur commun sinon celui d'une mémoire capricieuse « qui laisse surnager ce qui surnage »23. Dans cette partie, on a comme l'impression de se trouver face a un embrouillement de pensées momentanées, de souvenirs inattendus et soudains, d'événements déliés les uns des autres, d'interrogations philosophiques, de dictées théoriques, d'incursions polémiques. Ce 'désordre' formel est déja anticipé dans le tout début du texte (1er incipit) par une question existentielle :
Qui suis-je ? Si par exception je m'en rapportais á un adage : en effet pourquoi tout ne reviendrait-il pas á savoir qui je « hante » ? (Breton, 1964 : 9).
Or, cette question initiale, « Qui suis-je ? », est tres significative, puisqu'elle pose les prémisses pour penser ce texte, d'une part, comme une autobiographie par laquelle on cherche a donner un sens a la vie du narrateur en en finalisant les actions et en les fondant sur la construction de sa propre identité ; de l'autre, comme un traité philosophique ou sont interrogées la notion meme de 'soi' autobiographique, la maniere d'exister et de se percevoir et la façon de se distinguer des autres. Par cette question initiale, le texte donne vie a des questions philosophiques fondamentales : qui sommes-nous, que faisons-nous dans le monde et vers ou nous nous dirigeons ? Par cette simple question, le sujet est déja plongé dans le devenir de son etre qui ne peut jamais s'arreter sur une série de traits reconnaissables et fixés une fois pour toutes. En d'autres termes, ce qui compte pour Breton c'est la multiplicité des aspects qui caractérisent une identité perpétuellement en transformation : dans la construction de son identité narrative, l'important n'est pas la richesse, la cohésion ou l'identification de traits particuliers visant a déterminer une condition psychologique définitive, mais la dissolution et la discontinuité des actes et des pensées, transmis au hasard de la mémoire « qui laisse surnager ce qui surnage ». L'incipit du texte s'ouvre alors sur l'a-venir : il annonce une recherche de la réponse a donner24 et jamais donnée définitivement. Contrairement a d'autres autobiographies plus classiques, l'identité du narrateur n'est donc pas déterminée a l'avance et le texte qui va s'écrire ne sert pas a la récupérer, afin de l'analyser ou de la transmettre aux autres. Elle est au contraire en construction et en évolution, encore inconnue a son propriétaire ; par l'intermédiaire du texte a écrire, cette identité devra, a la fin, se manifester sous forme de révélation épiphanique et involontaire :
N'est-ce pas dans la mesure exacte ou je prendrai conscience de cette differenciádon que je me révélerai ce qu'entre tous les autres je suis venu faire en ce monde et de quel message unique je suis porteur [...] ? (Breton, 1964 : 11).
Cette attitude discursive affaiblit l'importance du retour au passé, de la remémoration et du rattrapage temporel et détermine une /tension/ vers la fin : le livre suit au fur et a mesure cette évolution. C'est a travers la rédaction du livre que le narrateur pourra peut-etre arriver a déterminer la spécificité de son identité (qui restera, toutefois, le processus d'une quete).
De ce point de vue, ce texte peut etre considéré comme le récit d'un Programme Narratif canonique : le sujet de la quete dénonce un état de manque initial (la connaissance de soi et de son identité) qui doit etre comblé grâce a l'acquisition des compétences nécessaires pour répondre aux questions initiales. Toutefois, le récit ne met pas l'accent sur la transformation finale de ce meme sujet en soi, mais sur le processus indispensable pour y arriver, sur les modalités obligatoirement acquises par le sujet afin d'accomplir sa preuve décisive : c'est-a-dire, découvrir la véritable essence de son identité et comprendre la différence entre lui-meme et les autres. Si donc (pareillement a toute autre autobiographie classique) le regard introspectif et le propos de faire émerger la 'vérité' sur soi-meme a travers un parcours rétrospectif sont présents, encore faut-il souligner qu'ils sont associés a la tentative de réconcilier entre eux le conscient et l'inconscient afin de les faire fondre en une seule unité. Ce propos de reconciliation peut etre relevé dans l'accumulation des diverses anecdotes qui se juxtaposent l'une a côté de l'autre suivant le principe de la libre association des idées, des pensées et des souvenirs épars. L'organisation textuelle par anecdotes et l'aspect délié de la narration visent finalement a rendre plus 'fidelement' le flux discontinu et désenchaíné des pensées et des souvenirs :
Qu'on n'attende pas de moi le compte global de ce qu'il m'a été donné d'éprouver dans ce domaine. Je me bornerai ici á me souvenir sans effort de ce qui, ne répondant á aucune démarche de ma part, m'est quelquefois advenu, de ce qui me donne, m'arrivant par des voies insoupçonnables, la mesure de la grâce et de la disgrace particuliéres dont je suis l'objet ; j'en parlerai sans ordre préétabli, et selon le caprice de l'heure qui laisse surnager ce qui surnage. (Breton, 1964 : 22-23).
