Abstract: The question that leads to the development of this article concerns the capacity of Gadamer's philosophical Hermeneutics to provide a critical approach to a key issue in our contemporary thinking: the linguistic character of our world's experience. Taking as a starting point the third part of Gadamer's Truth and Method dedicated particularly to this issue, this article intends to present that asserting the co-originarity between thinking, language and phenomena, as Gadamer does it convincingly, doesn't imply the exclusion of any form of inner critical distanciation. Thoroughly analyzing the phenomena of the translation and text, this article proves that the reflective capacity of a hermeneutical consciousness of the language is finally based on the dialectic of question and answer, commanding our relation with historical tradition, and on existential vigilance.
Keywords: Hans-Georg Gadamer, Hermeneutics, language experience, critical distanciation, translation, text, consciousness of language.
Une analyse de la distanciation et des configurations qu'elle comporte dans l'expérience du langage, qui fait l'objet du dernier volet de l'oeuvre maÎtresse de Hans-Georg Gadamer - Vérité et méthode, peut* aisément donner l'impression qu'elle**manque de raisons. A première vue, on comprend difficilement quel rôle peut jouer l'idée de distanciation et son corollaire critique dans la théorie gadamérienne qui table sur l'intimité originaire entre le penser et le parler, et de plus sur la cooriginairité, dans leur manifestation, des choses et de la langue. En effet, « le tournant ontologique pris par l'herméneutique sous la conduite du langage » - qui fait l'intitulé de la troisième partie de Vérité et Méthode - se manifeste, selon Gadamer, comme un renforcement de l'unité entre le penser humain et le monde, unité effective dans le miroir du langage. C'est ici que Gadamer affirme sans hésitations l'inséparabilité de la langue et du monde dans l'événement de la compréhension, c'est toujours ici qu'il prend la langue pour centre qui déploie la totalité de notre expérience herméneutique du monde. Alors, qu'en est-il de la distance et de son fonctionnement critique dans cette expérience linguistique, unitaire, et, partant, herméneutique et universelle ?
En fait, c'est Gadamer lui-même qui nous fournit les raisons de persévérer avec cette analyse : dans un texte de 1953, Gadamer soutenait, avant de voir dans la distance temporelle une solution au problème critique de l'herméneutique1, qu' « il n'y a pas de moyen permettant de distinguer ce qu'il y a de vrai ou de faux en elles [dans les sciences humaines], sinon celui dont elles se servent elles-mêmes : les logoi, les discours » (Gadamer 1993, 43 ; Gadamer 1996 b, 71). Le langage, qui constitue la trame de notre expérience du monde, a-t-il donc la capacité de prendre distance par rapport à lui-même et sous quelle forme cela se fait-il ? Pour concevoir donc toute forme de rapport critique possible à l'intérieur du langage, ne faut-il pas interroger les diverses configurations de la distanciation linguistique ? Deuxièmement, il y a encore un indice précieux qui dirige notre effort interprétatif vers le domaine du langage : en effet, à la fin du sous-chapitre qui porte sur le problème herméneutique de l' « application », donc dans la deuxième partie de Vérité et méthode, Gadamer fait cette remarque importante, dans une note de bas de page, lors de la publication de la cinquième édition de son ouvrage. Il affirme donc que « [c']est seulement dans la troisième partie de cet ouvrage qu'a lieu, bien que l'on n'ait pas cessé de l'avoir en vue, l'extension de la perspective au langage et au dialogue - et ainsi la version fondamentale de ce que sont éloignement [Abstand] et altérité [Andersheit] » (Gadamer 1990, 316 ; Gadamer 1996, 333).
C'est une position intéressante pour notre propos par les questions qu'elle suscite : suite à cette affirmation, nous nous demandons tout d'abord si la distance temporelle, qui rendait possible, à l'intérieur de l'expérience de l'histoire, la signification herméneutique de l'éloignement et de l'altérité, trouve ici un complément (ou mieux, son fondement) ou bien s'agit-il d'une configuration nouvelle de la dimension critique. La deuxième question concerne le paradoxe apparent que comporte cette affirmation de Gadamer : comment peut-on prétendre envisager la version fondamentale de l'éloignement et de l'altérité à l'intérieur de l'expérience de la langue qui est par excellence (et c'est bien Gadamer qui nous le rappelle) une forme de médiation à la base de la continuité de l'Histoire2 ?
Nous allons donc chercher et analyser, tout au long de la phénoménologie gadamérienne du langage développée dans la troisième partie de Vérité et méthode, les diverses configurations connues par l'idée de distanciation, en insistant surtout sur les cas de la traduction et celui du texte. En insistant donc sur ces deux phénomènes linguistiques qui exposent l'entrelacs entre la familiarité et l'étrangèreté, entre l'ipséité et l'altérité, nous aimerions transformer en question une remarque faite par Habermas lors du débat avec Gadamer autour de l'universalité de l'herméneutique : est-il impossible de transcender, selon la formule de Hölderlin, le dialogue que nous sommes (Habermas 1987, 250) ? Autrement dit (et pour atténuer un peu la radicalité de la question habermasienne), est-il encore possible d'avoir une forme de réflexivité, de distance à l'intérieur de l'expérience langagière, vu « l'intimité originaire entre la pensée, le langage et ce qui se manifeste » (Deniau 2004, 30) ?
