Keywords: cultural transfer; Nouveau Roman; modernism; debate; liberalisation
In this article I will analyse the way in which the Nouveau Roman was imposed and received in Romania between 1967 and 1968. During this time, the main works of Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Michel Butor were translated and brought to market in a high number of copies, all with lengthy prefaces. In 1967 Alain Robbe-Grillet visited Romania where he met his audience, while at the same time, the Romanian media were debating the topic at length. Among the advocates of the Nouveau Roman were Romul Munteanu and Nicolae Balota, whereas among the contestants, there were Vladimir Streinu and Adrian Marino, whose interventions had a consistent anti-modern character (not simply conservative).
Together with structuralism, the phenomenon of 'popularisation' of the Nouveau Roman can be considered one of the main French cultural transfers, its implementation being an integral part of a significant episode of the modernity war which characterized Romanian modernity. The importance of the Nouveau Roman during the so called cultural liberalisation period is synchronous with the anamnesis of the inter-war literary modernity started by the writers of the 1960s, emphasising a clear intention to recover the time lost during Stalin's era through a connection to the West's extreme modernism. Last, but not least, as in any totalitarian political regime - and not only - the political aspect plays an important role in the way these novels were received, which skewed, influenced or even silently encourage the phenomenon (revolutions on paper hardly ever turn into real ones), highlighting the illusory nature of this written mirage, that came to Romania during a transition period: between Stalinism and Protocronism.
Dans la Roumanie des années 1965-1970, le vent d'une relative liberalisation politique ouvre la voie a des tentatives qui visent a surmonter le retard littéraire et culturel (post)stalinien. Par des méthodes parfois désespérément « révolutionnaires » les écrivains essaient de rattrapper un rendez-vous culturel perdu, on aspire, par un brouillage temporel de signe contraire, d'accélérer le mouvement, de se synchroniser et s'aligner aux dernieres modes occidentales. Dont, parmi les plus redoutables, le Nouveau Roman français. D'autant plus que cette mode répond, ne serait-ce que d'une maniere extreme - handicap oblige! - aux stratégies de redécouverte, activation et étalage du moderne que les barrieres idéologiques avaient refoulées jusqu'alors. Chassé par la porte dans les années '50, en butte a l'anatheme officiel mais convoité secretement, le moderne amorce un retour plus timide ou plus astucieux par la fenetre. Y compris par la voie stimulatrice des transferts culturels. L'importation de formes littéraires, le Nouveau Roman français en l'occurence, est considérable, la sychronisation par transplant étant doublée d'un processus d'anamnese, de retour a la modernité de l'entre-guerre, de connexion en dents de scie a celle-ci. La théorie des importations culturelles, analysée par Pascale Casanova (1999) comme partie intégrante de la dynamique littéraire de synchronisation avec ce Greenwich des capitales culturelles (voir Paris) ou la théorie des transferts culturels de Michel Espagne (1999) trouvent des applications intéressantes et atypiques dans le cas des sociétés totalitaires (voir la Roumanie communiste).
La circulation du capital culturel (Le Nouveau Roman) va ainsi favoriser l'amplification et la réinvention du potentiel créateur autochtone dans un moment de transition - qui annonce la fin d'une époque traumatisante mais qui precede un autre épisode a conséquences dramatiques (les Theses de Juillet et la résurrection protocroniste). Une certaine répulsion face a l'anachronisme et aussi le sentiment d'un déficit criant poussent a importer les nouveautés les plus audacieusess (vieilles, hélas, d'une décennie). Conséquence : une résurrection du modernisme autochtone par une connexion forcée a des formes d'un modernisme extreme. Ce qui était plus ou moins évident a l'époque c'est que cette prétendue révolution littéraire brandie par les nouveaux romanciers annonçait en fait une crise majeure, d'autonomisation excessive de l'acte littéraire dont les débuts sont fixés aujourd'hui par certains théoriciens (William Marx, par exemple) dans l'impératif autodestructif de la poétique rimbaldienne ou dans la course éperdue a l'absolu littéraire de Mallarmé. Post festum, a souligner ce paradoxe intéressant : pour se reconnecter a une modernité interdite (voir le cas roumain) on s'engage sur la piste des variantes d'un modernisme moribond, autodévoré par sa propre course a la nouveauté. La mort de l'auteur, la mort du roman par la pulvérisation de l'épique, la mort du personnage en tant qu'individualité bien définie - stimulatrices pour les nouveaux romanciers - nous apparaissent aujourd'hui comme autant de fantasmes qui ont précédé l'écroulement du modernisme sous son propre poids.
A plus forte raison, dans un climat fortement idéologisé (tel celui des années '65-'70), l'acte littéraire s'engage dans des rapports significatifs avec l'acte politique. Non seulement parce que, inévitablement, ce dernier le disloque par son brouillage permanent mais aussi parce que l'acte littéraire peut s'installer, tacitement, dans le rôle de politique littéraire en dissimulant des attributs du politique (la réalisation d'un autre type de révoluton, de sens contraire a celle proprement dite). La logique des transferts culturels va enregistrer le brouillage aussi bien que les analogies politiques-littéraires.
Dans ce qui suit nous allons nous concentrer sur les mécanismes d'importation, bien connus, d'implantation des transferts culturels. Les traductions arrivent en premier lieu (accompagnées des textes d'escorte, les préfaces), suivies des contacts d'un type spécial (rencontres avec le public, visites etc), éventuellement, enfin, des campagnes de presse favorables ou de contestation. Le Nouveau Roman a connu toutes ces formes. Il s'est infiltré en Roumanie en deux phases : de 1967 a 1968 d'abord (les échos se prolongeront jusqu'en 1969), c'est alors que sont traduits les principaux romans du genre, qu'Alain Robbe-Grillet visite la Roumanie, qu'une véritable campagne pour et contre est accueillie par la presse littéraire roumaine. La deuxieme phase se situe au milieu des années 1970 (1973-1977) et annonce une «canonisation» relative et anachronique : le fantóme du Nouveau Roman, mort et enterré en Occident renaît dans les études de certains théoriciens et traducteurs, fideles de la premiere heure du Nouveau Roman (Romul Munteanu, Irina Mavrodin). Notre éxposé s'arrete sur le premier moment, turbulent et pour cause plus intéressant sans ignorer toutefois des rapports ponctuels a la période du milieu des années '70 afin d'offrir, dans la mesure du possible, une certaine mise en miroir du phénomene durant tout son parcours.