Le propos exprimé résume l'effort conceptuel du Surréalisme de donner libre cours a l'écriture automatique. Le but est évidemment de faire ressortir les forces cachées de l'inconscient afin de les ramener a un niveau extérieur et reconnaissable ; c'est a travers une série de souvenirs déliés et 'involontaires' qu'il sera donné de saisir la 'vérité' d'une identité unique et surréelle. Plus particulierement, cet extrait nous permet de comprendre une caractéristique importante de cette stratégie du rattrapage de l'inconscient : la nécessité de se laisser aller completement a son propre 'moi' caché (« sans effort » et a travers « aucune démarche de ma part »), de perdre tout contróle de soi (« m'arrivant par des voies insoupçonnables »), d'oublier les exigences de la rationalité logique (« sans ordre préétabli ») et de l'organisation spatio-temporelle (« selon le caprice de l'heure qui laisse surnager ce qui surnage »). Si une continuité d'ordre 'logico-rationnel' est perdue, une progression de type 'analogique' est instaurée a sa place. Cette derniere permet de saisir les coincidences, les épiphanies, les mysteres et les prophéties pour les reconduire a un parcours solidaire et unifiant.
Par rapport a la premiere, la deuxieme partie de Nadja apporte un changement formel remarquable, car elle montre une structure ponctuelle et tres organisée : elle est présentée sous forme de journal détaillé, rapportant avec précision, au jour le jour, la rencontre du narrateur avec Nadja. Ce journal suit l'évolution de la rencontre qui, a partir d'une forte attraction spirituelle entre les deux personnages, arrive enfin a l'inévitable (meme si soufferte) 'usure' du rapport amoureux. De la rencontre 'révélatrice' jusqu'a la séparation 'décevante' et définitive, on passe par toute une série de rendez-vous quotidiens, de rencontres fortuites, de discussions philosophiques et littéraires, de recherches réciproques et spasmodiques dans les labyrinthes de la ville, de détachements de plus en plus fréquents et, finalement, aux révélations concernant les raisons de la rupture définitive. Dans cette deuxieme partie, l'accent théorique se déplace sur une autre des activités préférées par les surréalistes : la déambulation sans but a la recherche du hasard objectif. Et pourtant elle représente aussi une évolution de la recherche de l'identité, parce que marcher dans les rues sans but précis prend, pour le Surréalisme, le rôle fondamental de vecteur de la connaissance de soi. C'est en effet grâce a cette activité 'involontaire' que se réalise la mise a nu des frontieres ou s'arrete le 'moi' conscient et ressort le 'moi' inconscient, le cóté caché présent en chacun de nous25. En outre, c'est au cours de cette déambulation sans but que le 'moi' remet a zéro ses compétences modales (avant tout le vouloir, mais aussi savoir, devoir, et pouvoir) afin de rester réellement seul avec lui-meme, de se laisser 'agir' par le hasard et de reconsidérer sa vie a partir de la tabula rasa (émotive, spirituelle, cognitive) a laquelle il a donné forme. Et c'est justement sur l'une de ces déambulations qui constellent le texte tout entier que débute la deuxieme partie de Nadja (2eme incipit). Il s'agit d'une déambulation tres significative : le narrateur raconte d'une journée dépourvue en apparence d'intéret qui, apres la rencontre avec Nadja, se transforme en un jour spécial :
Le 4 octobre dernier, å la fin d'un de ces aprés-midi tout ä fait désœuvrés et trés mornes, comme j'ai le secret d'en passer, je me trouvais rue Lafayette : aprés m'etre arrěté quelques minutes devant la librairie de l'Humanité et avoir fait l'acquisition du dernier ouvrage de Trotsky, sans but je poursuivais ma route dans la direction de l'Opéra. [...] Tout ä coup, alors qu'elle est peut-etre encore ä dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, trés pauvrement vetue, qui, elle aussi, me voit ou m'a vu. (Breton, 1964 : 71-72).