Avant de répondre à ces questions, il serait utile de mentionner que c'est avec l'analyse de l'expérience du langage que le phénomène de la question va se réjouir d'une attention considérable. En fait, c'est bien lui qui fait la transition entre l'expérience historique de la tradition et celle langagière, entre la tradition qui nous interpelle en tant qu'êtres historiques et la tradition langagière qui articule notre être-au-monde. Pour le dire autrement, la dialectique question-réponse exprime - à travers le monde - la parole historique de la tradition ; en fait, elle pourrait être prise pour « un archi-phénomène qui précède la distinction phénomène-langue » (Deniau 2004, 29). Révéler ce préalable interrogatif qui fait le fond de l'analyse gadamérienne est très important pour notre interprétation, puisqu'il nous assure qu'au sein de la langue, il y a toujours la possibilité d'une distanciation critique. Poser donc la question comme principe de tout horizon herméneutique3, cela revient à dire que la dimension langagière, dans son universalité, comporte cependant la capacité de réfléchir sur son propre mouvement - une conclusion qui nous permet de passer à l'analyse proprement dite de ces deux phénomènes qui saisissent l'oeuvre de la distanciation dans l'expérience du langage : la traduction et le texte.
1) La traduction et la dynamique fusionnelle du langage
A travers l'histoire de l'herméneutique, la traduction a toujours occupé une place importante ; en effet, on peut l'envisager comme le fil rouge qui parcourt et soutient tout discours herméneutique - qu'il s'agisse de l'interprétation de la Bible ou bien de la compréhension d'autrui. La traduction est également l'élément commun qui relie les herméneutiques spéciales de l'antiquité et du Moyen Age avec les herméneutiques générales qui débutent avec la pensée de Schleiermacher. On dirait même que, pour l'herméneutique, la traduction résume d'un seul coup l'objet étudié et le processus par lequel on parvient à comprendre.
Vue donc cette histoire riche en significations, il aurait été impossible pour Gadamer de ne pas prendre en compte le problème de la traduction ; en effet, il le fait au tout début de la troisième partie de Vérité et méthode, où il veut montrer la capacité du langage d'être un medium de l'expérience herméneutique. Placer la traduction au coeur d'une analyse du langage ne soulève pas de questions, car cette topique est devenue - dans les grands opus d'herméneutique - un locus communis ; mais la dis-position gadamérienne s'avère par contre problématique quand on essaie de penser les rapports possibles entre l'expérience de médiation et le processus de traduction.
A) La traduction comme « cas extrême » de l'expérience herméneutique
Tous ceux qui ont lu les romantiques gardent vif à l'esprit - en ce qui concerne la traduction - l'idée d'une différence radicale qui ne peut pas être franchie que par un saut dans la langue d'autrui ou bien par une transposition violente d'autrui dans la langue propre. Nous nous rappelons ici le paradoxe qui résumait aux yeux de Schleiermacher l'exigence de la traduction : soit « amener le lecteur à l'auteur », soit « amener l'auteur au lecteur »4. Le cas de la traduction est-il alors le plus relevant ou, au moins, est-il adéquat pour renforcer l'idée de médiation linguistique ?
Gadamer est bien conscient de tous ces défis et par conséquent, il prend la traduction pour « un cas extrême [der extreme Fall der Übersetzung] » (Gadamer 1990, 389 ; Gadamer 1996, 407) de l'expérience herméneutique ; quelle qu'il soit la manière de procéder, la traduction n'arrive finalement pas à supprimer la différence fondamentale des langues. En outre, le traducteur est obligé d'écarter toutes les obscurités du texte originel, pour rendre clair, même trop clair, sa propre expression ; en vue d'une reprise explicite, il risque ainsi de priver sa version d'expression et de résonance. Selon Gadamer, la traduction nous expose ainsi à deux périls : une différence presque irréductible et un excès de clarté [Uberhellung] (Gadamer 1990, 389 ; Gadamer 1996, 408). Est-il encore possible de convertir la traduction dans un argument pour le caractère médial du langage dans l'expérience herméneutique ? Après la lecture du fragment suivant, extrait de Vérité et méthode, peut-on continuer à voir dans la traduction un exemple relevant pour la dynamique fusionnelle du langage ?
« La différence entre la langue d'un texte et celle de l'interprète, ou l'abÎme qui sépare le traducteur de l'original, ne constitue aucunement une question secondaire. Il faut dire, au contraire, que les problèmes d'expression langagière sont déjà en réalité des problèmes que pose la compréhension même » (Gadamer 1990, 392 ; Gadamer 1996, 411).
En fait, nous devons reconnaÎtre ici le caractère subtil de la stratégie gadamérienne ; il choisit un exemple complexe qui répond à des tâches complexes. Ce qui est tout à fait vrai, car la traduction résume d'un seul trait toutes les données d'un acte véritablement herméneutique : elle met en scène la tension entre le propre et l'étranger, entre les résistances identitaires et la violence d'autrui ; elle propose également une manière d'approprier l'altérité au nom de la fidélité et de l'hospitalité langagière5. En outre, elle est un moyen de lutter contre la distance (temporelle et culturelle) et également un révélateur de celle-ci (sous la forme d'une différence axiologique), vu l'impossibilité de confirmer par adéquation son résultat. Nous pourrions même dire que la traduction reflète fidèlement (comme une mise en abÎme) le lieu de l'herméneutique que Gadamer situait entre l'étrangeté et la familiarité, entre « l'objectivité distante du savoir historique et l'appartenance à une tradition » (Gadamer 1990, 300 ; Gadamer 1996, 317). A cette structure complexe, Gadamer rattache des tâches complexes : en effet, il voit dans la traduction un élément herméneutique qui met en relation, ou, mieux, en dialogue, deux langues étrangères ; de plus, la traduction (des textes) réussit à faire voir « la chose du texte » comme une pro-position de sens qui réunit, par l'effort d'un truchement, texte et lecteur.