Éditions
Plus importants que les fragments qui paraissent dans diverses publications sont les volumes parus dans les années 1967 et 1968 dans des tirages que nous serions enclins aujourd'hui a considérer fabuleuses. Les textes d'escorte affichant diverses stratégies protocolaires sont particulierement intéressants. Bien que la plupart de ces textes manifestent de la retenue - vis-a-vis d'une formule violemment révolutionnaire, parfois pour des raisons idéologiques aussi - on n'est pas sans y décéler une sorte de pacte visant a faciliter au public roumain l'acces a des acquis de la derniere heure. Tres vite, les préfaces se transformeront en véritables mini-monographies dont le but est de fixer encore mieux le profil de l'auteur et le caractere novateur de ces livres par rapport au « vieux » roman.
En 1967, paraît aux éditions EPL dans la collection « Meridiane », Les Gommes d'Alain Robbe-Grillet, dans l'excellente traduction de Dumitru Tepeneag et préfacé par Lidia Bote, une préface retenue mais nullement pour des motifs idéologiques. Le tirage est époustouflant : 30 160 exemplaires.
Selon Lidia Bote, l'un des principaux rôles de la publication du volume serait de familiariser le public roumain non seulement avec «un roman français moderne réussi» mais aussi avec l'esthétique du nouveau roman en général dont l'écriture serait «une bonne „introduction" » (Robbe-Grillet 1967 : 5). D'ou un certain caractere didactique saisissable dans la mise en relief insistante des differences par rapport au roman traditionnel. A remarquer que d'autres auteurs de préfaces vont souligner ces distinctions afin de faciliter l'acces a ces proses novatrices. La technique de la narration des Gommes, d'abord, réalisée par juxtaposition d'une suite de scenes « cinématographiques, fort bien découpées et pourtant isolées, sans osmose entre elles » vu que « les liens manquent tout a fait » (Robbe-Grillet 1967 : 8). La narration proprement dite est remplacée par « un véritable culte de la description » et par l'invasion des objets « détachés de toute participation et signification humaine » mais aussi, remarque Bote, « dépourvus de la dimension de l'espace, dépourvus de „profondeur" » (Robbe-Grillet 1967 : 8). L'auteure de la préface établit une corrélation entre ces particularités narratologiques et le behaviorisme et remarque aussi l'absence de toute tentative de psychologie ou de typologie ainsi que l'absence d'un commentaire quelconque de la part de l'auteur. Mais le doute exprimé carrément par Bote concerne la capacité de l'esprit humain de supporter cet objectivisme a outrance/poussé a l'extreme/ en raison d'une incompatibilité ontologique : « l'essence meme de l'esprit humain réside dans le fait de signifier, de découvrir des sens, d'établir des relations, de formuler des appréciations, d'émettre des jugements » (Robbe-Grillet : 11). En remettant en question la formule du roman « traditionnel » (la mort du personnage, la mort du biographisme fictionnel), ces écrits auraient pour effet « la solitude morale » :
Le lecteur, aussi évolué soit-il, ne s'y retrouve pas; il avance dans un monde vide, déshumanisé, uniquement peuplé d'„objets". D'ou un autre sentiment inévitable de contrainte, de solitude morale qui aboutit a la déroute. Le Nouveau roman, de ce point de vue surtout, n'est pas écrit „a une échelle humaine". Il représente le plus souvent un produit abstrait, déshumanisé, unilatéral, privé de dimension humaine (Sarraute 1967 : 12).
L'observation - plus ou moins accusatrice - relative a l'absence d'humanisme revient sous la plume d'autres commentateurs et n'était pas inconnue dans le pays d'origine du Nouveau roman. Sa préface nous laisse sur l'impression que Lidia Bote n'adhere pas trop a cette « littérature pour les lettrés » destinée a un public restreint et dont l'écho se propage parmi les « écrivains esthétisants voire parfois snobs » (Robbe-Grillet 1967 : 12).
En 1968, aux éditions EPLU, paraît dans un tirage de 15140 exemplaires le roman Dans le labyrinthe traduit par Dumitru Tepeneag qui signe aussi la postface. Tepeneag est un cas a part pour notre étude, il est le révolutionnaire par excellence (y compris au sens de la dissidence) qui tente la synchronisation par court-circuit temporel et aussi l'importateur, ou l'agent de change(s) : il commente, traduit, répand mais incorpore aussi des éléments du genre dans certains de ses écrits quand il ne les déforme pas dans le cadre de l'onirisme, courant qu'il va théoriser précisément pendant la meme période.Integrable ou non a l'onirisme, pour lui le Nouveau Roman est l'avant-garde meme qui sauve et qui revet, indirectement, un caractere politique subversif intrinseque. Autrement dit, Tepeneag, est littérairement parlant aussi un révolutionnaire et en meme temps un dissident. La présentation proprement dite du roman mise a part, sa préface, empathique, assume au moins deux enjeux : c'est un plaidoyer pro-domo déviant et une « sauvegarde » de la formule romanesque par devant la censure idéologique. Procédons par ordre. Pour ce qui est de la particularité narrative de l'écriture, Tepeneag insiste sur la technique cinématographique du roman et souligne le rôle de l'oeil transformé dans ce „roman du regard" en une caméra. D'ou, « l'importance apportée aux descriptions » et leur transformation en agents de « l'intrigue » : « l'objet semble apparaître au moment meme de la description, pure création du langage » (Robbe-Grillet 1968 : 212). Tepeneag explique le refus de l'auteur de cultiver les analogies et les métaphores (pour bloquer l'intention animiste, vaguement consolatrice du lecteur vers un « au-dela » inexistant). Il tente par la de combattre l'accusation de « déshumanisation » invoquée par certains commentateurs. Habile, il prend ses distances par rapport au crédo anti-animiste de Robbe-Grillet et précise meme a un moment donné qu'il s'agirait d'un « exorcisme avec des moyens littéraires assez naif et de toutes façons inefficient » (Robbe-Grillet 1968 : 215). Par ailleurs, et l'intention stratégique est encore présente, Tepeneag range cette obsession de la description dans une catégorie censée rassurer la censure mais démonisée par Robbe-Grillet en personne, a savoir celle du roman réaliste. Par exemple, Gogol aurait remarqué « la necessité du petit détail », quant a Balzac, chez lui « la sensibilisation de l'objet » est évidente (idem).