Sous l'apparence de la simple description d'une journée quelconque, cette séquence laisse passer une importante stratégie discursive, fondamentale dans la poétique de Breton : la reconciliation des contraires. L'union des contraires est une 'réalité' recherchée par Breton dans les conditions les plus variées de l'existence humaine ainsi que dans les divers domaines de la culture : aussi bien dans la vie que dans l'art il existe, pour Breton, sinon une coincidence au moins une conciliation possible vers laquelle chaque auteur doit diriger ses efforts (il suffit de penser, entre autres, a la reconciliation entre le conscient et l'inconscient, le hasard et la nécessité, la création artistique et l'automatisme de l'écriture, l'art comme miroir de la vie et la forme poétique de l'existence). Cette tâche si ardue peut etre accomplie principalement par la poésie, terrain privilégié de la réconciliation des contraires, lieu élu ou la pensée analogique prend la place de la pensée logique. Par conséquent, la coprésence de termes opposés provenant de champs sémantiques différents et distants entre eux est la caractéristique fondamentale du discours poétique. Plus les champs sémantiques sont éloignés, plus haut sera le résultat obtenu. Pour réussir une telle tâche, il faut affirmer une forte « volonté d'insurrection contre la tyrannie d'un langage totalement avili » (Breton, 1999 : 166) par toute sorte de constriction logique, psychologique, idéologique et linguistique. En d'autres termes, la poésie doit chercher a tirer le fil du tissu analogique du mot afin de le dénouer completement et, de la sorte, lui faire acquérir une nouvelle forme et une nouvelle valeur sémantique, car la beauté des images dépend principalement de leur « degré d'arbitraire le plus élevé » (ibid. : 50). Or, ce degré d'arbitraire ne peut pas etre atteint si l'on fait usage de ses propres connaissances linguistiques rationnelles ; a cette fin, il est nécessaire de se laisser aller au libre écoulement de l'imagination, d'etre mené par la 'voix' qui émerge de l'inconscient. Seule la pensée libérée de la raison et des contraintes éthiques et esthétiques imposées par la société est en mesure de créer ce genre d'images surprenantes, nécessaires a une vision poétique du monde. C'est en effet le rapprochement fortuit et involontaire (donc inconscient) de deux termes distants sémantiquement qui engendre une image unique, insolite et extraordinaire (surréelle, justement!) :
C'est du rapprochement en quelque sorte fortuit des deux termes qu'a jailli une lumiére particuliěre, lumiére de l'image, á laquelle nous nous montrons infiniment sensibles. La valeur de l'image dépend de la beauté de l'étincelle obtenue ; elle est, par conséquent, fonction de la différence de potentiel entre les deux conducteurs. Lorsque cette différence existe á peine comme dans la comparaison, l'étincelle ne se produit pas. (ibid. : 49).
Pour revenir a notre incipit, la conciliation de contraires est bien présente, meme si cette pratique n'engendre pas d'images véritablement poétiques. En observant l'intégralité de la premiere séquence, il est en effet possible de repérer la présence de plusieurs oxymores du plan du contenu. Par exemple, la journée décrite en termes de manque total d'activité et de centre d'intéret possible (« tout a fait désœuvrée ») comporte en tout cas deux activités importantes du point de vue du surréalisme : en premier lieu la déambulation sans but (« sans but je poursuivais ») qui permet au sujet de l'action de se disposer en un état d'attente propice pour la réalisation du 'hasard objectif' (en ce cas, la rencontre avec Nadja) ; en deuxieme lieu, l'arret volontaire a la librairie et l'achat « du dernier ouvrage de Trotsky », ouvrage qui rappelle l'adhésion du mouvement au parti communiste. Non sans raison l'auteur du livre acheté est Trotsky, protagoniste de la révolution russe et symbole, pour Breton, de la 'révolution sociale' (inspirée des idées marxistes) que le mouvement voulait réaliser afin de bouleverser les organisations économiques et sociales déja existantes. L'absence d'action est donc relative. En outre, le sujet qui se déplace semble etre transporté par des facteurs extérieurs et ne pas opérer des choix volontaires concernant les lieux a parcourir. Ce point est mis en évidence par trois syntagmes : 1) « je me trouvais » ou le sujet de l'action semble etre agi de l'extérieur et transporté par la situation ; 2) « sans but » qui affirme de maniere explicite le manque d'une finalité a atteindre ; 3) « dans la direction de l'Opéra » qui, meme si indique le lieu final vers ou se dirige le sujet, souligne tout de meme la réalisation fortuite de ce parcours. Toutefois, malgré ce manque de direction et de détermination, le sujet manifeste quand meme sa 'volonté d'action' - / vouloir/ interrompre le flux continu et indifférencié du mouvement-promenade - par deux moments d'activité intentionnelle : l'une pragmatique (l'arret physique devant la vitrine) et l'autre cognitive (le choix et l'achat de l'ouvrage). Ici encore, deux éléments significatifs du plan du contenu coexistent en un seul énoncé : le manque d'action et de détermination (la journée désœuvrée et morne, le manque de direction précise) et en meme temps la volonté d'agir et choisir (l'arret physique et le choix cognitif). Un autre oxymore est visible au niveau de la temporalité. « Le 4 octobre dernier » est une 'annotation figurative' qui se réfere a un jour et un mois précis, relatifs a une année qui n'est pourtant jamais indiquée dans le texte (sinon dans une note ajoutée par l'auteur lors de la deuxieme édition de Nadja, en 1964). En outre, la narration par anecdotes décousues, qui ne suivent pas une évolution temporelle logique, ne permet pas de comprendre a quel moment précis de la narration précédente le texte se réfere. Un paradoxe est eréé qu'on pourrait résumer comme suit : le passé récent (exprimé exactement a travers le déictique « dernier ») ne peut pas etre précisé temporellement parce qu'il n'y a pas un ancrage temporel défini par la date ou se situe l'énonciation au présent. « Dernier » est en effet une anaphore temporelle et, comme telle, elle devrait renvoyer a quelque chose qui a déja été dit dans le texte. Vu qu'il n'est pas possible de comprendre a quel moment exact on en est dans le flux temporel logico-rationnel de la narration, le paradoxe surgit. On peut donc dire que le syntagme « le 4 octobre dernier » est une figure temporelle qui essaie de concilier une antithese du plan du contenu ou coexistent des valeurs contraires : l'exactitude et l'imprécision.