B) « Toute traduction est déjà interprétation »
Tout cet effort est déployé en vue d'un seul but : rapprocher, voire même identifier les processus de la compréhension-interprétation avec celui de la traduction, car une fois confondus, ils révéleraient deux choses très importantes aux yeux de Gadamer : premièrement, la compréhension langagière n'est pas immédiate, puisqu'elle suppose, comme la traduction, une médiation de termes sous la coupole de l'élément langagier (Sprachlichkeit) ; deuxièmement, en confrontant traduction et compréhension, Gadamer cherche à montrer comment il est encore possible de garder une conscience langagière au milieu d'une expérience linguistique médiale et universelle.
En superposant traduction et compréhension et en tablant sur « la conscience douloureuse de la distance » qui habite le traducteur, il quêtait à assurer pour l'expérience langagière une dimension critique dépourvue de méthode. Pour rendre donc le caractère explicite ou sinon ardu de la médiation langagière, Gadamer se sert d'un argument à trois temps : il prend tout d'abord ses distances envers le modèle romantique de la traduction et il poursuit ensuite la comparaison entre le traducteur et la compréhension à deux niveaux : celui du dialogue et celui du texte.
Pour quelqu'un déjà familier avec la critique gadamérienne de Schleiermacher développée dans la première et la deuxième partie de Vérité et méthode, les considérations qu'on rencontre ici ont le caractère des redites : ainsi, la traduction ne s'appuie pas sur un moment de co-génialité, elle n'est pas « la simple résurrection du processus psychologique originel » (Gadamer 1990, 389; Gadamer 1996, 407) ; finalement, il faut comprendre que le traducteur ne cherche pas à « se mettre entièrement à la place de [l']auteur » (Gadamer 1990, 390 ; Gadamer 1996, 408). Ce genre de remarques critiques sont destinées à donner sens et « corps » à l'idée de médiation : car si la traduction ne remplace pas la voix de l'auteur, elle s'obstine par contre à rendre claire la chose même dont le texte parle, la chose - et là on voit la pensée gadamérienne à l'oeuvre - qui se constitue comme enjeu commun qui lie le texte à l'interprète. Au modèle romantique de la traduction qui reposait sur l'effet de la trans-position, Gadamer en oppose donc un autre qui table sur l'idée de médiation, de rencontre.
Mais il ne faut pas en déduire que la traduction est un processus qui va de soi - ce que montre Gadamer lorsqu'il essaie de comparer la traduction avec l'entente. Bien au contraire, la traduction entre deux langues étrangères est envisagée comme une perturbation ou comme une complication de l'entente ; cependant, comme toute « pathologie » depuis Nietzsche et Freud, elle jette une nouvelle lumière sur ses propres conditions de possibilité. C'est ainsi qu'on saisit d'abord le fond qui rend possible la traduction entre deux interlocuteurs étrangers : en effet, « [l]e cas de la traduction fait prendre conscience que l'élément langagier [Sprachlichkeit] est le médiateur grâce auquel on s'entend, puisqu'il faut le créer avec art, ce que l'on ne peut attendre que d'une médiation explicite » (Gadamer 1990, 388 ; Gadamer 1996, 406). Pour le dire autrement, lorsqu'une traduction est nécessaire entre deux interlocuteurs, on voit clairement la distance entre le sens primaire et son interprétation6 et également l'effort fourni ou développé avec art en vue de l'entente. De plus, Gadamer nous montre que cette distance se déploie, lors de la traduction, sur un fond langagier : seul le préalable de la Sprachlichkeit rend possible une entente entre deux langues étrangères.
Cette image anatomique, figée et décomposée de l'entente - qui nous a été fournie par l'analogie avec le processus de la traduction - ne doit pas nous tromper sur les intentions de Gadamer. Pour le dire encore une fois, son propos est de montrer, en superposant traduction et interprétation, que l'entente [Verständigung], malgré son caractère événementiel et langagier, comporte toujours un moment critique - rendu ici par l'idée de distance.
En effet, il nous livre d'un seul coup la clé de l'appropriation (« Le langage est le milieu dans lequel se réalise l'entente entre les partenaires et l'accord sur la chose même »), tout en le doublant d'un critique délesté de méthode (« Le problème herméneutique est donc celui que pose, non pas la véritable maÎtrise d'une langue, mais la qualité de l'entente sur quelque chose, à laquelle on parvient dans ce milieu qu'est la langue ») (Gadamer 1990, 388 ; Gadamer 1996, 407). Afin donc d'assurer cette qualité de l'entente qui relève de l'art, qui suppose un travail ardu et la maÎtrise d'une distance à combler à jamais, Gadamer voit dans toute traduction une interprétation et il reconnaÎt dans toute interprétation l'effort de rencontrer autrui dans un monde langagier commun :
« Le processus langagier particulièrement instructif à cet égard est celui où la traduction et la transposition assurent la possibilité d'un dialogue en deux langues étrangères l'une à l'autre. Ici le traducteur a pour tâche de transposer le sens à comprendre dans le contexte où vit l'interlocuteur. Bien entendu, cela ne veut pas dire que le traducteur soit autorisé à trahir le sens que l'autre a en vue. Ce sens doit être, au contraire, conservé ; mais comme il doit être compris dans le monde d'une autre langue, il y est nécessairement mis en vigueur d'une autre manière. C'est pourquoi toute traduction est déjà interprétation (Auslegung) ; on peut même dire qu'elle est toujours l'accomplissement de l'interprétation que traducteur a donnée de la parole qui lui a été proposée » (Gadamer 1990, 387-8; Gadamer 1996, 406).
