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Christophe Jaffrelot et Pratinav Anil, India’s First Dictatorship: The Emergency, 1975-77, Londres, Hurst, 2020, 600 p.
Gyan Prakash, Emergency Chronicles: Indira Gandhi and Democracy’s Turning Point, Princeton, Princeton University Press, 2019, viii - 439 p.
La période de l’état d’urgence en Inde (1975-1977), ou première dictature de l’Inde, pendant le mandat du Premier ministre Indira Gandhi, a récemment suscité un regain d’intérêt dans le débat public et parmi les universitaires, en Inde et ailleurs dans le monde. De nombreux observateurs ont établi des parallèles entre la période de l’état d’urgence et le régime actuel, allant jusqu’à qualifier ce dernier d’« état d’urgence non déclaré » pour mettre en garde contre les menaces qui planeraient sur les institutions démocratiques indiennes. Jusqu’à la publication récente des deux ouvrages faisant l’objet de ce compte rendu, les travaux de recherche sur cette période étaient rares, et cet épisode d’autoritarisme restait assez mal compris.
Les auteurs respectifs, qui ont choisi le cadre de la « démocratie » afin de comprendre l’état d’urgence en Inde, remettent en cause de manière convaincante l’idée couramment partagée que cette expérience n’aurait été qu’une parenthèse dans l’histoire de la démocratie de l’Inde postcoloniale. Avec son essai controversé The Indian Ideology, Perry Anderson avait d’ailleurs déjà pointé du doigt le discours célébratoire forgé par les intellectuels indiens au sujet de la démocratie et de l’État indiens1. Les deux essais qui nous intéressent ici montrent que l’état d’urgence peut être abordé comme un révélateur des réalités et des contradictions de la « plus grande démocratie du monde ». Tandis que Christophe Jaffrelot et Pratinav Anil affirment qu’il existe une continuité fondamentale entre la démocratie indienne et l’état d’urgence, révélatrice de la « faiblesse de la culture démocratique » (p. 401) caractéristique de la période postcoloniale en Inde, Gyan Prakash détecte dans l’état d’urgence le point culminant d’une crise plus longue, s’étendant des années 1960 aux années 1980, qui a succédé aux débuts prometteurs de la République indienne.
Pour C. Jaffrelot et P. Anil, les continuités sont si nombreuses avec les périodes qui ont précédé et suivi que l’état d’urgence permet d’adopter une perspective bien plus critique pour évaluer la démocratie indienne. Des partis politiques et des institutions gouvernementales de toutes tendances ont soutenu officiellement...