Finalement, la structure de la troisieme partie de Nadja apporte, encore une fois, un brusque changement de tonalité. En premier lieu, il n'est plus question de parler de soi dans la tentative de découvrir la véritable essence de sa propre identité (comme dans la premiere partie), ni de raconter de la rencontre avec un autre etre idéalisé (Nadja) mais tenu a distance a travers une « observation médicale »26 objective et détachée de la part du narrateur (comme dans la deuxieme partie). Ici, une fois phagocyté le personnage Nadja, un autre personnage a assimiler se présente a l'horizon du narrateur : un personnage qui reste anonyme et non identifié sinon a travers la trace énonciative de la communication laissée par le seul appellatif « Toi ». Si un dialogue existait déja de maniere concrete et tangible entre le narrateur et Nadja, ici le dialogue s'instaure directement entre le narrateur et ce Toi qui n'a meme pas le statut de personnage présent et tangible dans le texte : un Toi qui, n'intervenant jamais dans la conversation, demeure exclusivement et virtuellement a l'écoute au point qu'il faudrait parler, plutôt, de monologue caché sous forme de dialogue. De ce point de vue, on ne produit pas un simple déplacement de personnages mais on inaugure aussi une nouvelle perspective concernant la dimension des valeurs sémantiques a prendre en charge. Si Nadja représentait plus concretement la personnification des valeurs surréalistes, Toi se configure au contraire comme l'incarnation de l'amour pur, de la beauté abstraite, de l'etre idéal dépourvu d'ancrage physique et linguistique (c'est-a-dire de corps et de prénom)27. Contrairement a l'amour partiel et purement cognitif précédemment consacré a Nadja, il s'agit de mettre en valeur un amour parfait et absolu28. En deuxieme lieu, dans cette troisieme partie, on reprend la narration 'par intermittence', caractéristique de la premiere partie servant a promouvoir des pensées philosophiques et théoriques typiquement surréalistes. Dans ce cas aussi, nous retrouvons ['accumulation de passages hétérogenes cousus ensemble. Cette sensation d'arbitraire logico-consécutif est accentuée par la présence, de plus en plus insistante, de petits points de suspension ajoutés a la fin de chaque bloc graphique (reconnaissable par la présence d'un espace blanc avant et apres chaque bloc). Par conséquent, on pourrait dire que les incipit de cette derniere partie (a l'égal de ceux de la premiere) se multiplient.
Parmi eux, le premier de cette derniere partie (3eme incipit) se réfere encore une fois a l'une des dictées théoriques surréalistes par excellence, a savoir celle de l'écriture automatique, prescrite sinon presque imposée dans le Manifeste comme forme privilégiée de rattrapage de l'essence de la subjectivité ainsi que de renouveau des canons littéraires jusque-la reconnus et acceptés. Or, suivant le principe de l'écriture automatique, un texte, une fois produit d'un seul jet, devrait rester tel quel, inaltéré et sans intervention supplémentaire apportée par son auteur. C'est pourquoi, dans l'incipit de la derniere partie de Nadja, entre en jeu 'l'envie' ironique de Breton mise en scene envers tous les auteurs qui se préoccupent de la réussite de leur production artistique et de leur succes : c'est-a-dire les auteurs qui écrivent de maniere accessible et pondérée en faisant attention a utiliser des stratégies discursives efficaces et appréciées par le public :
J'envie (c'est une façon de parler) tout homme qui a le temps de préparer quelque chose comme un livre, qui, en étant venu á bout, trouve le moyen de s'intéresser au sort de cette chose ou au sort qu'apres tout cette chose lui fait. (Breton, 1964 : 173).
Au contraire, pour Breton, ce genre d'auteurs - préoccupés d'élaborer leur texte en tenant compte d'éléments superficiels tels que le style compréhensible et acceptable ou, encore moins, les détails visant a déterminer l'évolution psychologique des personnages - est mis au ban dans le Manifeste :
L'intraitable manie qui consiste á ramener l'inconnu au connu, au classable, berce les cerveaux. Le désir d'analyse l'emporte sur les sentiments. Il en résulte des exposés de longueur qui ne tirent leur force persuasive que de leur étrangeté mēme, et n'en imposent au lecteur que par l'appel á un vocabulaire abstrait, d'ailleurs assez mal défini. [...] jusqu'ici, les traits d'esprit et autres bonnes manieres nous dérobent á qui mieux mieux la véritable pensée qui se cherche elle-mēme, au lieu de s'occuper á se faire des réussites. (Breton, 1999 : 19).