L'idée devient plus claire lorsque la discussion est dirigée vers la compréhension et la traduction des textes : comme dans le premier cas, la traduction - toujours prise pour un cas extrême de la compréhension - ne fait que révéler les conditions de possibilité de celle-ci ; il s'agit bien évidemment de trois termes et de leur dynamique : aux deux partenaires qui sont engagés dans l'acte de traduction (« l'étranger - terme couvrant l'oeuvre, l'auteur, sa langue - et le lecteur destinataire de l'ouvrage traduit » (Ricoeur 2004, 8-9), on y ajoute un troisième, le traducteur et son effort d'exprimer « la chose » proposée par le texte. Cette description transcendantale de la traduction des textes est également valable - selon Gadamer - pour la compréhension des textes : une thèse assez audacieuse qui comprend deux arguments : premièrement, à un niveau général, Gadamer soutient qu'entre la tâche du traducteur et celle de l'herméneute il n'y a qu'une différence de degré et pas de nature, car les deux visent en effet de dépasser [überwinden] une « étrangeté [Fremdheit] » (par lequel on entend le texte, autrui, les signes, l'histoire).
Il est important ici de remarquer la notion allemande de Überwindung, assez maladroitement rendue en français par « dépassement ». Car, comme tout le monde le sait depuis l'essai de Heidegger, « Dépassement de la métaphysique », Überwindung ne suggère pas le devancement dans le sens d'une évolution, de progrès : tout au contraire, il nous renvoie à un tournant vers ses origines, la tentative de « faire sienne une chose en entrant plus profondément en elle et en la transposant à un niveau supérieur » (Heidegger 1958, 80). Ce qui nous permet de conclure que chez Gadamer aussi, überwinden dem Fremdheit ne s'achève pas par une logique tautologique du propre, mais par contre par une préservation de la distance « qui ne peut en définitive être abolie [unanfhebar] » (Gadamer 1990, 390 ; Gadamer 1996, 408).
C'est sur cette impossibilité commune d'abolir la distance - aussi bien dans la compréhension, que dans la tradition - que s'appuie le deuxième argument de Gadamer : en fait, il ne fait que constater, dans les deux cas, le caractère de compromis de leur résultat. Le traducteur et l'interprète, engagés dans un va-et-vient entre la langue d'accueil et la langue hôte, entre le propre et l'étranger, essaient de rendre justice, dans une langue commune, à la chose même dont le texte parle.
Par rapport à l'entente conversationnelle, le texte soumis à l'interprétation rend plus complexe la situation : il s'agit d'abord de sa nature de « manifestation de la vie fixée d'une manière durable », comme auraient dit Droysen et Dilthey, ce qui fait que le texte n'accède à la parole que par la voix de l'interprète : « ce n'est que par lui, nous dit Gadamer, que les signes écrits se métamorphosent de nouveau en sens » (Gadamer 1990, 391 ; Gadamer 1996, 409). De même pour le texte sous l'exercice de la traduction : les signes d'une langue étrangère comportent une signification seulement lorsque la chose dont le texte parle est rendue dans la langue d'accueil. Il est vrai que, pour parcourir cet « arc herméneutique » (pour employer une notion chère à P. Ricoeur), on suppose l'engagement, l'enjeu commun, la participation au sens - ce que Gadamer n'hésite pas à décrire comme une véritable « fusion d'horizons » (Gadamer 1990, 392 ; Gadamer 1996, 410) ; cependant, il ne faut pas négliger le rôle « dialectique » de la distance, car s'il n'existait pas, comment justifier alors tout cet effort et cette expérience continue et inachevée de l'appropriation ?
« L'exemple du traducteur dont la tâche est de franchir l'abÎme qui sépare les langues, fait apparaÎtre d'une façon particulièrement claire la relation mutuelle qui se déroule entre l'interprète et le texte, correspondant à la réciprocité de l'explicitation dans la conversation. Car tout traducteur est interprète. La langue étrangère ne représente qu'une aggravation de la difficulté herméneutique, celle de l'"étrangèreté" et de son dépassement. En réalité, tous les "objets" auxquels l'herméneutique traditionnelle a affaire sont étrangers dans le même sens, clairement défini du mot. Il y a une différence non de nature mais seulement de degré entre la tâche du traducteur, qui est de "rendre" le texte, et celle de toute herméneutique générale de textes » (Gadamer 1990, 391 ; Gadamer 1996, 409).
2) Le texte et les limites du langage
Pour approcher les configurations que l'idée de l'éloignement comporte avec le texte, il serait utile de s'arrêter tout d'abord sur un article de 1985, où Gadamer poursuit d'une certaine manière son débat avec Jacques Derrida7. En effet, sa réflexion sur « [l]es limites du langage » (Gadamer 1993a, 350- 361 ; Gadamer 1996b, 169-184) débute par un constat intéressant qui pourra nous orienter dans notre analyse : « D'entrée de jeu, j'aimerais faire une remarque qui indiquera déjà que le langage a ses limites. Je pense au lien intime entre le langage et l'écriture et il faut penser ici à toutes les espèces d'écritures » (Gadamer 1996b, 170).
