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D'après Mudimbe (1988:94), l'influence incontestable de Leopold Sedar Senghor sur l'intelligentsia noire notamment francophone n'empêche pas qu'il soit de tous les penseurs africains le plus vilipendé. Distanciation et rapprochement, tels sont les termes qui résument, sous cet angle, l'héritage du premier président sénégalais, cofondateur avec Aimé Césaire et Léon-Gontran Damas de la Négritude. Ainsi que l'asserte encore l'auteur de The Invention of Africa, Senghor est devenu un mythe qui ne cesse de provoquer la polémique (Mudimbe 1988: 94). Pour sa part, Arman (2006: 129-13 1) postule que la Négritude est une idéologie rétrograde et coloniale dont les socles ont été érigés par des penseurs racistes occidentaux bien avant Senghor, Césaire et Damas. Inscrits dans la logique de ces réflexions, les bilans dressés par Ateba (2006), Namaïwa (2006), Brunei et al. (2006), Sossou (2006) et Diagne (2006), à l'occasion du centenaire de la naissance de Senghor, sont autant d'éléments qui affirment la destinée contradictoire de ce poète, philosophe et président.
Se rangeant souvent à l'avis des accusateurs ardents de Senghor, la romancière camerounaise Calixthe Beyala, dans Femme nue, femme noire (2003), s'appuie pourtant sur le renom de ce dernier dans son projet de dépoétiser le portrait idéalisé de la femme africaine tel que dépeint par son aîné dans "Femme noire" (1945 [1964]). D'emblée, le projet de Beyala dans Femme nue, femme noire se place sous le double signe de la dénonciation et de la filiation, autrement dit sous le trait de l'héritage ambivalent de Senghor. Dès son premier récit, C'est le soleil qui m'a brûlée (1987), jusqu'au plus récent, L'Homme qui m'offrait le ciel (2007), Beyala s'est révélée peu réfractaire à la pratique de la parothe, et partant à l'influence d'autres écrivains. Cette tendance inscrit les textes de Beyala dans un réseau discursif avec le déjà-écrit et les discours à construire puisqu'elle favorise en permanence le dialogue tant avec les textes antérieurs d'autrui qu'avec les textes à venir. Du reste, en raison de l'exploitation systématique que les romans de Beyala font de l'oralité (légendes, mythes, contes, proverbes, énigmes, dictons, idiome indigène, parlers régionaux, entre autres), ils s'associent au même phénomène de réseau discursif baptisé souvent "dialogisme bakhtinien," "intertextualité" ou "transtextualité." Pour Kristeva (1969:84-85), "Le mot (le texte) est un croisement de mots (textes) où on lit...