Cette nécessité, répandue chez les écrivains, ne laisse pas, selon Breton, l'imagination s'exprimer librement suivant ses réelles possibilités. Pour etre libérée de toute sorte de contrainte sociale, morale et esthétique, l'imagination devrait au contraire provenir directement des forces cachées de l'esprit. En outre, en ce qui concerne les personnages utilisés dans la littérature, l'auteur affirme a plusieurs reprises détester ce type de constructions fausses et trompeuses qui ne permettent pas de percevoir leur véritable identité. En revanche, le narrateur affirme préférer le passage - a travers la structuration en dehors des normes preconçues du texte - de tout renseignement concernant la vie réelle de l'auteur et/ou du personnage, sa véritable identité et les raisons involontaires de sa maniere d'etre : bref, tout ce qui peut etre considéré comme un « document privé » « pris sur le vif » ayant une valeur humaine. En d'autres termes, ce qui compte pour Breton, dans la reconstruction de faits, actions et personnages, n'est pas la richesse et la cohésion des détails visant a déterminer une condition psychologique unique et définitive, mais la dissolution et la discontinuité d'actions et pensées au hasard, qui rendent la multiplicité des aspects d'une identité sans cesse en transformation. Afin d'éviter la possibilité d'arriver a des conclusions anticipées et en vue d'obtenir un résultat le plus que possible imprévisible, la description de faits et personnages doit renoncer a l'exhaustivité. Or, suivant ce principe, le narrateur de Nadja, en désirant « laisser surnager ce qui surnage », met au premier plan l'inconscient (par l'usage de l'écriture automatique) et fait en sorte que ce soit le texte lui-meme qui révele l'identité du narrateur, aussi bien au lecteur qu'a lui-meme. D'un autre point de vue, on peut toutefois avancer l'hypothese que Nadja ait été écrit par un narrateur-réalisateur conscient et avisé qui, volontairement, ne retrace pas fidelement les faits racontés mais, la ou c'est nécessaire, 'reformule' ou 'cache' les circonstances ou ceux-ci se sont produits, 'oublie' de citer les prénoms des personnages auxquels il se réfere réellement, 'crée' des parcours de lecture compliqués et 'utilise' volontairement des signes ambigus qui ne laissent pas aisément saisir la vérité : bref, un narrateur qui, loin d'écrire automatiquement ce qui lui vient de l'inconscient, dirige et orchestre savamment le capital discursif a sa disposition. Toutefois, il faut rappeler que ces techniques d'amélioration du texte sont mises en œuvre par Breton au seul but d'adhérer a un autre des principes primordiaux du Surréalisme : transformer la réalité quotidienne en une œuvre d'art, la vie réelle en un cryptogramme a déchiffrer, l'écriture prosastique en un texte poétique.
Ce principe organisateur concerne aussi la recherche-construction de l'identité du narrateur, anticipée, comme on l'a vu déja, par la question initiale « Qui suis-je ? ». Tout comme le reste du texte (genre indéfinissable, pensée en mouvement, souvenirs décousus, personnages instables et évanescents, etc.), la tentative de définir les traits saillants de l'identité est elle aussi 'en devenir'. Breton conçoit cette transformation permanente, en représentant un sujet de la quete toujours en mouvement aussi bien du point de vue cognitif (avec les sauts soudains des pensées et des réflexions théoriques sans continuité logique) que du point de vue pragmatique (avec les personnages qui déambulent d'un lieu a l'autre). En se posant constamment des questions sur lui-meme (« Qui suis-je ? », « qui je 'hante' ? », « Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi meme ? » « que ferais-je sans toi? »), il insiste sur un nouveau type d'identité mobile : une identité définie par une syntaxe actantielle qui, au moyen de la figure de la quete, montre un sujet qui agit et se transforme en mettant en question lui-meme et en essayant de saisir 'l'altérité' de soi par rapport aux autres (« je m'efforce, par rapport aux autres hommes, de savoir en quoi consiste, sinon a quoi tient, ma différenciation »).
Or, ce manque d'arret, de fixation définitive des traits de son identité, est repris dans une autre grande question posée dans l'explicit de la deuxieme partie du texte (celle du journal de la rencontre avec Nadja) ou l'interrogation initiale se double d'une autre encore une fois non résolue, car laissée ouverte et tendue vers une nouvelle identité a venir et en devenir :
Qui vive ? Est-ce vous Nadja ? Est-il vrai que l'au-delá, tout l'au-delá soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-měme ? (Breton, 1964 : 172).
Par cette deuxieme question, le sujet de la quete veut justement mettre en valeur non pas l'arret 'mortuaire' d'un etre qui aurait tout compris sur lui-meme, qui s'arreterait sur des certitudes et qui se trouverait définitivement contraint dans une condition d'immobilité (intellectuelle, morale et esthétique), mais au contraire l'état d'alerte (cognitive, émotionnelle et pragmatique) d'une conscience qui doit se transformer constamment par des parcours d'existence inlassablement renouvelés. C'est pourquoi le sujet surréaliste doit etre tendu vers tout ce qui peut advenir, vers tous les hasards de la vie qui peuvent transformer une vie ordinaire, plate et banale, en état extraordinaire permettant de tirer profit de la sur-réalité et de la 'poétique de l'existence'.