Nous comprenons donc que c'est l'existence de l'écriture au sein du langage qui détermine cette réflexion sur les limites, spécialement par sa capacité simultanée d'aliéner le sens de ce qui est dit et de garder simultanément sa détermination langagière. Avec l'écriture, comme d'ailleurs avec la traduction, nous avons donc affaire à un phénomène extrême qui met au jour, par son fonctionnement à l'intérieur du langage (ce médiateur par excellence de l'expérience herméneutique), les limites de celui-ci. L'écriture vient ainsi confirmer une idée très importante pour l'herméneutique, selon laquelle les limites véritables se jouent en tant qu'effort de médiation, en tant qu'expérience médiale.
C'est peut être sous l'emprise de ce paradoxe apparent que nous devons entamer l'analyse de l'écrit que Gadamer lui consacre dans Vérité et méthode, dans un sous-chapitre suggestivement intitulé « l'élément langagier [Sprachlichkeit], détermination de l'objet herméneutique »8. Nous invoquons à juste titre le paradoxe ou la perplexité, car nous voyons cette analyse comme le théâtre de confrontation entre deux tendances contraires de la pensée de Gadamer : il s'agit bien sûr de son attention portée à l'héritage herméneutique romantique, d'un côté, et la radicalité de l'herméneutique heideggérienne qu'il essaie d'assumer, de l'autre côté.
Autrement dit, son analyse est portée par deux thèses fortes : une soutient la prééminence méthodique de l'écrit (Gadamer 1990, 396 ; Gadamer 1996, 414) et l'autre, reprenant une idée de Être et temps9, s'arrête plutôt sur la secondarité de l'écrit par rapport à la langue. Malgré les questions différentes auxquelles elles répondent (comment comprendre autrui, comment déchiffrer les signes de la vie de l'autre - se demandent les romantiques versus comment comprendre l'être, selon Heidegger), ces deux thèses ont cependant un corps commun (chimérique, pour l'instant, mais commun), si l'on veut voir à tout prix (comme Gadamer le veut d'ailleurs), la possibilité d'un rapport critique à l'intérieur de l'expérience de l'appropriation. Finalement, comme toute configuration de la distanciation, l'écrit met lui aussi en lumière cette dimension originaire d'un ontologique qui, dépourvu de tautologie, est doublé d'un critique délesté de méthode.
A) La prééminence méthodique de l'écrit
En ce qui concerne la prééminence méthodique que Gadamer reconnaÎt à l'écrit, il faut préciser dès le début que cette idée n'est absolument pas une reprise de la théorie de Dilthey ; comme nous l'avons déjà vu, la lecture de Gadamer est souvent critique, comme c'est également le cas ici. En fait, ce qu'il retient de l'herméneutique traditionnelle, c'est l'idée de l'aliénation que le sens subit par sa fixation dans l'écrit : par rapport au discours qui exprime au présent la chose en question tout en y impliquant ses auteurs, l'écrit se réjouit d'une certaine autonomie de sens - ce qui fait, et c'est bien là que Gadamer se sépare des romantiques, - à la fois sa faiblesse et son point fort.
Après le Phèdre de Platon, tout argument portant sur la faiblesse de l'écrit renvoie naturellement au mythe de Theuth (Platon 1950, 74-76) et aux considérations de Socrate selon lesquelles le discours écrit « est incapable, tout seul, et de se défendre et de se porter secours à lui-même » (Platon 1950, 75), en s'adressant indifféremment aux cultivés et aux ignorants. Pour Gadamer, cette faiblesse réside également dans l'étrangeté que le sens connaÎt dans le régime de l'écriture : d'une certaine manière, le discours écrit rend le sens étranger à lui-même [Selbstentfremdung] : délié des aspects de la communication, ce sens peut être identifié et plus important, répété, ce qui fait qu'on peut parler quant à l'écriture d'une certaine idéalité abstraite du langage (Gadamer 1990, 396 ; Gadamer 1996, 414).
Mais ce qui pour Platon faisait la faiblesse de l'écrit, notamment l'absence de son père, devient, aux yeux de Gadamer, un de ses points les plus forts : « la prééminence méthodique de l'écrit repose sur le fait qu'en lui le problème herméneutique émerge indépendamment de tout élément psychologique » (Gadamer 1990, 396 ; Gadamer 1996, 414-5). D'un seul geste, il combat ainsi sur plusieurs niveaux : il se dissocie de Platon qu'il va accuser plus loin d'avoir entamé l'oubli de la langue (Gadamer 1990, 422 ; Gadamer 1996, 441) et il critique également l'orientation psychologique de l'herméneutique de Schleiermacher.