D'autres observations rentrent dans la catégorie du plaidoyer pro-domo. Pour Tepeneag, ce roman sera toujours le plus proche de l'onirisme de toute l'oeuvre de Robbe-Grillet. Pour preuve, bien que les figures de style soient « ostensiblement évitées » le texte a un caractere poétique frappant et l'effet de cette surabondance descriptive aurait des effets hallucinants voire oniriques sur le lecteur :
Un halo poétique enveloppe les choses décrites. La precision finit par aboutir a l'iréel [...]. Les objets perçus a l'état de veille en deviennent plus nets et donc plus réels (une réalité bien a eux toutefois qui peut paraître insolite) lorsqu'ils sont observés comme dans un reve (Robbe-Grillet 1968 : 220-223).
D'autre part, soutenu par un « éloge du reve » que le prosateur français aurait fait dans l'un de ses essais et soulignant la clarté que les objets acquierent a l'état onirique, Tepeneag introduit une nuance qui sert a délimiter la fonction du reve, dans l'espace de l'onirisme, par rapport aux surréalistes et a Robbe-Grillet lui-meme. C'est-a-dire que « le reve ne doit pas constituer une source littéraire mais simplement un critere applicable a la réalité environnante au moment ou celle-ci est utilisée dans la littérature » (Robbe-Grillet 1968 : 216). Eriger le reve en critere législatif était le noyau meme du programme onirique.
Les savantes analyses de texte (structure des phrases, nature des répétitions, ordonnancement de la description etc) trahissent le traducteur expérimenté. Un seul exemple : a propos de la célebre description du tableau (moteur narratif) Tepeneag fait remarquer qu'en remplaçant le présent simple par le présent on suggérerait « une permanence qui défie le chronologique aboutissant, en dépit du déroulement successif des images, a une immobilité caractéristique du reve » (Robbe-Grillet 1968 : 223).
En 1967, aux éditions EPL paraît Portrait d'un inconnu de Nathalie Sarraute traduit par Paul G. Dinopol. La préface est signée Romul Munteanu. Selon ce dernier, l'auteure appartient a la « catégorie des écrivains difficiles » (Sarraute 1967 : 5), son roman provoque une certaine « résistance » a la lecture, « un état de perplexité » meme chez le lecteur familiarisé avec les poids lourds de la littérature moderne, de Proust a Joyce. Le lecteur devient un partenaire de l'auteure pour ce qui est de déchiffrer et assembler les parties a la recherche du sens :
En s'alliant le lecteur de son oeuvre comme partenaire de creation, investi d'un immense pouvoir de reconstitution de la réalité, Nathalie Saraute, si sévere envers elle-meme, sollicite son lecteur jusqu'a l'épuisement (Sarraute 1967 : 6).
Epuisement dû a l'abandon des attributs du roman traditionnel que meme Romul Munteanu, grand avocat du Nouveau Roman, semble déplorer ici. En dépit d'une certaine réserve, aisément sasissable, le critique établit clairement les caractéristiques de ce roman recherche, il en observe les similitudes avec le behaviorisme ainsi qu'une « certaine structure pointilliste » (Sarraute 1967 : 17) ou « le flux musical continu, banal et étourdissant » (Sarraute 1967 : 20). Selon lui, le « chef d'oeuvre » de cette formule representative pour « l'âge de la suspicion » serait Planetarium (1959), « ce roman d'une lecture si difficile ».
A la difference des deux autres prefaces, cette fois-ci nous n'avons pas affaire a une simple étude introductive mais a une présentation de toute l'oeuvre de Nathalie Sarraute avec, pour point d'orgue, l'emblématique Tropismes. Les tropismes seraient ces marqueurs du « non-authentique en tant qu'élément définitoire de comportement » qui conduisent a la « transgression des apparences pour surprendre l'état embryonnaire » de certainesmanifestations psychologiques. Obsédée par le drame du fait menu, l'auteure articulerait « un art poétique a travers lequel elle se propose de dévoiler des impulsions élémentaires, caractéristiques d'un monde ontologiquement condamné a l'anonymat » (Sarraute 1967 : 8). Romul Munteanu manifeste un certain agacement vis-a-vis de la condescendence avec laquelle Sarraute traite le roman psychologique proustien ou le roman balzacien et il clame «l'impossibilité de renoncer pour de bon a certains éléments de structure présents dans la prose classique » (Sarraute 1967 : 14). Et c'est précisément ces éléments qu'il va mettre en évidence lorsqu'il peine a surprendre les éléments de continuité dans cette tentative assumée de rupture. Les descriptions minutieuses, la poursuite infinitésimale du flux de conscience, surtout dans la recherche des tropismes conduirait, paradoxalement, au décrié mythe du narrateur omniscient « prenant parfois des proportions bien plus grandes que chez les écrivains du XIXe siecle » (Sarraute 1967 : 14). Et puis, les motifs et themes balzaciens se laissent surprendre avec une certaine facilité - « vieillards maniaques, avares, pingres, vieilles filies » - l'intrigue du roman rappelant Eugénie Grandet.
Les fruits d'or, autre roman important de Nathalie Sarraute, ne sera publié chez nous qu'en 1977, traduit par Radu Toma, avec un avant-propos de Irina Mavrodin. Les circonstances different de celles des années '60. Le tirage n'est plus précisé et Mavrodin, une experte du domaine (une these de doctorat sur l'oeuvre de Sarraute, plusieurs études sur les nouveaux romanciers) se borne a donner une breve introduction intitulée Rencontres avec Nathalie Sarraute avec une certaine teinte confessive concernant son propre rapport a ce type de lecture difficile qui exige « une connaissance théorique du lecteur par rapport a l'écriture » (Sarraute 1977 : 6).