C'est précisément pour cette raison que, en dépit de son manque apparent de liaison, Nadja (et, par la force des choses, également ses incipit et ses explicit) est en réalité un texte orchestré jusqu'aux plus menus détails : un texte ou chaque page, chaque commentaire, chaque mot doivent etre lus en regard des réflexions théoriques et philosophiques de l'auteur. Nadja est, en ce sens, le 'projet' d'un texte a venir, un nouveau type de texte qui n'est pas encore classifiable : un livre « qu'on laisse battant comme [une] porte »29, un livre ouvert qui se clôt - sans se réaliser - sur d'autres questionnements (« Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-meme ? ») ; un livre qui, dans l'explicit de la troisieme partie du texte, au lieu de se clore, s'ouvre encore une fois sur un fait divers duquel on ne connaît pas l'issue finale
« X..., 26 decembre. L'opérateur chargé de la station de télégraphie sans fil située á L'Île de Sable, a capté un fragment de message [...] L'opérateur a cru pouvoir localiser l'avion dans un rayon de 80 kilometres autour de L'Île de Sable. » (Breton, 1964 : 190, en italique dans le texte)
et sur une affirmation succincte :
La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas (Ibid.)
Voici l'amorce d'une affirmation, bien plus complexe et amplifiée, qu'on va retrouver dans un autre livre, L'amour fou, écrit quelque temps apres Nadja (en 1937) :
La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle ou ne sera pas. (Breton, 1976 : 26).
Pour conclure, Nadja est un texte ou les rencontres sont toujours a refaire et les questions posées ne trouvent pas de réponses, mais engendrent d'autres questions : c'est-a-dire un texte ou la valeur esthétique de la création littéraire réside dans l'inachevé, dans ce qui s'autodétruit afin de se recréer infiniment30. Et les incipit et les explicit de Nadja n'échappent pas a cette structure dynamique.
Licia Taverna est docteur de recherche en Méthodologies d'analyse des textes littéraires. Elle a enseigné la littérature et la culture française dans plusieurs universités, en Estonie, notamment a l'Université de Tartu et a l'Université de Tallinn. Dans ces deux universités, elle a organisé plusieurs colloques interdisciplinaires de relevance internationale. Sémiologue de formation, elle a écrit de nombreux essais sur le Surréalisme et sur la dimension spatio-temporelle des textes littéraires du XIXe et du XXe siecle français. Parmi ses domaines de recherche, on peut citer également l'analyse des textes liminaires et la traduction intersémiotique.
Notes
1. L'incipit est un lieu capital du texte qui a plusieurs fonctions : 1) du point de vue spatial, il signale la voie d'acces obligée par laquelle le lecteur 'entre' dans l'univers sémiotique inconnu et 'extra-ordinaire' (le 'monde possible') du texte qu'il s'apprete a lire ; 2) par conséquent, du point de vue temporel, il marque une sorte de frontiere entre un avant et un apres cognitif aussi bien du lecteur (et de son bagage culturel jusque-la acquis) que de la production artistique et littéraire de l'auteur ; 3) du point de vue aspectuel, l'incipit manifeste alors un moment inchoatif censé capturer et retenir l'attention du lecteur et engage, en meme temps, une tension cognitive vers ce qui va se produire par la suite ; 4) finalement, du point de vue structural, l'incipit anticipe déja des traits stylistiques et sémiotiques caractérisant toute l'organisation formelle du texte.
2. La premiere édition de Nadja date de 1928. Elle fut publiée dans la collection Blanche de La Nouvelle Revue Française. Dans le présent article je fais référence a la nouvelle édition publiée chez Gallimard en 1964 revue par l'auteur lui-meme et enrichie d'un « Avant-dire (dépeche retardée) ».
3. La bibliographie des études critiques sur Nadja de Breton est vaste et les articles et les volumes consacrés a ce texte sont innombrables. Cf., entre autres, Crastre, 1971 ; Navarri, 1986 ; Née, 1993 ; Barbarant, 1994 ; Mourier-Casile, 1994 ; Hubert et Bernier, 2002.
4. Comme le remarquent Alain et Odette Virmaux, « on admet sans trop de mal que [les] œuvres [de Breton] rompent avec les formes jusque-la en vigueur [...] Que Nadja ou L'Amour fou ne sont ni des romans, ni des confessions, ni quoi que ce soit de répertorié » (Virmaux, 1987 : 68-69). Les deux critiques soutiennent que, grâce a cela, l'œuvre de Breton acquiert un nouveau statut qui la rend unique dans son genre : « on a fini par reconnaître le caractere unique de cette œuvre [qui] s'est imposée comme un bloc, comme l'expression d'une personnalité hors norme » (Ibid. : 68).
