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INITIATION A LA THEORIE DE L'EXPERIENCE DU SUBLIME
On s'accorde généralement à penser que les Lumières françaises ont amplement contribué à l'élaboration du sublime post-longinien situé au coeur de l'esthétique romantique. Dans son traité intitulé Recherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau (1756), le sensualiste anglais Burke explique :
La passion causée par le grand et le sublime dans la nature, lorsque ces causes agissent le plus puissamment, est l'étonnement, et l'étonnement est cet état de l'âme dans lequel tous ses mouvements sont suspendus par quelque degré d'horreur. Alors l'esprit est si rempli de son objet, qu'il ne peut en admettre un autre, ni par conséquent raisonner sur celui qui l'occupe. De là vient le grand pouvoir du sublime, qui, bien loin de résulter de nos raisonnements, les anticipe, et nous enlève par une force irrésistible. L'étonnement, comme je l'ai dit, est l'effet du sublime dans son plus haut degré, les effets inférieurs sont l'admiration, la vénération et le respect (Burke 1803 : 111-112).
C'est ainsi que l'on rejoint la question du sensualisme fondé sur une rhétorique des contrastes et sur l'oxymore de « l'horreur délicieuse ». Cela implique que les passions sont suscitées par un objet phénoménal. Chez Burke, elles se situent à la frontière du plaisir et de l'effroi d'une manière assez paradoxale ; en fait, il s'agit là du plaisir qui est issu de l'émotion d'horreur, ce qui renvoie à la tragédie aristotélicienne classique. Certaines affections négatives - note Burke, peuvent même devenir délicieuses, tout simplement (Burke 1803 : 70 à propos des sentiments de douleur, etc.).
Or, c'est ici la clef de l'expérience du sublime qui est, fondamentalement, une expérience de l'extrême : confrontés à un spectacle naturel, les hommes vivent la possibilité de ressentir, en leur for intérieur, quelque chose de grandiose, étant partie liée avec le sentiment d'admiration. Cette démarche est esthétiquement qualifiée théorisée de sensualiste.
Cependant, les Lumières veulent que le rationalisme opère sur le monde naturel dans le sens où elles en extraient ou en rejettent les émotions, afin de saisir des vérités objectives et quantifiables en faits. Rappelons que le Romantisme s'attache d'abord aux émotions ou à leur traduction dans l'expérience vécue et ensuite, à l'imagination et à la manière de...