En 1967 paraît aux éditions EPL sous le titre Modificarea (La Modification) le roman de Michel Butor La renonciation (1957) traduit et préfacé par Georgeta Horodinca. Une fois de plus, le tirage est généreux : 30 160 exemplaires.
Dans sa longue préface aux allures de mini-monographie, Georgeta Horodincă fait preuve de retenue mais d'une toute autre nature que Lidia Bote ou Romul Munteanu. Un exposé succint de la biographie de l'auteur, des citations prises dans ses essais qui ont pour but de mettre en relief sa maniere narrative spéciale, une presentation minutieuse quand elle n'est pas synthétique de ses principaux écrits (y compris des notes de voyage), tout concourt a donner une bonne image de l'univers romanesque et a souligner les recherches personnelles de Butor dans la zone du Nouveau Roman.
Le but avoué de Horodincă releve directement de la logique du transfert : cette traduction serait « davantage une opportunité de présenter le romanicer [...] que critique et public sont convenus d'assimiler au „nouveau roman" » (Butor 1967 : 15). Horodincă excelle dans les observations d'ordre narratologique, thématique (elle analyse le motif du voyage, du labyrinthe et décele l'archéologie mythique qui offre sa base au roman, la prédilection pour l'intrigue comme énigme ou la transformation de l'espace en une intériorité etc. est judicieusement soulignée).
Pourtant, le clou de cette préface est ailleurs. Dans un certain sens, par la multitude des grilles de lecture déviantes elle est la meilleure de toutes les autres, celle qui se laisse le mieux spéculer de la perspective des aspects sociologico-idéologiques qui participent de la logique des transferts. L'une des grilles obliques est idéatique, passant de Sartre au marxisme ; la seconde releve de la reconstitution de la trame narrative par une méthode descriptive qui convient davantage a un roman réaliste. Non que Horodincă ignore le type de roman labyrinthique auquel elle a affaire, mais parce qu'elle souhaite faciliter le contact du public avec une formule inovatrice. A un moment donné, elle observe:
Et, loin de respecter la chronologie des événements comme il pourrait ressortir de mon récit qui ne respecte par l'ordre de l'exposé mais refait l'ordre réel des événements pour faciliter la comprehension du roman, Revel [le personnage de L'emploi du temps n.n.] réalise un perpétuel mélange de passé et de présent, laissant a bon escient le sentiment d'une prolixité brumeuse [...] (Butor 1967 : 25).
La deuxieme grille déviante est idéologique, de teinte sartrienne pour commencer (Georgeta Horodincă avait publié en 1964 une étude sur Sartre) et par la suite marxiste a outrance.Le texte débute sur Sartre et s'acheve sur Marx - mais il s'agit plutôt d'un protocole idéologique circulaire que d'un rejet proprement-dit du roman. L'idéologue ne dit point « adieu » a monsieur Butor (comme auparavant a Maiorescu), il semble ravi de cette manoeuvre, d'importation littéraire sans oublier toutefois, ne serait-ce que par un clin d'oeil, son intransigence. Qui cible plutôt Robbe-Grillet et en second lieu seulement Butor. En prenant appui sur l'idée sartrienne a propos du caractere de témoin/réfléchissant d'une certaine forme littéraire pour la société ou il apparaît, Horodincă souligne le caractere aliénant de la société occidentale moderne ou l'individu « est actionné au lieu d'agir » (Butor 1967 : 10). L'observation est reprise a la fin : Marx est convoqué qui avait averti sur le risque de la réification dans une société de type bourgeois :
Sauf que Robbe-Grillet ainsi que d'autres écrivains du non-homogene « nouveau roman » s'arretent devant cet aspet de l'aliénation humaine sans le situer dans une perspective historique, a l'instar de Marx qui voyait dans le dépassement du phénomene la véritable orientation de l'histoire (Butor 1967 : 53).
La principale carence de ces romans ou la connaissance finit par mener a l'échec de la connaissance, a l'expériment pour l'expériment serait qu'ils
ne s'engagent pas dans une polémique sociale meme si par certains côtés ils relevent une critique des phenomenes d'automatisation [...] caractéristiques de la civilisation occidentale moderne puisqu'une telle polémique impliquerait une attitude idéologique (Butor 1967 : 53).
Or, chez Robbe-Grillet « une circonspection égale vis-a-vis de toute idéologie » serait évidente ou, plus exactement, « le remplacement d'une idéologie militante par un scepticisme social et historique » (Butor 1967 : 53)1. Quant au roman de Butor dont nous nous occupons ici, son final le rangerait parmi les « conformistes » suivant la fausse logique des sociétés de type bourgeois : « il n'y a nulle part un centre du monde, un foyer de l'homme ou son existence acquiere les dimensions de l'authenticité [...] » (Butor 1967 : 40).
Alain Robbe-Grillet en visite en Roumanie
Pendant la seconde moitié de mai 1967, dans le cadre des échanges culturels roumano-français, Alain Robbe-Grillet est invité en Roumanie ou il participe a des rencontres avec ses lecteurs. Celle du 20 mai qui s'est tenue a « La maison des écrivains » et a réuni, entre autres, Nina Cassian, Romul Munteanu, Şerban Cioculescu, Horia Bratu, N. Tertulian etc. fut particulierement fructueuse. Les interventions ont été publiées dans le no. 7 (juillet) de la revue « Secolul 20 »dans un dossier dédié au prosateur2. L'écrivain expose sa propre théorie sur le roman, violemment anti-balzacienne, il plaide pour un «récit instantané» dont la réalité est exclue avant qu'elle ne soit fixée par la parole du romancier, il esquisse un trajet évolutif du roman le long duquel Proust, Kafka, Faulkner sont les moments-clés. Il mentionne le commentaire de Barthes (l'objectualisme comme marque de sa prose) et se sépare en passant de la position engagée de Sartre en plaidant en faveur du roman poétique etc. On est frappé par sa position littéraire nettement progressiste qui prédit une « évolution continue du roman » : meme les formes du nouveau roman peuvent devenir « académiques » « dans 10-20 ans » lorsqu'on verra apparaître « un nouveau „nouveau" roman » (Au micro : Alain Robbe-Grillet : 54).