5. Dans les études consacrées a ce sujet, le contrepoint réfléchi (comme dans un jeu de miroir) de l'incipit est l'explicit qui le clôt et boucle ainsi le cercle.
6. A plusieurs reprises, dans Nadja, le lecteur prend la mesure que l'incipit est un élément sur lequel Breton lui-meme a beaucoup réfléchi. Par exemple, l'avenement du personnage principal, présent seulement dans la partie centrale du texte, est anticipé, a la fin de la premiere partie, comme « l'entrée en scene de Nadja » (Breton, 1964 : 67), c'est-a-dire comme un véritable incipit théátral. On peut remarquer aussi que le nom du personnage est choisi suivant ce principe : « Elle me dit son nom, celui qu'elle s'est choisi : °Nadja, parce qu'en russe c'est le commencement du mot espérance, et parce que ce n'en est que le commencement." » (Ibid. : 75).
7. L'édition originale du premier Manifeste du surréalisme, écrite sous forme d'introduction a Poisson soluble, fut publiée pour la premiere fois en 1924 aux éditions du Sagittaire (maintenant cf. Breton, 1999).
8. Â ce propos, cf. Steinmetz, 1991.
9. C'est en 1955, aux éditions Sagittaire et au Club français du livre, qu'il publie l'œuvre complete Les Manifestes du surrealisme, comprenant les trois premiers manifestes (de 1924, 1930 et 1942) et, en plus, Du Surrealisme en ses œuvres vives, que l'on peut considérer comme son dernier manifeste.
10. Â cause de ce changement de direction (ainsi que de tous les autres qui caractériserent l'évolution du mouvement) beaucoup d'opposants ont accusé Breton d'incohérence, en lui reprochant des contradictions aussi bien dans sa personnalité que dans les étapes du développement de la théorie surréaliste. Toutefois, celui-ci demeure un point controversé qui a été débattu par les sympathisants et les adversaires. De mon point de vue, l'idée de changement, d'évolution et de progression continue est une composante primordiale du programme théorique de Breton, selon lequel rien ne peut (et doit) demeurer tel quel, sous peine de mourir artistiquement, intellectuellement et socialement.
11. La question de l'intertextualité s'établissant entre le premier Manifeste et Nadja est trop complexe pour etre prise en compte de maniere exhaustive dans cette courte contribution. Cf. toutefois, a ce propos, Taverna, 2005.
12. Beaujour, 1967.
13. Breton, 1964 : 20
14. En outre, aussi bien le style utilise que l'organisation du sens contribuent a créer cette nouvelle forme d'harmonie textuelle visant a confirmer les principes théoriques, éthiques, idéologiques et esthétiques avancés par Breton. Ce style particulier et ce type d'organisation textuelle sont tellement enracinés chez Breton qu'ils peuvent étre repérés non seulement dans les œuvres théoriques ou dans celles artistiques, mais aussi dans un 'simple' échange épistolaire. Cf. Taverna, 2004b.
15. Breton, 1964 : 23-24.
16. Ibid. : 173-177.
17. Ibid. : 24.
18. Cette période va du « 4 octobre dernier » (Ibid. : 71) jour de la premiere rencontre fortuite, au 12 octobre, moment ou la passion arrive a son paroxysme, mais a partir duquel commence la chute affective et cognitive.
19. Nadja est le fruit d'une rencontre fortuite rendue possible grâce a la déambulation sans but réalisée par le narrateur dans les rues de la ville. Or, la déambulation est la condition nécessaire pour donner vie au concept de hasard objectif, c'est-a-dire l'élément le plus arbitraire qui puisse exister : le lieu ou le hasard et les coincidences se rencontrent suivant un processus absolument irrationnel qui désoriente l'esprit et qui permet d'atteindre un degré de liberté tel que subjectif et objectif se confondent jusqu'a bouleverser la sensibilité commune et a transformer la vraie vie en poésie. Nadja est en outre l'incarnation de l'état de folie, considérée comme l'expression majeure de la libération absolue de l'homme par rapport a toute sorte de contrainte intérieure et extérieure : subjective, cognitive, sensorielle, sociale, éthique, esthétique, artistique, linguistique. En étant une folle, Nadja est - selon les criteres surréalistes - une personne dont l'inconscient se manifeste librement et est promu au rang d'entité consciemment sentie et vécue : une personne qui, libérée de toute sorte de contraintes extérieures et intérieures, arrive a faire 'fusionner' la vie réelle et l'imaginaire ; bref, une personne qui a une vision du monde profondément poétique, parce que, dans le surréalisme, l'éloge de la folie n'est pas une fin en soi, mais la promotion d'un certain type de 'folie', plus conceptuelle, plus spirituelle, synonyme de génie poétique.
20. Cette troisieme partie est un prétexte pour faire l'éloge d'une esthétique et d'une poétique toutes surréalistes ou la beauté joue un rôle fondamental.
