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D'un discours de pandémie à celui de discrimination
D'abord annoncé dans le contexte états-unien, puis à l'échelle globale, l'amalgame entre surpoids, obésité et danger a pris la forme d'une « guerre1 ». Depuis les années 90, le « gras » (fat)2 est devenu le symbole d'un problème urgent de santé publique dans les sociétés occidentales. Les discours répétés sur cette dite « épidémie3 » médicalisant la corpulence4 (fatness), prononcés par des autorités en matière de « bien-être » (médecins, nutritionnistes, etc.), ont eu pour effet de répandre la phobie de la grosseur/corpulence (fatphobia). Bien entendu, la conception des normes corporelles, balisant l'appréhension du poids humain en fonction de corps dits « naturel », « beau », « en santé », est culturellement et historiquement située. Conséquemment, le présent article n'a pas pour objet de faire la généalogie du stigmate négatif envers les personnes de grande taille (big size), ni de traiter des causes épidémiologiques, médicales, sociales, économiques ou politiques de cette discrimination basée sur le poids ou la taille (weightism, sizeism, fat discrimination). Ma contribution se situe plutôt sur le plan théorique et épistémologique afin de jeter les bases conceptuelles expliquant l'institutionnalisation croissante des fat studies (FS) dans les sciences sociales de langue anglaise.
Compte tenu que les FS sont le résultat de la rencontre entre des communautés politiques identitaires fat et des courants universitaires se préoccupant de développer des postures critiques relativement aux représentations dominantes au sujet du poids humain, c'est donc en investissant à la fois les vécus fat et les « discours sur l'obésité » que je consacre la première section de mon article à la lutte pour la reconnaissance de la discrimination systémique subie par les personnes fat. Dans la deuxième section, j'expose certaines pratiques et champs d'intervention (ex. : institutions, groupes associatifs et figures militantes majeures) promus par le fat activism movement (FAM). Enfin, dans la troisième et dernière section, je trace un portrait des institutions universitaires des FS, en mettant l'accent sur l'engagement des auteures et des auteurs quant à leurs objets. L'ensemble de ce travail de contextualisation s'appuie sur l'idée que la visibilisation des « corps gros » (fat bodies, fat persons, fat people)5, à l'oeuvre au sein des FAM et des FS, est le fruit de jeux...