Les propos flatteurs de Nina Cassian (sur « la forme artistique » du roman) ou les commentaires empathiques de Romul Munteanu (sur la vision spatio-temporelle) doivent beaucoup a la complaisance et ne présentent pas un grand intéret; par contre, ce qui mérite que l'on s'y arrete ce sont les observations critiques ou polémiques de certains des intervenants. Comme la savoureuse ironie de Şerban Cioculescu qui prend a rebours toutes les répliques du romancier en en mettant a nu le relativisme profond. Si la description vient de la perspective d'un témoin et qu'elle est connue par le romancier, ce dernier ne serait a son tour « qu'un demiurge » de plus ; et puis, ce point de réflexion violemment subjectif ainsi que le plaidoyer pour la poéticité renvoient au « néoromantisme » (ibidem : 63) etc. Lorsqu'il propose, a travers la description, « une insertion plus profonde dans la réalité » l'auteur pourrait se considérer « plus réaliste que les anciens réalistes ». On ignore comment aura réagi le critique en voyant que Tolstoi, qui mettait sur un pied d'égalité les personnages historiques et ses propres personnages, était traité d'arrogant, lui. Horia Bratu aussi exprime son scepticisme a propos de ce roman qui ne peut annuler la tendance naturelle du lecteur a interpreter a quoi Robbe-Grillet rétorque en affirmant le statut préférentiel du lecteur a qui l'on demande « un geste créateur qui, en fin de compte, ressemble beaucoup a mon geste » (ibidem : 65). Lorsque Tertulian lui demande comment il se situe par rapport aux autres écrivains contemporains dont les visions different de la sienne, Robbe-Grillet avoue « un intéret médiocre » pour un Saul Bellow ou un Norman Mailer qui émergent « du courant du XIXe siecle » et s'affirme « convaincu d'avoir raison » contre eux pour ce qui est de la vision sur la réalité : « C'est peut-etre une infirmité mais en meme temps le combat est ardu et si nous admettions que l'adversaire a raison cela nous menerait a quoi? » (ibidem : 66).
Le 25 mai, dans l'auditorium Odobescu de la Faculté de Lettres de Bucarest a lieu une rencontre avec les étudiants dont Constantin Teacă rend compte dans une interview - Pourquoi, Alain Robbe-Grillet? (Teacă 1967). Une des questions adressées a l'auteur porte sur son besoin de faire appel a la théorie, une autre sur la réception de ses écrits. On remarquera la suspicion de C. Teacă a propos de l'absence réelle de sensibilité de l'auteur remplacée par « [son] seul éloge théorique et oral ». A quoi Robbe-Grillet répond :
Je crois qu'il s'agit d'une nouvelle sensibilité de l'homme de notre époque qui voit, sent, vit, est bien conditionné par ses habitudes et passions, [...] alors que nous ne lui décrivons que son expérience limitée et, ajouterais-je, incertaine. En adoptant cette optique de comprehension de l'effort, de continuelle recherche il est permis de croire que nos écrits ne manquent pas de sensibilité.
Le seul a lui poser des questions en connaissance de cause est Dumitru Tepeneag (Tepeneag 1967). Robbe-Grillet est invité a exposer ses arguments contre la métaphore, figure de style qui, dans son opinion, suggérerait « l'idée d'une unité cachée entre l'homme et les choses », ce qui amene celui-ci « obligatoirement au sentiment du tragique » et a l'émergence de l'angoisse : « L'homme se découvre, a un moment donné, seul et ressent le besoin de crier » mais « personne ne lui répond ». Si bien que l'individu devrait faire son deuil de ce besoin de réponse transcendentale: « Il s'ensuit qu'il n'y a pas de raison a ce qu'il s'enferme dans sa souffrance comme dans un cancer d'ou il appelle au secours quelqu'un d'un „au-dela", inexistant ». A retenir l'interrogation rhétorique finale par laquelle Tepeneag veut détourner la discussion dans un but tactique : « Qui dit qu'Alain Robbe-Grillet n'est pas un écrivain humaniste ? ».
Réactions pour et contre le Nouveau Roman
C'est a la meme époque (années 1967-1968) que, simultanément aux livres publiés et a la visite de l'auteur français, la presse roumaine (et non seulement) accueille un ample débat pour et contre le Nouveau Roman.
L'une des interventions les plus remarquées en faveur du genre appartient a Nicolae Balotă qui publie pour commencer dans deux numéros de la revue Luceafarul les articles « Le Nouveau roman » devant la réalité et « Le Nouveau roman » et le labyrinthe des choses (Balotă 1967a, Balotă 1967b). Posément, Balotă prend son temps et fait une démonstration - légerement ironique a l'adresse du lecteur innocent dont la réaction est comparée a celle des premiers spectateurs des freres Lumiere - de l'évanouissement du référent réel dans le Nouveau Roman et des principaux enjeux de cette formule narrative. En chargeant un peu, le commentateur insiste sur son « „réalisme" » implicite, l'appétit descriptif étant caractérisé par
une double tendance: d'une part vers un monde du réel qui est en dehors de toute autre determination, d'autre part vers un monde de l'imaginaire qui se propose en dehors de toute relation avec le réel (Balotă 1967a).
Pour illustrer le caractere intermédié des descriptions, leur emplacement de possibilité fictionnelle, Balotă avance l'analogie avec le célebre Autoportrait de Parmigiano, qui présente son image dans un miroir convexe ou « les traits, les dimensions du visage, de la main sont bizarrement déformés » comme si entre le texte du roman et la réalité l'auteur installait « une espece d'écran » (Balotă 1967a). En remarquant le caractere cinématographique de la technique narrative qui n'était pas passé inaperçu par d'autres commentateurs, le critique renverse en quelque sorte le rapport par l'observation que les nouveaux romans
semblent etre des livres faits d'apres des films (contrairement a ce qui est en usage), des films ou les images ont été découpées et mélangées de sorte que parfois des scenes reviennent avec des gestes qui ne sont pas les memes mais plus ou moins changés, rangées sans ordre chronologique aucun (Balotă 1967a).