21. Un des principes essentiels du Surréalisme est, au contraire, d'écrire d'un seul jet, sans se préoccuper ni de la 'beauté' esthétique du texte ni de sa réception.
22. Breton, 1964 : 69.
23. Ibid. : 24.
24. D'autant plus que ce processus de prise de conscience et ¿'affirmation de sa propre identité (concernant le 'moi' surréaliste de Breton) devient progressivement une nouvelle identité collective (concernant le 'groupe' surréaliste).
25. La déambulation sans but est l'une des techniques d'exploration du 'moi' qui s'est imposée des le début du mouvement. Au cours d'un entretien radiophonique avec André Parinaud en 1952, Breton raconte que vers 1923, quand encore le véritable mouvement surréaliste n'existait pas, dans le désir d'entreprendre une nouvelle « grande aventure » spirituelle, Louis Aragon, Max Morise, Roger Vitrac et lui déciderent de commencer une « déambulation a quatre » qui les aurait conduit en un voyage a pied au caractere initiatique : « °lâchez tout, partez sur les routes" c'est mon theme d'exhortation de l'époque [...] Mais sur quelles routes partir ? Des routes matérielles c'était peu probable ; Des routes spirituelles, nous les voyions mal. Toujours est-il que ces deux sortes de routes, l'idée nous vint de les combiner [...] Il est convenu que nous irons au hasard a pieds [...] L'absence de tout but nous retranche tout vite de la réalité, fait lever sous nos pas des phantasmes de plus en plus nombreux, de plus en plus inquiétants. L'irritation guette et meme il advient, entre Aragon et Vitrac, que la violence intervienne. Tout compte fait, exploration nullement décevante, quelle qu'ait été l'exigui'té de son rayon, parce qu'exploration aux confins de la vie éveillée et de la vie de reve, par la on ne peut plus dans le style de nos préoccupations d'alors » (Breton, 1952 : 61).
26. Breton, 1964 : 6. C'est ce qui affirme l'auteur dans la préface qu'il ajouta a la deuxieme édition de 1964 de Nadja. Cf. Taverna, 2006a pour une analyse détaillée de cette préface et de la maniere dont elle s'articule aussi bien avec Nadja qu'avec le Manifeste qui la précede.
27. Il n'est pas inutile de souligner le parcours figuratif mis en œuvre par le narrateur dans la représentation des personnages et dans la constitution des valeurs qui les subsument : si Nadja est conçue avec un nom propre, le personnage Toi devient plus évanescent et abstrait et, d'un point de vue sémiotique, se rapproche davantage a des thématiques et a des actants plus essentiels et universels.
28. L'amour absolu est l'une des constantes de la pensée surréaliste : il est considéré comme un vecteur privilégié de surréalité. Selon Breton, la condition indispensable de l'amour est la monogamie, l'amour absolu, l'amour fou, en définitive l'amour idéal, électif et exclusif, consacré a la femme idéale, la femme en tant qu' « etre supreme » et sublime. Grâce a l'amour entre une femme et un homme, il est possible d'atteindre la 'vraie' qualité de la vie, ou tous les contraires sont annulés, y compris l'opposition ente le corps et l'esprit. Cet amour doit etre absolu afin d'effacer la séparation entre deux etres amoureux qui doivent se fondre en une seule unité. C'est la raison pour laquelle l'amour est capable de réconcilier l'homme avec l'idée de 'vie véritable' et sur-réelle.
29. Breton, 1964 : 18.
30. Cf., a ce propos, Blanchot, 1967.
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Abstract
Dans cet essai, j'analyse Nadja de Breton afin de montrer que la complexité de sa structure et de son incipit vont de pair: l'une et l'autre faisant partie intégrante d'une conception innovatrice de l'écriture. Plus particulierement, l'auteur renonce a une idée standard d'incipit unique et ancré en début de texte en faveur d'une vision dynamique qui permet de le multiplier. Cette multiplication de l'incipit est liée a trois facteurs clefs : 1) une structure apparemment éclatée, fondée sur une interminable transformation (de style, de genre, de sujets traités, etc.) ou une continuité logico-temporelle est en partie abolie en faveur d'une progression discontinue et fluctuante ; 2) l'effacement des frontieres établissant un seul genre littéraire (Nadja étant a la fois un récit de vie, un roman, un journal, un traité philosophique, un manifeste théorique, le récit de la faillite d'un amour et un dialogue d'amour) ; 3) l'instauration d'un dialogue intertextuel entre Nadja et le Manifeste du Surréalisme permettant de plonger le sujet de l'énonciation aussi bien dans une prémisse théorique déja anticipée ailleurs, que dans le début d'un programme narratif indépendant. En définitive, la réitération du rite du commencement chez Nadja confirme la nécessité, selon Breton, de penser la littérature (et la vie) comme un réservoir inépuisable de possibilités ou rien ne peut etre donné comme évident et acquis une fois pour toutes, peine la mort littéraire, intellectuelle, morale.