En effet, dans l'existence autonome du texte, indépendante de l'auteur ou du lecteur destiné, il faut voir trois aspects essentiels : tout d'abord, la fixation par l'écrit rend accessible « une sphère de sens » (Gadamer 1990, 396 ; Gadamer 1996, 414) universellement ouverte à tous les lecteurs historiquement possibles ; délestée de tout élément psychologique (intention, émotion, expression de la vie), cette sphère de sens (qui nous rend une idée sur l' « idéalité de la parole » (Gadamer 1990, 394 ; Gadamer 1996, 412)) concentre l'attention sur ce qui est dit dans le texte et sur ce qui se dit comme effectivité de sens lors de chaque lecture. L'autonomie de sens dont se réjouit le texte rend possible le deuxième aspect de ce problème, qui a bien évidemment trait à la conscience qui lit ou la conscience qui comprend. En effet, c'est seulement après avoir souligné l'auto-aliénation et l'autonomie sémantique de l'écrit que Gadamer arrive à parler d'une souveraineté [Souveränität] de la conscience qui comprend :
« C'est dans l'écrit (Schriftlichkeit) que la langue acquiert sa véritable spiritualité, car, face à la tradition écrite, la conscience qui comprend est parvenue à sa pleine souveraineté. Dans son être, elle ne dépend de rien. Ainsi, la conscience qui lit est en possession virtuelle de son histoire. Ce n'est pas pour rien qu'avec l'essor de la littérature dans la civilisation, la conception de la "philologie", de l'amour des discours, est tombée sous la coupe de l'art qui englobe tout, l'art de lire, et a perdu son rapport originel à la culture (Pflege) du discours et de l'argumentation. La conscience qui lit est nécessairement conscience historique, une conscience liée en toute liberté à la tradition historique » (Gadamer 1990, 394-5 ; Gadamer 1996, 413, nous soulignons).
Il convient ici de remarquer l'explication apparemment paradoxale qui accompagne la notion de conscience historique [geschichtlich] : selon Gadamer, ce type de conscience en est une qui appartient - en toute liberté - à la tradition historique. Cette définition - qui rappelle bien sûr la réhabilitation de l'autorité de la tradition dont la reconnaissance est un acte de liberté et de raison - nous donne, encore une fois, un aperçu sur ce qui peut être la capacité critique d'une conscience qui « est plus être qu'être-conscient » (Gadamer 1993, 247 ; Gadamer 1982, 139). Autrement dit et en prenant le langage pour « scène de notre finitude » (Michelfelder&Palmer 1989, 1), la liberté de la conscience se joue - comme capacité de distanciation - à l'intérieur de la tradition historique. Même si l'on ne peut pas dépasser le cadre langagier qui détermine également l'objet et l'opération, la chose et la compréhension, il y a cependant une forme possible de réflexivité, une certaine distance, ce qui rend possible l'apparition d'une « conscience langagière [Sprachenwusstheit] » (Gadamer 1993, 148 ; Gadamer 1991, 60).
Le dernier aspect de l'autonomie sémantique du texte vient confirmer cette ouverture (supposée par l'écrit) vers un accomplissement de sens, toujours autre, selon la lecture. En fait, c'est justement ici que ce qui faisait la faiblesse du texte devient visiblement un de ses points les plus forts : dépourvu de son auteur, l'écrit « saisi [ainsi] dans sa pleine idéalité » en appelle à la lecture, ce qui fait du lecteur (qui historiquement est toujours différent) « l'avocat de sa prétention à la vérité » (Gadamer 1990, 398 ; Gadamer 1996, 416). Nous avons ainsi affaire à « la tâche dialectique de la compréhension » (Gadamer 1990, 398 ; Gadamer 1996, 416), car par chaque lecteur qui comprend, le sens de ce qui est dit dans le texte est renforcé d'une manière toujours autre et il est ainsi confirmé dans sa pro-position de vérité.
B) La secondarité de l'écrit par rapport à la langue
La thèse de la secondarité de l'écrit par rapport à la langue10 fait figure à part dans l'analyse de Gadamer par sa résonance heideggérienne : même si Gadamer ne fait aucun renvoi à Être et temps, placer l'écriture sous le langage véritable, qui est celui du discours [Rede], rappelle fortement les célèbres paragraphes 33 et 34 de Être et temps qui traitent l'énoncé [Aussage] de mode second d'explicitation. En fait, tout est dit dans quelques lignes révélatrices de cet ouvrage : « Le parler est existentiellement co-originaire avec l'affection et le comprendre. La compréhensivité, même antérieurement à l'explicitation appropriante, est toujours déjà articulée. Le parler est l'articulation de la compréhensivité. Il est donc déjà fondamental à l'explicitation et à l'énoncé » (Heidegger 2001, 161 ; Heidegger 1985, 129). Le parler chez Heidegger ou la langue chez Gadamer font donc le principe ontologique qui soutient et parcourt toute expression compréhensive ; vu leur caractère préalable et originaire par rapport à l'énoncé et respectivement à l'écrit, on peut s'attendre à assister ensuite à une démarche récupératrice qui viserait l'ordre ante-prédicatif. En effet, « l'intelligence herméneutique du langage »11 réside dans cet effort de récupérer la forte signification d'une expérience plus fondamentale que le discours des énoncés, plus profonde que les logoi qui entraÎnent notre « déchéance ». Finalement, cette intelligence représente l'espoir, pour Heidegger, de retrouver « derrière » les notions distorsionantes, les choses mêmes ou bien, pour Gadamer, d'appréhender « l'intimité énigmatique [rätselhafte Innigkeit] » (Gadamer 1990, 392 ; Gadamer 1996, 411) entre le penser et le parler, entre les mots et les choses.