Dans son analyse, Balotă privilégie deux directions : il accentue le caractere humaniste de ces écrits (a l'encontre des intentions des auteurs) et raccorde la vision narrative-descriptive a la phénoménologie. Par une simple maniere de composition (l'observation vise surtout Robbe-Grillet) il « réinstalle l'homme au centre de l'univers comme Oeil du narrateur et surtout comme Moi créateur de ľécrivain » (Balotă 1967a). L'ordonnancement du monde fictionnel comme labyrinthe (et non comme simple chaos) suppose, en fait, contrairement a ce « chosisme » saisi par Barthes, « la présence des signes qui peuvent s'interpréter, qui demandent a etre interprétés », de sorte que « les éléments les plus banals, les plus arbitrairement associés peuvent etre le signe d'un destin tragique » (Balotă 1967b). Balotă souligne, a l'encontre de Barthes, le caractere phénoménologique de la description, reflétée non en soi mais par l'intermédiaire de la conscience qui l'accomplit de sorte que « les objets ne sont pas réels ni décrits comme tels mais des exemples d'une possibilité pure », supposant « un eidos de la perception, une „généralité essentielle" » (Balotă 1967b).
Apres ces deux épisodes, la série de Balotă est sistée (la preuve en est la fin ouverte qui annonçait une suite). Luceafărul se positionne indirectement contre le phénomene. Le no. 10 du 11 mars 1967 publie sous le titre L 'époque et le dépassement des limites un fragment de l'étude L 'Esprit de l 'époque et la littérature du critique marxiste Ernst Fischer. Deux des sous-chapitres sont intitulés La disparition de la réalité et L'Anti-Roman. Comme on s'y attendait, la contestation épouse une grille dialectique. L'antimoderne Streinu se prononce pour une délimitation mais ses arguments ne sont pas idéologiques. Dans deux articles publiés dans Luceafarul de 1967 il a deux interventions tangentielles au theme : L 'Anti-art et Les nouveaux et anciens modernes (Streinu 1967a, Streinu 1967b). Dans le premier, Streinu exprime ses doutes quant a la validité esthétique du phénomene de l'anti-art et puise des exemples dans la littérature, la musique, les arts visuels qu'il traite de simples « apparitions divertissantes et, bien entendu, éphémeres dont c'est toujours l'instinct artistique, ignoré, qui sauvera de l'anonymat Dieu sait lequel! ». En fait, si Streinu comprend que l'on se détache des formes « historiques et dégradées » du beau, c'est-a-dire « le mouvement légitime de la peinture de Bouguereau a Cézanne », il n'en va pas de meme du mouvement qui va « de Cézanne (pris comme symbole) a la toile pop-art qui [...] met des moustaches a la Joconde ». Littérairement parlant, le critique place correctement cette méfiance vis-a-vis du langage dans faction autodestructrice de Rimbaud et remarque l'absence de perspective qu'entraîne non pas l'ennui qu'inspirent les formes périmées mais « l'art en soi ou l'idée de beau ». Dans son deuxieme arrticle, Streinu déclare que faction des nouveaux modernes marquerait une véritable crise de la littérature et non seulement un simple épisode de la lutte des anciens et des modernes. Car, a la différence des anciens, « les nouveaux modernes »« font de la littérature non pas tant d'une expérience de vie immédiate mais plutôt de la conscience critique du genre dans lequel ils travaillent ». Ils sont en fait « des critiques d'abord et en deuxieme lieu seulement des écrivains d'imagination ».
Refusée par Luceafărul, la suite de la série de Balotă se refugie dans les pages de Gazeta literară (Balotă 1967c). Suivent des notations sur les différences narratologiques et de composition comparées a la maniere de Balzac mais de Proust aussi (la description du type phénoménologique). Une fois de plus, a rebours des intentions de ces écrits et, peut-etre, pour sacrifier a l'air de l'époque, Balotă attribue aussi une vision « éthique » au nouveau roman : « En général, on parle de sa neutralité axiologique, de son indifférentisme etc. En réalité, l'Oeil est toujours engagé dans les livres de ces techniciens du regard dans une aventure d'ordre spirituel-éthique ».
Le jeune prosateur Augustin Buzura polémise avec le nouveau roman dans deux numéros de Tribuna (Buzura 1967a) dans un article intitulé Des robots sourds. Sa réaction s'explique d'abord par un manque d'adhésion, naturelle chez l'écrivain qu'il est, a des formules contraires: il était évident que pour un prosateur comme Buzura ignorer l'univers humain et l'analyse psychologique c'est anéantir le romanesque. D'ou l'impression de distopie venue du Nouveau Roman ou les « éternels premiers-plans » campent devant le lecteur des héros « stériles, impersonnels, isolés », pareils aux « robots vivants imaginės par Huxley dans l'onirique Ere Ford décrite dans Brave New World ». Contre l'individu robotisé qui peuple ces « proces-verbaux écrits parfois admirablement » et contre l'arret de mort prononcé contre la typologie, Buzura invoque des « écrivains vieillots » du type Dostoievski ou « un héros encore plus vieillot », Hamlet, qui sont « tous jaloux, avares etc. etc. etc. etc. et quelque chose de plus c'est-a-dire des humains dans la grande acception du mot ».
Le rejet de Buzura concerne d'autres aspects aussi: la course a la nouveauté et l'accent sur ľartifice qui mene a la pastiche. Ironique, le prosateur indique certaines des sources littéraires de la formule, du policier jusqu'au behaviorisme, et s'étonne que « l'écrivain français adopte une vision si périmée pour créer un roman qui se veut et qui s'appelle „nouveau" ». Les Gommes « pourrait etre un intéressant policier qui se ressent de l'influence de Joyce et rien de plus », quoiqu'il se peut que ce type de référence a son « maître » ne soit pas « particulierement réjouissante» pour le disciple.
Buzura indique avec une précision surprenante la source de l'impasse qui menace le Nouveau Roman et qui dérive, paradoxalement, de l'ambition de concurrencer - ou d'imiter - par la genese la poésie extreme-moderniste:
[...] il semble que l'objectivité absolue donnera du fil a retordre aux descendants côté prose de l'intelligente Calliope, la machine a ouver des poésies. Sans ce sel - analyse, insistance affective - quels que soient les situations, les faits [...], les livres risquent de se ressembler.