Il est cependant important de noter également la particularité de la thèse gadamérienne : en fait, la secondarité de l'écrit par rapport à la langue n'est pas seulement donnée par l'antécédence originaire de celle-ci (par rapport à tout phénomène langagier), mais aussi par le décuplement que l'écrit introduit au sein de la langue : « Avec l'écrit [Schriftlichkeit], nous dit Gadamer, le langage se détache de son opération [Vollzug] » (Gadamer 1990, 393 ; Gadamer 1996, 412). Autrement dit, avec l'écrit, le langage ne s'accomplit plus par une compréhension discursive (l'opération dont parle Gadamer), car le texte se réjouit d'une autonomie de sens, ayant ainsi la capacité de s'adresser à tout lecteur (quoi qu'il en soit son placement historique), tout en lui conservant « la liberté de revenir à lui-même » (Gadamer 1990, 394 ; Gadamer 1996, 412).
Nous pourrions même dire que par le moyen du texte (pris pour un cas extrême de la langue, comme c'était d'ailleurs la traduction), Gadamer réussit à saisir les articulations de la médiation universelle langagière. En effet, l'écrit rapporte d'une certaine manière l'acte compréhensif immédiat, il représente, par son autonomie sémantique et par sa fixation dans les signes, un attardement (pour une meilleure prise conceptuelle) de l'événement herméneutique qui mettait, sous la même détermination langagière, objet et opération. Pour employer une distinction augustinienne souvent mentionnée par Heidegger et Gadamer, l'écrit est finalement l'actus signatus qui, reconverti en langage, fait voir l'enjeu et les structures constitutives de l'actus exercitus12 :
« C'est ainsi que se présente la tâche herméneutique quand on affaire à des textes qui sont fixés. L'écrit (Schriftlichkeit) est une forme d'auto-aliénation (Selbstentfremdung). La vaincre par la lecture du texte, voilà la tâche suprême de la compréhension. On ne peut, par exemple, voir et articuler correctement, même les purs signes d'une inscription, que lorsqu'on est en mesure de reconvertir le texte en langage » (Gadamer 1990, 394 ; Gadamer 1996, 412-3).
Conclusions
Le temps est venu de reprendre la question d'inspiration habermasienne qui a dirigé dès le début cette analyse de la distanciation dans la langue : Gadamer a-t-il réussi à montrer, à travers les exemples de la traduction et de l'écrit, qu'il existe une manière de transcender « le dialogue que nous sommes » ? Les configurations de la distanciation, rendues visibles par ces cas extrêmes de la langue : la traduction et l'écrit - arrivent-ils à déterminer d'une manière cohérente un domaine du critique dépourvu de méthode, le revers d'un ontologique de l'appartenance ouvert à la différence ? Car si, selon Gadamer, on superpose « l'unité intime du mot et de la chose » (Gadamer 1990, 406 ; Gadamer 1996, 425) à « l'intimité énigmatique » (Gadamer 1990, 392 ; Gadamer 1996, 411) entre le parler et le penser, resteil encore des moyens - non pas pour se soustraire à la Sprachlichkeit (dont la transcendance est impossible), mais pour garder une certaine distance (à l'intérieur de la langue parlée) et répondre ainsi aux questions critiques (comment comprendre une tradition étrangère ou concurrente, par exemple) ? Au moins, cela est-il « le désir »13 de Gadamer :
« Ainsi, se démontre cette généralité d'un ordre supérieur, qui permet à la raison de s'élever au-delà des frontières de toute constitution langagière donnée. L'expérience herméneutique est le correctif [Korrektif] grâce auquel la raison pensante se soustrait [entzieht] à l'empire de l'élément langagier, mais elle a à son tour une constitution langagière » (Gadamer 1976, 250-251).
Finalement, la conscience du langage dont Gadamer va parler après la parution de Vérité et méthode se nourrit entièrement de ces configurations de la distanciation que nous venons d'analyser ; car c'est le phénomène de la traduction et de l'écrit qui nous rend visible la distance infranchissable entre le dire / le texte de l'autre et notre interprétation. Puisqu'il y a des traditions étrangères et des textes qui nous interpellent à travers les époques, nous pouvons conclure que la conscience du langage abrite, en tant que rapport critique, la possibilité de l'éveil [erweckbar] (Gadamer 1990, 398; Gadamer 1996, 416) et de la vigilance.
** Ce travail a été soutenu par CNCSIS-UEFISCSU, projet numéro PN II-RU 26/2010.
1 Gadamer, Hans-Georg. 1996a. Le problème de la conscience historique. Paris : Seuil, p. 87 : « Ce n'est que grâce au phénomène de la "distance temporelle" et à la clarification de son concept que l'on pourrait s'acquitter de la tâche proprement critique de l'herméneutique, c'est-à-dire distinguer les préjugés qui aveuglent de ceux qui éclairent, les préjuges faux des préjugés vrais ».
2 Voir par exemple les propos faits par Gadamer lui-même dans « La continuité dans l'Histoire », dans Gadamer, Hans-Georg. 1995. Langage et vérité. Paris : Gallimard, p. 81.
3 Gadamer, Hans-Georg. 1990. Wahrheit und Methode. Grundzüge einer philosophischen Hermeneutik. Tübingen : J.C.B. Mohr, p. 375 ; Gadamer, Hans-Georg. 1996. Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique. Paris : Seuil, p. 393 : « Dans ce sens, l'interprétation contient toujours une référence essentielle à la question posée à quelqu'un. Comprendre un texte, c'est comprendre cette question. Or, cela se produit, comme nous l'avons montré, en acquérant l'horizon herméneutique. Cet horizon nous apparaÎt maintenant comme l'horizon d'interrogation, à l'intérieur duquel se détermine l'orientation sémantique du texte ».