Outre Balotă, un avocat du Nouveau Roman est Romul Munteanu. En 1968, il publie aux éditions EPLU dans un tirage de 10140 exemplaires une petite étude intitulé Le Nouveau roman français a laquelle il ajoute un recueil d'essais des nouveaux romanciers (traduction Mihaela Tonitza). Révisée et amplement augmentée, l'étude est publiée sous le meme titre en 1970 et figurera dans une trilogie a côté de La Farce tragique (1970, 1986) et Les metamorphoses de la critique européenne moderne (1975, 1988). Par la suite (en 1995, lors de la IIe réédition de l'édition de 1970) le critique va avouer que cette étude ainsi que la trilogie refletent sa fascination pour des « „modernités" » qui « troublent les oeuvres mortes de la création littéraire et stimulent les tendances novatrices dans l'art et l'histoire des idées »3. Notre étude prend en compte la variante de 1968 qui, transformée par la suite, donnera la savante étude comparatiste de 1970 : les intentions du critique y sont mieux mises en valeur ainsi que son balancement (peut-etre bien tactique sinon influencée par l'idéologie) pour ce qui est de l'acceptation du modele antiromanesque.
La structure du petit volume de 1968 traduit clairement l'intention de populariser la nouvelle formule et de la rendre familiere au public roumain. Apres une breve introduction (Du roman a l'antiroman) qui passe rapidement en revue les differences vis-a-vis de la formule soi-diante « traditionnelle », Romul Munteau analyse les profils des principaux romanciers par chapitres separes de type (mini)monographique: Alain Robbe-Grillet et le roman du monde comme labyrinthe, Nathalie Sarraute et la dynamique du moi dans le nouveau roman, Michel Butor et l'énigme des surfaces des la réalité dans le roman et Les variantes du nouveau roman (y sont mentionnés Claude Simon, R. Pinget, Claude Mauriac, Claude Ollier). On trouve dans le volume des textes théoriques de ces romanciers: A. Robbe-Grillet, Une voie pour le roman futur et Temps et description dans la narration d'aujourd'hui (du volume Pour un nouveau roman, 1963), Nathalie Sarraute, L'Ere du soupçon (d'Ere du soupçon. Essai sur le roman, 1956), Michel Butor, Recherches sur la technique du roman (Répertoire II. Etudeds et conférences, 1959-1963, 1964).
Suivant une maniere programmatique purement informative, voire descriptive, dans chacun des chapitres le critique présente brievement l'univers (anti)épique, la thématique et les entorses opérées par l'auteur respectif a l'adresse de la formule traditionnelle apres quoi il analyse minutieusement chaque écrit paru jusqu'a ce moment-la (1968). Par exemple, dans le chapitre consacre a Robbe-Grillet, il indique comme traits-clés de la vision de l'écrivain le refus de l'interprétation et de l'allégorie consonants a ce que l'auteur meme appelle «le mythe „de la profondeur"», l'hostilité envers le roman-histoire en faveur du roman-recherche, l'appartenance a la soi-disante école du regard, la parodie du roman policier, certaines procedures de composition. Autrement dit, Romul Munteanu synthetise a l'intention du lecteur roumain, sur un ton neutre, des opinions qui appartiennent a l'auteur et les observations de ses critiques (Ricardou ou Barthes). Pour passer ensuite a la presentation point par point, comme dans un commentaire didactique, de chaque roman publie.
Le schema est le meme pour les autres chapitres. Par exemple, Butor se signale (lui aussi, et non seulement Robbe-Grillet) par « une certaine vision cinemascopique de la realite » (Munteanu 1968 : 103) et surtout par l'importance qu'il donne aux personnes pronominales; le critique commente, avec force citations a l'appui, des idees exposees par le romancier dans ses essais avec une preference pour celles qui marquent le changement du rapport spatio-temporel. Dans l'inventaire des ecrits, on trouve meme une mention du recent roman Portrait de l'artiste en jeune singe (1967).
Malgre le ton empathique-participatif de la presentation, a la fin de chaque chapitre, comme dans un geste rituel, l'essayiste se separe de l'auteur, en indiquant d'une maniere ou d'une autre le danger qui menace la formule (ces observations seront eliminiees dans les editions futures). Par exemple, « le paradoxe qui condamne Robbe-Grillet a rester un eternel experimentateur, voue a une estime restreinte d'atelier litteraire » serait l'intention d'ecrire des oeuvres « qui ne communiquent rien vu que l'écrivain ne sait rien d'avance » (Munteanu 1968 : 62). Ce qui le derange dans le cas de Nathalie Sarraute, la aussi, c'est cette « „suspecte" facilite » (Munteanu 1968 : 76) avec laquelle elle vide la formule du roman traditionnel, y compris psychologique. Qu'il appelle ou non aux « tropismes » - et cela sonne comme un avertissement - le nouveau romancier n'aurait lui non plus « quelque don exceptionnel de la divination » propre a lui permettre de surprendre l'infraréalité individuelle (idem).
Le volume de Romul Munteanu suscite l'intervention polémique d'Adrian Marino qui conteste en bloc le Nouveau Roman (Marino 1968). Pas question de commande idéologique chez Marino, qui mentionne en passant le petit volume l'appelant « agenda de poche » et les présentations « a allure de compte-rendu introductif ». Marino se concetre sur les problemes esthétiques et métalittéraires qu'entraîne la nouvelle formule. A l'instar de Streinu, l'intervention de Marino se ressent d'une virulence antimoderne(iste) et passe pour un des articles de contestation le mieux construits dans la presse roumaine de l'époque. « La question- clé » serait si « „le nouveau roman" entre ou non dans la sphere de l'art littéraire » des lors qu'il ne s'agit pas d'une simple rebellion contre une formule romanesque périmée mais de
la negation meme de son essence esthétique, du rejet global de toutes les tendances élémentaires, permanentes et universelles, de quelque espece que ce soit, qui rendent possible l'existence - sous quelque forme que ce soit - de la littérature.
Et Marino d'avancer l'idée de crise majeure de la littérature dans des interventions consistantes autour de quelques notions-clés. Une « crise aigue de l'idée de création » en soi (le roman qui se tramerait seul, sous les yeux du lecteur) et accessoirement d'une « crise de l'idée d'épique » manifestée par « le refus de la fiction, de la fabulation » a laquelle le roman est rattaché de maniere viscérale. D'ou « l'impression de stagnation » voire d'« ennui », la suppression du référent « utopique toutefois en régime psychologique normal » s'avérant « stérilisante sur le plan de l'art». A l'instar d'autres commentateurs, Marino avance l'idée de la déshumanisation de la littérature qui émerge, selon lui, de l'intention atypique de l'auteur (« il écrit pour ne communiquer rien, pour ne tramettre aucune sorte de „message" ») ainsi que de l'obligativité d'un aberrant « régime théorique de la „lecture" ». Un roman ouvert a n'importe quelle signification finit par ne plus en avoir aucune et la transformation du lecteur en spécialiste des métanarration peut offrir a certains des stimules intellectuels mais nullement « une satisfaction esthétique », la seule qui importe vraiment.
Editions publiées en tirages invraisemblables, interviews parues dans la presse littéraire, rencontres avec les lecteurs, réactions pour ou contre - indéniablement le Nouveau Roman n'est pas passé inaperçu dans la Roumanie des années '60. Avec des effets plutôt bénéfiques - une bouffée d'oxygene apres l'époque de l'obsédante décennie et avant l'enfermement protochroniste. Ses retombées se prolongeront longtemps apres et non seulement dans la littérature des oniriques (dont certains seront amenés a s'exiler au début des années '70) mais aussi chez les écrivains connus comme « les quatre-vingtards ».
1_Horodinca fait le meme genre d'observations dans un article sur Robbe-Grillet intitulé L 'Obsession du labyrinthe dont la presence dans un dossier que la revue « Secolul 20 » consacrait a l'auteur français qui visite cette année la Roumanie (nr. 7, 1967, p. 138-142) est moins paradoxale et inopportune qu'il pourrait paraître.
2_Le dossier contient la conversation Au micro : Alain Robbe-Grillet, p. 53-66, un fragment du roman Dans le labyrinthe (traduit par Dumitru Tepeneag, p. 68-132), une autre interview de l'écrivain sur la cinématographie (Eduard Constantinescu, Robbe-Grillet et la fascination du cinéma, p. 133-137) et, comme possible concession idéologique, le commentaire contestataire en quelque sorte de Georgeta Horodincă mentionná ci-dessus.
3_L'affirmation apparaît en quatrieme page de couverture.
Bibliographie
Balotă 1967a : Nicolae Balotă, „Noul roman" în faţa realităţii, « Luceafărul », no. 3, 21 janvier, p. 6.
Balotă 1967b : Nicolae Balotă, „Noul roman" si labirintul lucrurilor, « Luceafărul », no. 5, 4 février, p. 6.
Balotă 1967c : Nicolae Balotă, Ochiul transcendent în „noul roman", « Gazeta literară », no. 20, 18 mai, p. 7.
Butor 1967 : Michel Butor, Renunţarea, traduction et avant-propos de Georgeta Horodinca, Bucarest, Editura pentru Literatură.
Buzura 1967 : Augustin Buzura, Roboţi surzi, « Cronica », nos. 25 et 26, 22 et 29 juin, p. 8.
Casanova 1999 : Pascale Casanova, La république mondiale des lettres, Paris, Seuil.
Espagne 1999 : Michel Espagne, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF.
Marino 1968 : Adrian Marino, Noul roman sub acuzaţie, « Cronica », no. 32, 10 aout, p. 9.
Munteanu 1968 : Romul Munteanu, Noul roman francez, Bucarest, Editura pentru Literatură.
Robbe-Grillet 1967 : Alain Robbe-Grillet, Gumele, traduction de D. Tepeneag, préface de Lidia Bote, Bucarest, Editura pentru Literatură.
Robbe-Grillet 1968 : Alain Robbe-Grillet, În labirint, traduction et postface de D. Tepeneag, Bucarest, Editura pentru Literatură Universală.
Sarraute 1967 : Nathalie Sarraute, Portretul unui necunoscut, traduction de Paul P. Dinopol, préface de Romul Munteanu, Bucarest, Editura pentru Literatură.
Sarraute 1973 : Nathalie Sarraute, Fructele de aur, traduction de Radu Toma, avant-propos de Irina Mavrodin, Bucarest, Univers.
Streinu 1967a : Vladimir Streinu, Anti-arta, « Luceafărul », no. 8, 25 février, p. 1, 7.
Streinu 1967b : Vladimir Streinu, Modernii vechi si noi, « Luceafărul », no. 23, 10 iunie, p. 1.
Teacă 1967 : Constantin Teacă, Pourquoi, Alain Robbe-Grillet?, « Amfiteatru », no. 18, juin, p. 296-297.
Tepeneag 1967: D. Tepeneag, Metafora si tragicul. De vorbă cu Alain Robbe-Grillet, « Ramuri », no. 7, iulie, p. 22.
« Secolul 20 », nr. 7, 1967, dossier Alain Robbe-Grillet.
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Abstract
In this article I will analyse the way in which the Nouveau Roman was imposed and received in Romania between 1967 and 1968. During this time, the main works of Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Michel Butor were translated and brought to market in a high number of copies, all with lengthy prefaces. In 1967 Alain Robbe-Grillet visited Romania where he met his audience, while at the same time, the Romanian media were debating the topic at length. Among the advocates of the Nouveau Roman were Romul Munteanu and Nicolae Balota, whereas among the contestants, there were Vladimir Streinu and Adrian Marino, whose interventions had a consistent anti-modern character (not simply conservative). Together with structuralism, the phenomenon of 'popularisation' of the Nouveau Roman can be considered one of the main French cultural transfers, its implementation being an integral part of a significant episode of the modernity war which characterized Romanian modernity. The importance of the Nouveau Roman during the so called cultural liberalisation period is synchronous with the anamnesis of the inter-war literary modernity started by the writers of the 1960s, emphasising a clear intention to recover the time lost during Stalin's era through a connection to the West's extreme modernism. Last, but not least, as in any totalitarian political regime - and not only - the political aspect plays an important role in the way these novels were received, which skewed, influenced or even silently encourage the phenomenon (revolutions on paper hardly ever turn into real ones), highlighting the illusory nature of this written mirage, that came to Romania during a transition period: between Stalinism and Protocronism.
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1 Universitě de Bucarest, Roumanie