4 Schleiermacher, Fr. 1999. Des différentes méthodes du traduire. Über die verschiedenen Methoden des Übersetzens, édition bilingue, trad. A. Berman. Paris: Seuil. Pour des commentaires remarquables, voir le beau livre de Berman, A. 1995. L'épreuve de l'étranger. Paris : Gallimard et également Ricoeur, P. 2004. « Défiet bonheur de la traduction », Sur la traduction. Paris : Bayard, p. 7-20.
5 Voir l'excellente étude de Ricoeur, P. 2004. p. 19, à qui on doit d'ailleurs la notion d' « hospitalité langagière » qu'il définit dans les termes suivants : « En avouant et en assumant l'irréductibilité de la paire du propre et de l'étranger, le traducteur trouve sa récompense dans la reconnaissance du statut indépassable de dialogicité de l'acte de traduire comme l'horizon raisonnable du désir de traduire. En dépit de l'agonistique qui dramatise la tâche du traducteur, celui-ci peut trouver son bonheur dans ce que j'aimerais appeler l'hospitalité langagière ».
6 Gadamer, Hans-Georg. 1990. Wahrheit und Methode. Grundzüge einer philosophischen Hermeneutik. Tübingen : J.C.B. Mohr, p. 388 ; Gadamer, Hans-Georg. 1996. Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique. Paris : Seuil, p. 406 : « Quand une traduction est nécessaire, il faut s'accommoder de la distance [Abstand] qui existe entre l'esprit correspondant à la lettre de ce qui a été dit et celui de son interprétation ; distance que l'on ne réussit jamais à combler [Seine Überwindung gelingt nie ganz]» [n. soulignons].
7 En 1981, à l'Institut Goethe de Paris, la rencontre qui devrait engager dans un dialogue fécond les deux grandes voix de la philosophie allemande et française de l'époque, Gadamer (et son herméneutique philosophique) et J. Derrida (et sa déconstruction) n'a débouché que sur un échec : en fait, jalonner leur « confrontation », c'est assister à un dialogue inégal et provocant, où l'on est surpris d'abord par la position apparemment « hors combat » de Derrida : il faut ainsi rappeler qu'après la conférence inaugurale de ce colloque de Paris, prononcée par Gadamer et portant sur un thème commun à l'herméneutique et à la destruction - « Texte et interprétation » - Derrida lui a répondu en formulant trois petites questions, pour continuer par une communication qui s'abstenait de tout renvoi à l'herméneutique ou à Gadamer. Pour le dire brièvement, la polémique entre Gadamer et Derrida est hantée par le spectre de la métaphysique : à l'heure où l'on sonnait le glas de l'esprit métaphysique, accuser quelqu'un de le faire ressusciter était un blâme assez grave : c'est ce que fait finalement Derrida contre Gadamer : à ses yeux, l'universalité de l'herméneutique qui se cache sous la figure gadamérienne « innocente » de la « bonne volonté de comprendre » (une supposition en fait de tout acte compréhensif) n'est qu'une expression sournoise d'un projet totalitaire, et, partant, métaphysique d'approprier le sens selon le paradigme du propre, tout en ignorant la pensée de la différence et d'autrui.
8 Gadamer, Hans-Georg. 1990. Wahrheit und Methode. Grundzüge einer philosophischen Hermeneutik. Tübingen : J.C.B. Mohr, p. 393-399 ; Gadamer, Hans-Georg. 1996. Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique. Paris : Seuil, p. 411-418. Il faut préciser ici que l'objet herméneutique par excellence est, comme nous le confirme Gadamer, tout écrit ou, plus simplement dit, le texte.
9 Heidegger, Martin. 2001. Sein und Zeit. Tübingen : Max Niemeyer, p. 153 ; Heidegger, Martin. 1985. Être et temps. trad. E. Martineau. Paris : Authentica, p. 125, § 33, « L'énoncé comme mode second de l'explicitation ».
10 La secondarité de l'écrit par rapport à la langue contredit violement l'archi-primordialité que Derrida accorde à l'écriture, à la trace écrite. Pour ce sujet, voir Jankovic, J. 2003. Audelà du signe. Gadamer et Derrida. Le dépassement herméneutique et deconstructiviste du Dasein. Paris : Harmattan.
11 Grondin, Jean. 1999. « L'intelligence herméneutique du langage », L'horizon herméneutique de la pensée contemporaine. Paris : Cerf, p. 254-255.
12 Concernant cette distinction chez Heidegger, voir le commentaire de Gadamer, Hans- Georg. 2002. « La théologie de Marbourg », Les chemins de Heidegger. Paris : Vrin, p. 43 ; chez Gadamer, cette différence reçoit un commentaire généreux de la part de Grondin, Jean. 1993. L'horizon herméneutique de la pensée contemporaine. Paris : Vrin, p. 262.
13 Gadamer, Hans-Georg. 1996b. « Les limites du langage », La philosophie herméneutique. Paris : PUF, p. 184 : « Une recherche inassouvie du mot juste - voilà bien ce qui constitue la vie propre et l'essence du langage. Ici se manifeste donc un lien intime entre l'inassouvissement de cette recherche, de ce désir (Lacan), et le fait que notre propre existence humaine s'écoule dans le temps et devant la mort ».
References
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Paul MARINESCU *
* Chercheur postdoctoral, Institut de Philosophie « Alexandru Dragomir », Société Roumaine de Phénoménologie; e-mail: [email protected]
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